Application de la "loi Macron"  : adoption par la mission de son rapport final

Application de la "loi Macron"  : adoption par la mission de son rapport final

Monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues,

Alors qu’est présenté le projet de rapport final de la mission d’information sur l’application de la loi Croissance, je souhaite souligner le caractère inédit de cette démarche et son utilité. Il est de bonne pratique d’associer étroitement les parlementaires à la mise en œuvre d’une loi qu’ils ont eux-mêmes votée, surtout lorsque son élaboration a été guidée par un souci permanent de coconstruction.

Avant d’analyser en détail l’application de la loi, il n’est pas inutile de rappeler le travail colossal que son application a requis. Pour les dispositions regardant les professions réglementées, sur les 41 dispositions de la loi qui nécessitaient des mesures réglementaires d’application, 40 ont été précisées par 25 décrets et 5 arrêtés. La 41ème disposition concerne les clercs d’huissier, mais le Gouvernement considère qu’elle n’est pas nécessaire pour appliquer la loi.

Le Gouvernement a également pris 4 ordonnances sur habilitation de dispositions de la partie que j’ai rapportée.

Pour rappel, la réforme des professions réglementées du droit comporte trois volets :

– un premier volet relatif aux tarifs, qui a fait l’objet de développements dans le premier rapport de la mission d’information ;

– un deuxième volet relatif au système d’accès à l’exercice libéral de ces professions, sur lequel je vais revenir en détail ;

– un troisième volet relatif à l’interprofessionnalité.

La loi Croissance n’a pas remis en cause les principes fondamentaux sous-jacents à l’exercice de ces professions. Ainsi, le droit de présentation s’applique toujours, tout comme le principe de tarifs réglementés. Les tarifs proportionnels applicables à certaines professions n’ont pas été supprimés.

Le législateur a toutefois rénové en profondeur des règles désormais fondées sur des critères objectifs et rationnels. Elles ont été rendues adaptables en fonction de l’évolution de ces critères, par des obligations de révisions périodiques. Il a également fourni les outils juridiques à l’évolution des formes d’exercice des professions, en assouplissant les conditions de détention de capital et en permettant l’exercice en commun de plusieurs des professions du chiffre et du droit.

Rappelons que l’ensemble de ces dispositions a été inspiré par plusieurs travaux préparatoires, émanant tout à la fois de l’administration, de parlementaires et de l’Autorité de la concurrence. Ils ont conclu à la nécessité d’une modernisation de certaines des professions réglementées du droit.

Je vais revenir rapidement sur chacun des trois volets de la loi.

S’agissant en premier lieu du volet tarifaire, le système antérieur était marqué par plusieurs insuffisances. Je ne détaillerai pas les défauts bien connus du système antérieur. Désormais, les tarifs sont fixés selon le principe de la rémunération raisonnable et des coûts pertinents. Les arrêtés fixant les tarifs, pour chaque profession, ont été publiés aux mois de février et de mai 2016. La nouvelle architecture normative pour les tarifs a été décrite dans le premier rapport de la mission d’information.

Je veux maintenant évoquer le sujet connexe du fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice.

Créée par la loi, il n’était pas financé, le Conseil constitutionnel ayant censuré la première contribution imaginée. Le législateur n’avait pas épuisé sa compétence, n’ayant pas fixé l’assiette de la contribution avec suffisamment de précision. La contribution était assise sur la valeur de tout bien ou sur le montant de tout droit supérieur à un seuil de 300 000 euros, pour lequel un tarif était fixé proportionnellement à la valeur de ce bien ou de ce droit. Ce seuil pouvait encore être modifié par arrêté.

Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2017, le Gouvernement a donc proposé la création d’une nouvelle contribution. Due par les titulaires d’un office ministériel de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’huissier de justice et de notaire et par les administrateurs et mandataires judiciaires, son taux était unique et fixé à 1,09 %. Elle était assise sur le chiffre d’affaires par associé, à partir d’un certain seuil.

