Discussion générale sur le projet de loi de modernisation de la fonction publique

Discussion générale sur le projet de loi de modernisation de la fonction publique

Ce projet de loi génère beaucoup de critiques. Mes collègues députés Vallaud et Karamanli l’ont exprimé au nom de notre groupe politique. Je dirai simplement que réformer la fonction publique et l’adapter aux évolutions de notre société, ce n’est pas nécessairement la démolir. Avant de s’engager dans un tel processus, il nous faut rappeler que les fonctionnaires sont d’abord des serviteurs de l’intérêt général, qui renoncent à  des droits et assument des contraintes fortes pour assurer la continuité, la probité et la qualité du service public.

C’est souvent un sacerdoce d’être au service de l’Etat, des collectivités locales ou d’un service hospitalier. On ne dit jamais assez que beaucoup font du bénévolat pour garantir un service public de qualité. J’en ai rencontré de très nombreux pendant ma vie professionnelle. Je sais par exemple que la réforme recentrée et accélérée de Parcoursup a exigé un engagement hors norme de nombreux fonctionnaires dans l’université, lesquels n’ont pas compté leurs heures et se sont acharnés pour proposer dans des conditions très compliquées, le dispositif le plus lisible et juste.

Permettre ainsi le recrutement élargi de contractuels aux postes de la fonction publique, sans un éclairage systémique et une réflexion sur les missions, suscite notre opposition. Parce que nous savons que c’est placer l’agent dans la main de l’employeur, avec tout ce que cela implique de négatif vis-à-vis de l’usager. C’est prendre le risque de voir des personnels sans formation occuper des postes, d’enseignant par exemple, dans nos campagnes en particulier, faute de filières construites et suffisamment rémunératrices. Nous voyons tous le risque de  conflit d’intérêt et de corruption.

C’est parce que cette dernière préoccupation est essentielle à mes yeux que je vais centrer mon propos sur les orientations nouvelles que nous avons dégagées sur l’article 16 relatif à la déontologie.

Un bref regard en arrière et 4 observations : 

La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a exprimé pour la première fois la volonté du législateur de consacrer un corpus déontologique commun à l’ensemble des agents publics, fonctionnaires ou non. Elle apparaît comme un texte fondateur, comme l’analyse le professeur Olivier Dord.

Un pas vers un même corpus déontologique a été effectué par la loi organique du 8 août  2016 relative aux magistrats, et une proposition de loi organique votée par l’Assemblée nationale en 2017 a consacré de telles obligations  aux membres du Conseil constitutionnel. Il ne reste plus qu’au Sénat de s’en saisir.

Enfin, la loi de 2016 sur la transparence et la lutte contre la corruption qui s’inscrit dans ce cheminement tracé par la loi de 2013 mettant en place la HATVP, complète ce dispositif qui fait honneur à l’Assemblée nationale, ainsi que l’exprimait - et je l’en remercie - Olivier Marleix lors de l’examen du présent texte en Commission des lois.

Mais, nous avons, nous aussi, connu des déceptions au constat de décrets réduisant la portée de la loi sur le rôle transparent des lobbys sur la décision publique. Un long chemin reste à parcourir.

 

Ces critiques et remarques préliminaires étant faites, je ferai 4 observations :

1) La Haute autorité de la transparence de la vie publique est une autorité administrative indépendante majeure par son objet et particulièrement originale par sa composition et la nomination à sa tête d’un magistrat de la Cour de cassation. Au-delà de la personnalité de Jean-Louis Nadal qui a porté une vision exigeante et pragmatique dans un domaine très nouveau et explosif, le recours à un magistrat qui a exercé des responsabilités juridictionnelles au plus haut niveau, a démontré toute la pertinence d’un tel choix, au demeurant unique s’agissant des AAI.

Lors de l’examen de l’article 16, fortement amendé par beaucoup d’entre nous, il est vite apparu que le maintien de la commission de déontoloqie de la fonction publique au sein de la HATVP avec la création de deux collèges distincts, voire deux AAI, était pire que de ne rien faire. En quelque sorte une greffe qui ne pouvait pas prendre et constituait un danger vital pour l’AAI que nous défendons. 

