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Vote sur les nominations contestées de trois juges au Conseil constitutionnel : mes questions en tant que rapporteure

Vote sur les nominations contestées de trois juges au Conseil constitutionnel : mes questions en tant que rapporteure

En mars prochain, le Conseil constitutionnel verra trois de ses neuf juges renouvelés. Il en est ainsi tous les trois ans.

En vertu du contrôle parlementaire exercé par les députés des commissions des Lois de l’Assemblée nationale et du Sénat depuis 2008, nous avons auditionné cette semaine les personnes dont les nominations ont été proposées par le président de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat, en application de l’article 56 de la Constitution. Les membres de la commission des Lois peuvent opposer leur véto à une nomination, en cas de vote contre à la majorité qualifiée (3/5ème).

Emmanuel Macron a proposé de nommer Jacqueline Gourault, actuelle ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, a proposé la magistrate Véronique Malbec, actuelle directrice du cabinet du ministre de la justice. Et Gérard Larcher, président du Sénat, a proposé pour sa part François Seners, conseiller d’Etat.

Les candidats au Conseil constitutionnel sont contestés, notamment Jacqueline Gourault et surtout Véronique Malbec. Ce renouvellement doit constituer une opportunité de repenser les conditions de nomination et plus largement de transparence qui doit accompagner l’institution

→ Mon intervention en tant rapporteure sur la nomination de Véronique Malbec :

"Madame Malbec, notre commission doit se prononcer aujourd’hui sur votre nomination en tant que membre du Conseil constitutionnel, qui nous a été proposée par le Président de notre Assemblée, en remplacement de Mme Claire Bazy-Malaurie.

Votre parcours est avant tout celui d’une magistrate du parquet et vous a amenée à des fonctions prestigieuses de procureure générale à la cour d’appel de Rennes et de Versailles. Votre connaissance du fonctionnement de l’administration ne peut également pas être mise en doute puisque vous avez été inspectrice et directrice des services judiciaires, directrice de la formation à l’ENM et secrétaire générale du ministère de la justice. Depuis 2018, vos fonctions sont devenues plus politiques puisque vous avez été nommée directrice du cabinet du garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti en juillet 2020, poste que vous occupez encore actuellement. 

Vous n’y êtes pour rien mais, comme ce matin, je profite de cette occasion pour dire que je regrette que les conditions dans lesquelles nous procédons à ces nominations n’aient toujours pas évolué. En comparaison avec les États-Unis ou l’Allemagne, notre procédure de nomination est d’une grande faiblesse. Une procédure plus transparente dans le processus de nomination éviterait les procès d’intention qui font tant de tort à notre République.

Madame Malbec, vous n’êtes pas une personnalité publique. Ce n’est pas un défaut ! Mais nous ne vous connaissons pas par vos prises de position et nous souhaiterions mieux vous connaitre avant de vous confier d’aussi hautes responsabilités. Vos réponses écrites sont intéressantes et j’ai beaucoup apprécié leur authenticité. Pour autant, elles ne nous permettent pas toujours de comprendre pleinement votre vision personnelle de la mission du juge constitutionnel. Cette audition doit être l’occasion de lever tous les doutes et de mieux vous connaître. J’ai cinq questions à vous poser avant que mes collègues ne posent les leurs. 

La première concerne votre implication dans le traitement judiciaire d’une affaire concernant le Président de l’Assemblée nationale, dont la presse s’est faite l’écho, à nouveau aujourd’hui. Il importe que vous nous précisiez votre degré d’intervention dans cette affaire. Dans le prolongement de cette question, j’aimerais donc que vous nous indiquiez dans quelles conditions et au terme de quelle procédure de sélection votre nomination a été proposée ?

La deuxième est une interrogation plus générale : est-il pertinent de désigner dans la plus haute instance juridictionnelle des personnes ayant un lien direct avec le Gouvernement en exercice et ayant eu à connaître d’un grand nombre de décisions qui pourront être contestées dans l’avenir ? Le Conseil constitutionnel, dont les décisions sont insusceptibles de recours, doit être exemplaire en ce qui concerne son indépendance et son impartialité. Personnellement, comment mettrez-vous en œuvre ces principes ?

La troisième porte encore sur les questions de déontologie. Je vous ai interrogée sur les déclarations d’intérêts et la place des lobbys au Conseil constitutionnel. Vous répondez prudemment en expliquant que ces décisions reviennent au législateur. Certes, mais nous voulons connaître votre opinion personnelle : est-il justifié que les juges constitutionnels échappent à cette obligation ? Ne peuvent-ils sans attendre se mettre au même niveau d’exigence que celui des magistrats des différents ordres juridictionnels, du conseil supérieur de la magistrature et des élus et membres de cabinet ?