Afin de conférer un caractère plus progressif à la contribution, le président-rapporteur et moi-même avons introduit un amendement instaurant un barème proportionnel, adopté par le Parlement.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a également censuré cette contribution. Il a estimé que le législateur avait instauré une différence de traitement entre les personnes morales et les personnes physiques, dès lors que, pour les personnes morales, l’assiette dépendait du nombre d’associés. Selon lui, la différence de traitement était sans rapport avec l’objet de la disposition. Par conséquent, la disposition contrevenait au principe d’égalité.

Ce fonds doit distribuer des aides à l’installation et au maintien, dans le contexte de la réforme du système d’installation. Son objectif est la garantie d’un maillage territorial satisfaisant. J’y suis personnellement très attachée. Il s’agira de lui trouver une nouvelle source de financement.

S’agissant justement, en deuxième lieu, des règles relatives à l’installation des professionnels, la phase d’application de la loi a suscité des incompréhensions. Rappelons que la loi apporte une réponse à une situation marquée par l’excessive restriction de l’accès aux professions.

Les professionnels installés étaient impliqués à la fois dans l’évaluation des besoins en nombre de professionnels et dans les procédures de nomination, sans qu’ils aient intérêt à l’ouverture de leurs professions. Cette logique d’autorégulation a été inefficace et source de tensions.

Voilà pourquoi la loi a instauré, pour les commissaires-priseurs judiciaires, pour les huissiers de justice et pour les notaires, un système de liberté d’installation régulée. Il repose sur une distinction entre deux types de zones géographiques, déterminées par une carte que le Gouvernement arrête sur proposition de l’Autorité de la concurrence : les zones de libre installation, dites « zones vertes » et les autres zones, dites « zones orange ».

Les zones vertes sont celles où l’implantation d’offices supplémentaires est utile pour renforcer l’offre de services. Les zones orange sont celles où les besoins sont a priori satisfaits.

Pour comprendre les difficultés qui sont apparues dans l’application de la loi, il est nécessaire de se pencher sur les critères qui ont conduit à la construction de la carte pour les notaires. L’Autorité de la concurrence a considéré que l’échelle pertinente était celle des zones d’emploi de l’INSEE. Pour déterminer si une zone devait être classée en zone verte ou en zone orange, elle a utilisé le critère du chiffre d’affaires par notaire installé dans la zone. Au-delà d’un certain seuil, l’Autorité de la concurrence considère que l’offre peut être renforcée par la création d’offices, menant à la nomination d’un certain nombre de notaires libéraux supplémentaires. Elle a identifié 247 zones vertes. Pour chacune de ces zones, un objectif exprimé en nombre de notaires libéraux supplémentaires est fixé. J’insiste sur le mot « supplémentaire », parce que, selon le raisonnement de l’Autorité de la concurrence, la nomination dans une zone donnée d’un notaire déjà installé à un office créé dans la même zone, ne renforce pas l’offre de services.

Pour les notaires, l’Autorité a recommandé que 1 650 notaires libéraux supplémentaires soient nommés. Par l’arrêté du 16 septembre 2016, le Gouvernement a confirmé la carte proposée par l’Autorité, en précisant qu’il y avait lieu de raisonner en nombre d’offices. Au total, il prévoit la création de 1 002 offices supplémentaires devant mener à la nomination de 1 650 notaires libéraux. Si, à l’issue du délai d’un an, dans les zones dont le nombre d’offices créés est conforme à la recommandation, l’objectif en termes de nombres de notaires libéraux n’est pas atteint, le garde des sceaux reprend l’instruction des dossiers pour atteindre ce nombre.

Dans les zones qui ne sont pas classées « zones vertes », en vertu de l’article 52 de la loi, rien n’interdit au garde des sceaux de nommer des candidats à l’installation. Le classement en zone orange incite seulement à un examen approfondi, au cas par cas, des dossiers. D’ailleurs, la loi impose au garde des sceaux de motiver le rejet d’une candidature dans ces zones, après un avis public de l’Autorité de la concurrence.

