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Examen du texte sur l'irresponsabilité pénale en séance publique

Examen du texte sur l'irresponsabilité pénale en séance publique

Après son passage en commission des Lois, le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a été discuté cette semaine en séance publique.

Pour rappel, la première partie fait suite à l'affaire Sarah Halimi et aborde la question complexe de la responsabilité pénale d'un auteur d'une infraction, dont le discernement était aboli au moment des faits, mais qui a antérieurement consommé des produits psychoactifs.

L'article 1er exclut du champ de l'irresponsabilité pénale l'auteur d'une infraction qui s'est sciemment intoxiqué dans le dessein de commettre ladite infraction.

L'article 2 crée deux nouvelles infractions autonomes et intentionnelles dans le code pénale. Lorsqu'une personne a commis une atteinte à la vie ou à l’intégrité d’autrui, qu'elle a été déclarée irresponsable à raison de l'abolition de son discernement au moment des faits, elle peut néanmoins être pénalement punie pour le fait d'avoir antérieurement consommé des produits psychoactifs en ayant connaissance que cette consommation était susceptible de la conduire à commettre ces atteintes.

La deuxième partie du texte concerne la sécurité intérieure : répressions des atteintes commises contre les forces de l'ordre, création de la réserve opérationnelle de la police nationale, dispositions relatives à la captation d'images, procédures de jugement des mineurs, mesures diverses...

Mon intervention en discussion générale sur l'irresponsabilité pénale:

"Monsieur le garde des Sceaux,

Monsieur le Président, 

Madame et Messieurs les Rapporteurs, 

Mes cher.e.s Collègues,

Nous discutons d’un texte de loi faisant suite à l’affaire tragique Sarah Halimi. Cette commande présidentielle a pour objectif de savoir s’il faut modifier l’article 122-1 afin d’établir une distinction quant à l’origine du trouble psychique et donc, introduire la responsabilité pénale dès lors que l’abolition du discernement résulte de la prise de substances psychoactives. 

D’autres drames restants – l’assassinat du prêtre Olivier Maire, les crimes commis par Clément Guérin – nous obligent tout autant. 

I Le projet de loi ne modifie pas l’article 122-1 qui fonde l’irresponsabilité pénale. L’article 1 ne fait pas difficulté. L’alinéa vient dire ce que la jurisprudence a d’ores et déjà acté, à savoir que l’abolition du discernement par une intoxication volontaire dans le dessein de commettre une infraction, n’entre pas dans le champ de l’irresponsabilité pénale. On n’organise pas son irresponsabilité pénale. Il est sans doute utile de le rappeler. 

En revanche, l’article 2 interroge. Il est d’une toute autre nature, en ce qu’il vient complexifier l’analyse de l’irresponsabilité pénale en créant deux infractions autonomes, intentionnelles, antérieures au fait commis. 

Tous les spécialistes nous disent la très grande imbrication entre troubles psychiques et recours à des psychotropes. Les « temps calmes » d’une vie de schizophrène peuvent-ils fonder le caractère volontaire d’une intoxication et le discernement sur ses effets ? Véritable énigme posée aux experts psychiatres et au juge que celle de devoir déterminer si l’intéressé a été à un moment conscient, dans un temps antérieur, que les psychotropes ingérés pouvaient le conduire à commettre un tel crime. 

Aucun acteur de rechigne devant la difficulté, elle existe déjà lorsqu’il faut reconstituer deux ans plus tard l’état mental de l’auteur au moment des faits. En revanche, il est redouté des batailles d’experts vaines, qui vont fragiliser l’analyse globale du dossier et à terme, créer une brèche dans le principe de l’irresponsabilité pénale. 

II Le principe d’une irresponsabilité pénale n’est pas remis en question par les citoyens, dès lors que celui-ci ne signifie pas une remise en liberté. Et, nous devons rappeler ici, que les malades mentaux sont placés dans des centres psychiatriques ou des unités de malades difficiles, pour des durées qui peuvent être bien plus longues qu’une incarcération. 