La quatrième concerne votre appréciation du rôle du Conseil constitutionnel dans la garantie de l’équilibre des pouvoirs. Vos réponses me laissent parfois un peu inquiète. Vous vous félicitez du contrôle en amont par l'Assemblée nationale de la recevabilité des amendements au regard de l’article 45 alors même que cela entrave l’initiative et le débat parlementaire et que la jurisprudence du Conseil est très souple en la matière. À l’inverse, il vous semble inopportun de contrôler les études d’impact. Je trouve cela regrettable non seulement parce que vous semblez privilégier les prérogatives du Gouvernement sur celle du Parlement mais surtout parce qu’il existe une procédure permettant au premier ministre ou au président de l’Assemblée ou du Sénat de saisir le Conseil constitutionnel lorsque les règles qui encadrent les projets de loi ne sont pas respectées (4e alinéa de l’article 39 de la Constitution). Certes, elle est utilisée rarement mais elle a déjà conduit le Conseil, dans une décision du 1er juillet 2014, à se prononcer sur la conformité d’une étude d’impact à la loi organique. J’aimerais que vous nous précisiez votre vision de l’équilibre entre l’exécutif et le législatif et votre capacité ou volonté à vous défaire de plusieurs années de proximité avec le Gouvernement dans les nouvelles missions que vous exercerez.

Enfin, la cinquième concerne la transparence et la motivation des décisions. Il me semble qu’il ne faut pas être trop conservateur. Le secret du délibéré est nécessaire. En revanche, du fait du positionnement particulier du Conseil, qui s’intègre pleinement dans l’élaboration de la norme, il me semblerait utile que des opinions dissidentes puissent s’exprimer. Ce n’est pas une idée fantaisiste puisque Pierre Joxe l’a toujours défendue et que nos homologues américains ou allemands ont cette pratique de manière très encadrée et sérieuse depuis des années. Je voudrais également vous entendre sur la motivation des décisions. J’ai le souvenir d’avoir voulu corriger un dispositif censuré par le Conseil constitutionnel pour qu’il puisse voir le jour. Il m’a été impossible de comprendre précisément la raison de son inconstitutionnalité. Je pense que des évolutions supplémentaires sont nécessaires en la matière et j’aimerais entendre les propositions d’amélioration que vous seriez amenée à faire en tant que membre du Conseil constitutionnel. 

Je vous remercie et vous laisse la parole avant que mes collègues puissent également vous interroger."

Je suis intervenue de nouveau alors que Madame Malbec n’a pas répondu concrètement aux questions posées :

« Ici à l’Assemblée nationale, avec le fait majoritaire, nous n’avons pas beaucoup de doute à avoir sur l’issue du vote. Vous concernant, la question de la compétence n’est plus au cœur de nos préoccupations, votre parcours justifie d’une maîtrise qualifiante pour être membre du Conseil constitutionnel.

La vraie question qui reste en suspens est celle du conflit d’intérêts et de la « théorie des apparences ». Celle-ci est au cœur du métier du magistrat et elle doit l’être également dès lors qu’on est nommé au Conseil constitutionnel. C’est pourquoi les questions sont posées à ce sujet. Ce n’est pas un procès d’intention que nous vous faisons. Il importe que le commissaire aux lois, dans la mission qui est la sienne, fasse valoir ses craintes et demande des explications, notamment au regard des nombreux articles parus dernièrement dans la presse. Ce n’est pas se soumettre à une tyrannie médiatique que d’agir ainsi. Notre attachement aux institutions de la République commande que nous intervenions sur ce sujet et si nous ne le faisions pas, nous manquerions à notre devoir de parlementaire.

Dans un premier temps, je souhaiterais connaître plus précisément le déroulement dans lequel la proposition de votre candidature a abouti. Ensuite, sur la question du conflit d’intérêts, nous sommes dans un système de parquet hiérarchisé. En admettant, ce que vous dites et que je n’ai pas de raison de ne pas croire, qu’il n’y a pas eu d’intervention de votre part dans le classement de cette affaire, le seul fait que la décision ait été prise dans un parquet hiérarchisé dont vous êtes à la tête, ne constitue-t-il pas, selon vous, un lien d’intérêt entre la personne qui vous propose et vous-même ? Qu’en est-il de la « théorie des apparences » à laquelle nous apportons en tant que magistrat une attention extrême ? »

→ Mes questions à Jacqueline Gourault sur la déontologie des membres du Conseil constitutionnel et la nécessaire évolution de l'institution :

La nomination de Véronique Malbec a finalement été validée par la commission des Lois (majorité LREM-MoDem-Agir), à 27 voix pour et 11 contre, bien que toutes les réponses n'aient pas été apportées. Les candidatures de Jacqueline Gourault et François Séners ont également été validées. Les trois nouveaux juges prendront leur fonction au Conseil constitutionnel en mars.

→ Cliquer sur les images de l'article du Monde, publié le 15 février, pour comprendre les enjeux des nominations :