Ces éléments rappelés, revenons sur la procédure de nomination qui a cours, en ce moment, pour les notaires. Il s’agit d’être précis sur ce sujet complexe. Des décrets, du 29 juin et du 9 novembre 2016 ont permis aux SEL et aux SCP d’officiers publics et ministériels – et notamment de notaires –d’être titulaires de plusieurs offices : c’est ce que l’on appelle la multititularité. Cette disposition est le résultat d’un arbitrage dont la mission d’information n’a absolument pas eu connaissance. La loi ne la rend pas nécessaire et elle a été introduite à la seule initiative du Gouvernement. Elle pose de nombreux problèmes et peut aller jusqu’à remettre en question la notion même d’office.

Les décrets du 9 novembre sont intervenus seulement une semaine avant l’ouverture du dépôt des candidatures pour les notaires. Dans toutes les zones vertes, le nombre de demandes enregistrées dans les premières 24 heures a été supérieur au nombre de recommandations pour la zone. Il y avait donc lieu de procéder à des tirages au sort dans chacune des 247 zones vertes, conformément aux dispositions du décret du 20 mai 2016.

Or, la faculté pour les sociétés de détenir plusieurs offices a perturbé le déroulement de la procédure et a suscité l’incompréhension quasiment générale.

À partir du moment où cette possibilité a été ouverte par les décrets que j’ai mentionnés, il devenait impossible de refuser aux sociétés existantes de participer au tirage au sort. Au total, le ministère de la justice a enregistré près de 30 000 demandes de nomination, de nombreux demandeurs ayant effectué plusieurs demandes, comme le décret du 20 mai 2016 le permet. À ce stade, il n’est pas possible de connaître le nombre total de sociétés existantes parmi les demandeurs. Au 1er février 2017, sur les 74 zones préinstruites, 9 % des demandes émanaient de sociétés existantes.

Il y a un risque important que les nominations de sociétés existantes viennent mécaniquement réduire le nombre de nouveaux notaires libéraux supplémentaires initialement prévu. Néanmoins, s’il n’est pas envisageable d’empêcher les sociétés existantes d’être candidates à la création d’offices supplémentaires, leurs nominations ne saurait réduire le nombre de « places disponibles » pour les primo-installants.

Je suggère deux pistes pour qu’in fine, 1 650 nouveaux notaires soient nommés, sans fermer la nomination de sociétés existantes dans des offices créés. Toutes deux se fondent sur la méthode de l’Autorité de la concurrence pour évaluer les besoins en offre de service.

Premièrement, lorsqu’à l’issue d’un délai d’un an, on examinera dans les zones où le nombre d’offices créés est conforme à la recommandation si l’objectif exprimé en nombre de notaires libéraux nommés a été atteint, je suggère de ne prendre en compte que les nouveaux notaires nommés. Cela n’empêcherait en rien les sociétés existantes de candidater, mais leurs candidatures ne viendraient pas diminuer le nombre de nouveaux notaires installés.

Deuxièmement, en toute logique, une zone verte dans laquelle le nombre de nominations atteint les recommandations répond ensuite au régime de nomination d’une zone orange. Ainsi, toute demande supplémentaire ne peut faire l’objet d’un refus que s’il est motivé et après avis rendu public de l’Autorité de la concurrence. Une zone qui deviendrait saturée artificiellement par des créations d’offices sans nouvelles associations de la part de sociétés déjà installées dans la même zone, ne permettrait pas de rapprocher le chiffre d’affaires par notaire libéral de la zone de sa cible.

En pareils cas, il est probable que l’Autorité de la concurrence, sollicitée par le garde des sceaux, considère avec bienveillance les demandes d’offices à créer venant de primo-installants, bien que son avis ne lie pas le ministre de la justice. Il est toutefois loisible au ministre de la justice de nommer des notaires primo-installants supplémentaires dans une zone verte qui serait artificiellement saturée.