Il est admis qu’ « on ne juge pas les fous », et il est demandé que la société et les proches des victimes soient protégés des fous. C’est ce qui ressort de l’Atelier législatif citoyen que j’ai organisé dans ma circonscription avec un avocat pénaliste et un expert psychiatre en présence de citoyens. Tous nous ont fait part, au regard de situations gravissimes que nous connaissons, leur attente sur ce point. 

Nous connaissons une affaire effroyable dans ma circonscription, l’affaire Clément Guérin, dont j’ai parlé en commission des Lois. Nous connaissons le drame concernant Olivier Maire, assassiné par une personne ayant séjourné un mois en hôpital psychiatrique. 

Ce texte de loi doit apporter les garanties qu’attendent les citoyens sur la permanence des soins, que requiert l’état mental de la personne. Si on n’apporte pas cette garantie, c’est l’irresponsabilité pénale sera à terme en danger. 

C’est l’objet de la majorité de nos amendements : compétence de la chambre de l’instruction sur la levée de l’hospitalisation d’office proposée par les psychiatres ; possibilité du caractère obligatoire des soins en dehors de l’hôpital…

III Ce texte a finalement le mérite de poser la question de la psychiatrie et de mettre en évidence combien la santé mentale est maltraitée depuis des années. 

La démographie des psychiatres est en chute libre. Cette spécialité est devenue la moins attractive des futurs internes. Le nombre de psychiatres inscrits sur la liste des cours d’appel diminue drastiquement, de 537 en 2011 à 338 en 2017, alors que dans le même temps la demande d’expertises s’est accrue. 

Les conséquences sont nombreuses : de longs délais de dépôt des rapports d’expertise, ou encore comme pour l’effroyable affaire Clément Guérin, la levée d’une hospitalisation d’office faute d’avoir trouvé un expert psychiatre extérieur dans le temps procédural. 

La tarification de l’expertise psychiatrique reste insuffisante malgré les évolutions apportées début septembre. Elle doit être la même quel que soit le statut libéral ou salarié de l’expert, et son statut doit être harmonisé. C’est l’objet de deux de nos amendements. 

L’irresponsabilité pénale renvoie à deux politiques publiques fondamentales concernant la justice et la santé, ici la santé mentale. Force est de constater que ce lien ne sort pas renforcé de ce texte. Pourtant, irresponsabilité pénale et soins marchent ensemble et la justice ne peut pas abandonner ainsi des affaires aussi graves. Lors des Assises de la santé mentale qui se tiennent fin septembre, rien n’est prévu sur cette thématique qui devrait pourtant être à l’ordre du jour, par cohérence, en raison des tragédies qui troublent l’opinion et nous font débattre aujourd’hui. 

Ce projet à ce stade du débat, ne sera pas voté par le groupe socialiste et apparentés, lequel considère qu’il est une non réponse aux questions majeures qui se posent, en particulier s’agissant de la sécurité intérieure."

Nous avons proposé une vingtaine d'amendements sur ce sujet et trois d'entres-eux ont été adoptés:

  • améliorer la procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale.
  • redonner la main à la justice sur l'après-décision d'irresponsabilité pénale: compétence de la chambre de l'instruction sur la levée de l'hospitalisation d'office et des mesures de sûreté, obligations de soins, possibilité de prononcer d'autres formes de soins que l'hospitalisation complète, allongement des délais dans lesquels les experts psychiatres extérieurs à l'établissement psychiatrique doivent rendent leur avis sur la levée d'une hospitalisation d'office...
  • des amendements relatifs à la psychiatrie: l'émission de rapports sur l'harmonisation du statut des experts psychiatres et la tarification de l'expertise, l'actualisation des missions d'expertises...

Il a été demandé par la majorité, de mettre à l'ordre du jour des "Etats généraux de la justice", l'après décision d'irresponsabilité pénale, notamment sur la garantie des soins devant être apportés à l'auteur des faits.

→ Article paru sur Le Point à ce sujet (cliquer sur l'image pour lire)

→ Article paru sur Libération à ce sujet (cliquer sur l'image pour lire)

→ Article paru sur Le Monde à ce sujet (cliquer sur l'image pour lire)