Discussion générale sur la proposition de loi "anti-casseurs"

Discussion générale sur la proposition de loi "anti-casseurs"

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame la rapporteure,

En préambule, je souhaite rendre hommage aux forces de l’ordre et à ce métier exigeant et dangereux qu’elles exercent pour nous protéger et garantir l'exercice de ces droits fondamentaux qui fondent notre démocratie.

Déplorer les violences d’où qu’elles viennent, les blessés et plusieurs décès, dans ou en marge des manifestations. Mais aussi les dégâts matériels importants qui mettent en péril de petits commerces qui ont besoin de stabilité..

Mais, dire aussi que ces violences ne sont pas nouvelles et qu’un arsenal juridique existe. Les blacks blocs obligent à d’autres stratégies, une doctrine évoluant vers d’autres pratiques, mais cela reste du domaine réglementaire.

Trois remarques qui sont trois regrets :

1- Après les violences survenues le premier mai 2018, nous avions réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire. Il ne s’agissait pas de mettre en cause les forces de l’ordre mais d’étudier les conditions d’intervention et le mode opératoire, sans complaisance aucune avec les groupes violents (1200 individus cagoulés, membres des blacks blocs avaient causé d’importantes dégradations et jeté des projectiles en direction des forces de l’ordre, 31 commerces saccagés et 6 voitures incendiées, 283 personnes interpellées et 109 gardées à vue). Le refus alors opposé par la majorité nous prive d’une réflexion partagée qui aurait été fort utile. L’Etat de droit que nous défendons exige ces points d’évaluation.

2- La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a d’ailleurs été déposée par rapport aux évènements de mai 2018. Elle avait fait l’objet d’un accueil plus que réservé par le Gouvernement qui en fait désormais une priorité. C’est bien à raison des faits qui se sont dernièrement produits, que ce texte est là. Il n’est donc pas faux de dire que c’est un texte de circonstance.

3-  Une méthode de travail inédite : Nous ne sommes plus dans une procédure accélérée, mais dans une procédure précipitée, une procédure "grande vitesse".

La commission des lois a examiné un "texte à trous". La majorité n’ayant pas trouvé les accords avec le Gouvernement, nous avons voté avec LREM la suppression d’articles, sachant que ceux-ci seraient rétablis en séance par d’autres amendements du gouvernement.

Pourtant un groupe de travail réunissant des juristes et des opérationnels sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur et de la Ministre de la Justice, a été mis en place sur ce sujet précisément et aurait rendu ses conclusions le 15 janvier dernier. N’était-il pas possible de nous rendre destinataire de ces conclusions comme nous l’avions demandé en commission?

Sur le fond, ce texte est considéré comme inutile et dangereux par de nombreux auteurs, en particulier le Défenseur des droits, dont l’analyse doit être entendue avec la plus grande attention dans un domaine aussi sensible que celui-ci.

Nos concitoyens à juste raison, ne comprennent pas les casseurs, et l’impunité des fauteurs du trouble. Nous non plus. Tout délit doit être condamné et tout comportement mettant en danger la liberté de chacun de manifester doit être identifié et sanctionné. Mais les textes existent pour casser les casseurs.

Cette question est d’abord une affaire de justice et non de police.

La sécurité c’est celle des personnes évidemment, mais, c’est aussi la sécurité juridique. Nous en sommes à trois textes sur la sécurité par an. Un texte succède à un autre texte sans avoir fait l’objet d’une évaluation.

Ce sont les moyens humains et matériels dont l’adaptation doit être appréciée avec minutie, qui sont la première réponse à apporter. Tous les représentants du maintien de l’ordre et du renseignement nous le disent.

Dangereux parce que cette proposition de loi pose des questions d’inconstitutionnalité, au regard de mesures disproportionnées qui pourraient être prises.  La transposition du dispositif pour lutter contre le terrorisme ne peut se justifier s’agissant de manifestations.

Prenons l’article 2 qui est le cœur de la proposition de loi.  Il comporte une interdiction administrative de manifester prononcée par le préfet avec recours devant le tribunal administratif par voie de référé, sous 48 heures.

La liberté de manifestation résulte de l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens, elle a été consacrée comme un droit fondamental par le Conseil constitutionnel dans deux décisions de 1995 puis de 2010.

La limitation de cette liberté a été admise dans le seul état d’urgence, au regard notamment de l’objectif à valeur constitutionnelle de la préservation de l’ordre public.

Or une manifestation avec des débordements (que l’on regrette et qui doivent être sérieusement et rapidement réprimés), n’est pas l’état d’urgence que requiert une menace terroriste majeure.

L’interdiction de manifester existe dans le droit positif sous la forme d’une peine complémentaire prononcée par le juge pour des personnes qui se sont rendues coupables d’infractions de violences, voies de fait, dégradation) lors de manifestations et sa violation expose à 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Il s'agit donc pour la justice de se saisir de cette peine et de l'appliquer pour une période donnée au regard d'infractions commises et condamnées.

Guy Braibant, disait « Les crises laissent derrière elles, comme une marée d’épais sédiments de pollution juridique ». Mon collègue Alain Tourret dans une situation similaire, avait cité ce grand administrativiste, en nous exhortant à ne pas à la fois parler de simplification et densifier un dispositif législatif dont nous savons même pas à ce stade si l’existant est appliqué et comment.

A lire aussi