L’urgence est désormais de nommer ces professionnels et donc de procéder aux tirages au sort. Après la suspension par le juge des référés du Conseil d’État du premier arrêté fixant les modalités pour les tirages au sort, les garanties de régularité de la procédure ont été renforcées par un nouvel arrêté. Les tirages au sort ont repris, sans qu’il ait été possible de conserver les résultats obtenus antérieurement à la suspension par le Conseil d’État. Ils ont désormais lieu tous les mercredis à la Chancellerie. À ce jour, 29 zones ont été tirées au sort.

Pour les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice, les arrêtés concernant la carte et les recommandations de nomination sont au stade de la finalisation. L’ouverture des candidatures devrait intervenir avant le 31 mars prochain, selon les informations communiquées par le ministère de la justice.

Concernant la réforme de l’accès à la profession d’avocats aux conseils, je regrette que nos remarques sur la procédure de nomination n’aient pas été entendues. Malgré les réticences que le président-rapporteur et moi-même avons exprimées, nous constatons avec regret que la commission chargée de classer les candidats aux offices créés n’a pas été supprimée. La logique de l’entre-soi perdure au sein de cette profession.

S’agissant en troisième lieu de l’interprofessionnalité, la loi a permis d’assouplir les conditions de détention de capital des sociétés et a ouvert la possibilité d’exercer en commun plusieurs des professions du droit et du chiffre. L’objectif de ces aménagements a été de moderniser le cadre juridique de l’exercice des professions du chiffre et du droit pour favoriser le développement d’une offre de services au plus près des besoins des clients. Ces changements, d’une grande portée, manifesteront leurs effets sur le long terme.

Pour ce qui est de l’interprofessionnalité capitalistique, parmi les évolutions permises par la loi Croissance, je veux en souligner trois :

– d’abord, la possibilité nouvelle pour les SEL des professions juridiques ou judiciaires d’une détention majoritaire par des professionnels exerçant une autre profession juridique ou judiciaire que celle constituant l’objet social de la société ;

– ensuite, l’ouverture du capital de ces sociétés aux professionnels européens ;

– enfin, l’assouplissement des conditions de détention du capital et des droits de vote pour les sociétés pluriprofessionnelles de participations financières.

Concernant l’interprofessionnalité d’exercice, le législateur avait habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour faciliter la création de sociétés ayant pour objet l’exercice en commun de plusieurs des professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d’huissier de justice, de notaire, d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d’expert-comptable.

Sur ce fondement, l’ordonnance du 31 mars 2016 dispose que la société pourra revêtir toute forme sociale, dès lors qu’elle ne confère pas aux associés la qualité de commerçant. Elle renvoie aux statuts des sociétés pluriprofessionnelles d’exercice le soin de comporter des stipulations propres à garantir le respect des obligations déontologiques propres à chacune des professions.

Enfin, un mot sur la création de la profession de commissaire de justice. L’ordonnance du 2 juin 2016 fixe les règles relatives au statut de cette nouvelle profession, issue du rapprochement entre les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice. Ses dispositions entreront en vigueur au 1er juillet 2022.

Au total, en intégrant les mesures de niveaux 2 et 3, ce sont 26 décrets, 12 arrêtés et 4 ordonnances qui ont été publiés sur la partie relative aux professions réglementées.

Mes chers collègues, la loi pour la croissance et l’activité est également la loi pour l’égalité des chances économiques. Les dispositions sur les professions du droit s’inscrivent pleinement dans cet esprit. Cette mission d’information s’est attachée, depuis sa constitution, à ce que le pouvoir réglementaire retranscrive au mieux l’intention de la loi. La démarche est novatrice. Elle s’est révélée d’autant plus essentielle que la phase d’application de la loi n’a pas été un long fleuve tranquille. On peut simplement regretter que la mission n’ait pas été sollicitée lorsque des arbitrages importants devaient être rendus, en particulier s’agissant du volet relatif à la libre installation des professions.

Le système doit maintenant trouver son rythme de croisière, sachant qu’il se répond désormais pour partie au principe de révisions périodiques propres à adapter le cadre juridique aux situations nouvelles.

Je vous remercie.

 

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