#Droits des femmes

Examen du texte constitutionnalisant l’IVG

Examen du texte constitutionnalisant l’IVG

La commission des Lois a examiné cette semaine la proposition de loi de la majorité visant à constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle crée un nouvel article au chapitre VIII de la Constitution disposant que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse. »

Responsable de mon groupe, je suis intervenue en discussion générale :

"En préambule de mon intervention, je souhaiterais saluer les travaux menés par ma collègue Marie-Noëlle Battistel, rapporteure d'une mission d'information en 2020 pour la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, qui ont permis d’étendre le délai légal de l’IVG à 14 semaines de grossesse. 

1/ Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif de protection du droit à l’IVG dans la norme suprême. 

Les évolutions législatives et sociétales nous montrent que les droits autrefois acquis de haute lutte ne sont jamais inscrits dans le marbre. Les avancées obtenues pour le droit des femmes à disposer d’elle-mêmes dans les années 70, s’évaporent avec à la remise en cause de l’Etat de droit et des libertés fondamentales depuis plusieurs années. 

Le constat actuel est alarmant alors qu’une femme sur trois connait dans sa vie une IVG et qu’une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin. Le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis et l’évolution législative de nombreux pays européens – Pologne et Hongrie en tête- sont autant de signaux justifiant l’inscription de ce droit fondamental dans notre Constitution, qui serait alors une première dans le monde. La norme suprême doit constituer un rempart à toute initiative d’une majorité politique visant à revenir sur les libertés acquises. Sur le principe de la proposition de loi, nous sommes donc d’accord. 

2/ Des réserves toutefois sur le dispositif choisi : 

          1- Des observations sur la formulation du dispositif législatif

-L’entrée de ce droit dans la Constitution sous la forme négative n’est pas de nature à l’affirmer de manière assumée. Je m’interroge par ailleurs sur la possible contradiction avec la formulation retenue et l’article L2212-1 du code de la santé publique, lequel dispose que l’IVG ne peut être pratiqué après la 14ème semaine de grossesse, à l’exception de raisons médicales.

-Par ailleurs, la modification de la Constitution doit être l’opportunité de garantir l’accès à l’ensemble des droits procréatifs, y compris la contraception. La contraception et l’IVG, qui n’est pas un moyen de contraception mais une solution de dernier recours, sont intimement liées en ce qu’elles constituent des solutions aux femmes ne souhaitant pas commencer ou poursuivre une maternité. Gisèle Halimi l’affirmait dès 1972 : « Dans la logique de la contraception, je dis qu’est inscrit le droit à l’avortement ». Qui plus est, les détracteurs de cette liberté n’attaquent pas de front les droits procréatifs mais œuvrent progressivement en rognant petit à petit le cadre légal, à commencer par l’accès à la contraception. 

-Il est également indispensable de garantir constitutionnellement l’accès à l’IVG et à la contraception, car constitutionnaliser ces droits ne sera suivi que de peu d’effet si l’effectivité de l’accès n’est pas assurée, ce qui à ce jour n’est pas le cas : manque de moyens humains et matériels, diminution ou suppression de subventions aux associations, fermeture des services d’IVG, clause de conscience des médecins… Inscrire l’égal accès dans la Constitution oblige l’Etat en ce sens.  

-Le principe fondant ces droits constitutionnels doit aussi être rappelé me semble-t-il. Seul le principe de l’autonomie personnelle, proposé par les constitutionnalistes, à savoir le droit de disposer de soi et de faire ses choix pour soi-même, doit fonder la garantie d’accès aux droits procréatifs. Ce principe autonome mettrait ainsi fin à la conciliation entre la liberté de la femme découlant de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et le respect de la dignité de la personne humaine.

          2- Une remarque sur l’emplacement du dispositif, que me paraît inadapté

Le droit à l’IVG n’a rien à faire me semble-t-il au chapitre VIII de la Constitution consacré à l’autorité judiciaire. Ce droit relevant de l’intime n’a pas sa place dans un tel chapitre. L’article premier apparaît le plus adapté, car à raison de l’absence de titre spécifique consacrant la reconnaissance des droits et libertés, ce dernier est progressivement devenu l’écrin de différents droits. En 2009, l’article avait déjà décliné le principe d’égalité femme/homme pour les mandats électoraux, les fonctions électives et les responsabilités professionnelles et sociales. La spécification du principe prendrait donc toute sa place audit article qui consacrerait un nouveau droit autonome sans le rattacher à un autre droit existant.

Malgré ces remarques, nous voterons évidemment pour ce texte auquel nous ne pouvons que souscrire dans sa visée."

**********

J’ai déposé au nom de mon groupe six amendements sur le texte, inspirés de la proposition de loi que j’ai déposée à ce sujet, lequel prévoit que "la loi garantit l’égal accès à l’interruption volontaire de grossesse ainsi qu’à la contraception, dans le respect de l’autonomie personnelle." : 

  • Remplacement complet de l’article par le dispositif législatif de ma proposition de loi (amendement principal)
  • Modification de l’emplacement
  • Modification du dispositif législatif
  • Intégration du droit à la contraception
  • Intégration de la notion d’égal accès
  • Intégration du principe d’autonomie personnelle

Le texte a été adopté avec la formulation "Nulle femme ne peut être privée du droit à l’interruption volontaire de grossesse" et sera discuté en séance publique avant son examen au Sénat.