Débat sur l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis

Débat sur l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis

"Je tiens à saluer cette initiative inédite consistant à évaluer l’action globale de l’Etat sur un territoire, et non pas une politique publique en particulier. Ce rapport consiste en effet à photographier, dans une vision d’ensemble, le département de la Seine-Saint-Denis, au regard de sa réalité démographique, sociale et économique et des difficultés récurrentes et emblématiques que ce territoire et ses habitants endurent. Cette démarche pourrait d’ailleurs être reproduite sur des territoires ruraux, qui présentent eux-aussi des signes d’abandon.

Nous pouvons relever quelques chiffres.

Le département compterait 1,6 million d’habitants. Cependant, les experts s’accordent pour estimer qu’il y en a 100 000 à 300 000 de plus, à raison de personnes cohabitant chez d’autres, de l’existence de squats, et de la présence de sans-papiers. Il s’agit ainsi du 3ème département le plus densément peuplé de France avec près de 7 000 habitants au km2.

La Seine-Saint-Denis présente un fort taux de délinquance. Le rapport relève ainsi 7.7 vols violents pour 1 000 habitants, contre 1.5 dans le reste du territoire national. Il s’agit du taux de criminalité le plus important de France métropolitaine, qui peut surement être rapproché du manque d’effectifs dans le domaine de la justice et de la police.

On peut ajouter que ce département comporte le plus faible niveau de vie de la France métropolitaine et le taux de chômage le plus élevé de la région Ile-de-France.

C’est aussi un département extrêmement jeune, puisque l’on compte 22.6 % de la population en-dessous de 14 ans, contre 18.4 % dans le reste du pays.

Enfin, c’est dans ce territoire que l’on enregistre un nombre inégalé de créations d’entreprises et de grands groupes industriels et de services (SNCF, Veolia, SFR, BNP Paribas, Darty, Ubisoft, etc.) qui y ont installé leur siège social. La proximité de Paris et l’aéroport Roissy, le réseau transport en commun très développé, le prix du foncier abordable, en sont les principales explications. A ce propos, je me souviens que des dispositions fiscales de péréquation avaient été votées en première lecture dans le précédent quinquennat et que les députés de Seine-Saint-Denis, de notre majorité, avaient alors protesté. Le bilan que je viens de parcourir, me fait comprendre leur protestation.

Ce bilan de l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis nous convainc des difficultés persistantes et de l’absence de perspectives d’amélioration à court terme, s’agissant tant de l’éducation, de la police que de la justice. Les professionnels sont recrutés à la sortie de l’école, et ce rapport exprime bien la volonté des agents, des enseignants, des cadres, et des magistrats de servir les usagers, mais témoigne aussi de leur lassitude et de leur amertume.

L’Etat veilleur de nuit semble bien s’être endormi. Les demandes de postes, de crédits, de dotations de compensation et les réponses qui sont faites sous chaque gouvernement, ne permettent pas de taire les appels de tous bords. Le maire de Sevran, les enseignants aujourd’hui, les juges des enfants du TGI de Bobigny hier : tous, à un moment ou à un autre, disent que cela suffit.

Aucune politique publique régalienne n’échappe à cette mauvaise image. Les sous-effectifs du TGI de Bobigny ont conduit ces professionnels du droit à publier une tribune en novembre dernier pour dénoncer ce fonctionnement. Ce 2ème tribunal de France après Paris compte des délais de jugement 5 fois plus longs qu’ailleurs. Les quinze juges des enfants dénoncent une justice des mineurs en péril. Faute de moyens, les jugements pénaux sont notifiés dans des délais démesurés, perdant ainsi tout leur sens. Et les mesures éducatives concernant les mineurs ne trouvent une traduction qu’à un an et demi après leur prononcé, dans le meilleur des cas. Ainsi, les justiciables se détournent de la justice et voient leurs droits non respectés.

Les enfants en souffrance ne reçoivent pas non plus l’aide dont ils ont besoin, le département ne pouvant remplir toutes ses obligations. Une réponse de l’Etat est attendue sur la situation des mineurs non accompagnés. La ministre de la justice s’exprimait en réponse à une tribune du département en disant : « Moi je vous dis ceci : je ne nie pas la responsabilité de l’Etat mais je dis que la mise en œuvre des décisions de nature civile comme celles dont vous me parlez qui concernent les enfants, cela appartient aux Départements. » C’est bien l’illustration d’un dialogue de sourd.

Or, le nombre des mineurs étrangers isolés (MNA) a triplé depuis 2015: il est passé de 450 à 1200 en 2018. Ces enfants ont droit à une protection ; et l’Etat ne compense cette enveloppe qu’à hauteur de 10 %.

Les retours de Syrie des enfants, qu’ils soient originaires ou non du département, se font à l’aéroport de Roissy, qui est rattaché au tribunal de Bobigny, et ils relèvent donc de l’Aide Sociale à l’Enfance de Seine-Saint-Denis : 2,8 millions d’euros de dépenses estimées, l’Etat en accorde 250 000. Sa responsabilité est engagée dans cette action.

Le rapport relève un manque de lien et de considération entre l’administration centrale et le terrain. Cette culture doit évoluer.

Pourtant, ces quartiers populaires sont bouillonnants d’initiatives. Des entreprises se créent dans l’industrie, le numérique et la culture. Ce département, comme les territoires ruraux, est un territoire fragile mais aussi fort de son potentiel innovant. Et, pourtant, tous ces territoires et leurs habitants ont le sentiment d’être abandonnés au point de ne plus croire aux initiatives qui pourraient venir de l’Etat.

Il nous faut, en plus des recommandations faites en fin de rapport, auxquelles je souscris, trois recommandations supplémentaires :

Veiller à la mise en place d’outils statistiques fiables, nous permettant d’évaluer les politiques publiques que nos lois aident à mettre en œuvre.

Proposer l’installation de comités d’usagers dans tous les services publics, de sorte que la parole citoyenne puisse être régulièrement entendue.

Porter des budgets en rapport avec les besoins identifiés, et sans doute aussi, travailler à la différenciation des aides selon les territoires. La Seine-Saint-Denis doit être identifiée dans sa spécificité et les domaines régaliens de la police et de la justice exigent très certainement une action distincte de celle qui peut être mise en place dans un environnement différent, avec une stratégie de ressources humaines différente.

L’évaluation parlementaire des politiques publiques de l’Etat doit aboutir à la restauration de l’action publique si besoin. Cette approche d’ensemble de l’action de l’Etat comportant le ressenti des citoyens relève bien du mandat de député ; celui-ci doit trouver sa place dans les territoires, au cœur des administrations, des citoyens, des services publics et constituer un aiguillon salutaire de l’action du Gouvernement.

Nos deux rapporteurs concluent sur des méthodes d’évaluation qu’ils présentent comme différentes. Elles me paraissent au contraire complémentaires, avec comme fil rouge, le questionnement du citoyen au regard des actions menées par l’Etat et résultant souvent de dispositions législatives que nous avons prises en son temps.

Je salue enfin la mise en place d’une mission de suivi. C’est en accompagnant un rapport dans la continuité que l’on peut faire progresser une situation. A sa lecture, le rapport démontre que la Seine-Saint-Denis en a besoin ; comme d’autres territoires, qui attendent des démarches similaires.

Cette évaluation est donc au cœur de nos questionnements. Il dit l’importance de la représentation nationale qui co-construit la loi avec l’Etat et les citoyens et en vérifie l’application."

A lire aussi