2) Seconde observation, la HATVP doit devenir la tête de réseau de la déontologie de la vie publique.

La réduction du périmètre des avis soumis à la commission de déontologie de la fonction publique avec le renforcement du rôle du supérieur hiérarchique et du référent déontologue au sein des administrations ayant été posée par le projet de loi, il importe dès lors de conforter la HATVP en tête de réseau de la déontologie.

Rappelons que cette institution, depuis sa création, a une démarche pro-active, elle a pris contact et elle seule, avec les référents déontologues pour apprécier le travail sur le terrain. Ceux-ci évoquent avec beaucoup d’intérêt le travail d’accompagnement déjà mené par la HATVP et saluent son esprit d’initiative.  Elle vient d’ailleurs de publier un guide pratique à l’attention des référents déontologues et des responsables publiques, fort utile. Elle est donc prête à aller plus loin.

Le référent déontologue dont le rôle va devenir central, doit disposer d’une jurisprudence cohérente issue des avis rendus par l’institution dans tous les domaines de sa compétence et dans ce champ complexe de la prévention du conflit d’intérêt. Il doit disposer d’une expertise déontologique lui permettant d’affirmer son rôle de conseil.  

3) C’est aussi une des raisons et c’est ma troisième observation pour lesquelles je partage après réflexion, l’objectif ici repris par la rapporteure Emilie Chalas et le député Matras,  de rendre publics sans anonymisation les avis rendus par  La HATVP.

Nous connaissons le risque d’inconstitutionnalité au regard du principe de protection de la vie privée qui pèse sur cette mesure. Mais d’une part, la HATVP qui a publié beaucoup d’avis, a toujours sû prendre en considération cette préoccupation et d’autre part, une telle transparence est déterminante pour enrichir la réflexion et la jurisprudence. Au demeurant, cette publication ne concerne que celles et ceux qui volontairement font un choix de changement appelant des garanties dictées par l’intérêt général.

Ces avis doivent s’inscrire dans les objectifs de la loi de 2016 pour une République numérique ; ils doivent être en open data, mais pas seulement en données brutes : un moteur de recherche doit être mis en place par la HATVP pour permettre aux référents déontologues et aux chercheurs de pousser leurs analyses et participer ainsi à l’animation et la diffusion de la culture déontologique.

4) Nos amendements traiteront de la composition de cette HATVP confortée dans son rôle déontologique. Je ne m’étendrai pas, il nous faut veiller à la présence de personnalités qualifiées qui ne soient pas issues des grands corps et reflètent la diversité de l’action publique et les exigences  de la société. Je suis particulièrement sensible à la présence d’universitaires spécialistes de ces questions, statutairement indépendants et qui ont trop longtemps été tenus éloignés de ces lieux majeurs de décision publique. Cela s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la voie ouverte dernièrement par le Président de la République.

Nous allons trouver une solution partagée sur l’article 16. Reste son application. Nous devrons être vigilants sur les décrets comme sur les moyens donnés à la HATVP.

La construction ainsi opérée résulte d’un cheminement rigoureusement pensé depuis 2013 et 2016, pour garantir aux citoyens une forme d’exemplarité de la vie publique et des décisions publiques prises en toute transparence des pressions exercées par les lobbys et sans conflit d’intérêt.

Ce combat est majeur pour renforcer la cohésion de notre société. Il n’est pas terminé, loin s’en faut.

La prochaine étape sera de débattre dans un autre texte à venir, de la constitutionnalisation de la HATVP. L’Observatoire de l’éthique publique, dont nous sommes plusieurs parlementaires sur différents bancs à être membre, porte aussi cette ambition.  

Il s’agit de pérenniser cette institution, comme la Constitution le fait pour le Défenseur des droits et ainsi la placer à l’abri des aléas législatifs.

Renforcer juridiquement et symboliquement la déontologie de la vie publique et la lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption, à l’heure du numérique et de la mondialisation et des doutes sur la probité et l’impartialité de l’action publique, c’est aussi le sens de cette ambitieuse proposition.

Je vous remercie.

Cécile Untermaier

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