Examen de la proposition de loi "anti-casseurs" en commission des Lois

Examen de la proposition de loi "anti-casseurs" en commission des Lois

Ce mercredi 23 janvier, nous avons examiné en Commission des lois, le texte visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs.

Ce texte était porté à l’origine par le sénateur LR de Vendée Bruno Retailleau, et a été voté au Sénat en octobre 2018. Précisons que le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez avait donné un avis défavorable au texte le 23 octobre, avant de le reprendre, début janvier.

Dans sa rédaction initiale, cette proposition de loi prévoit :

- de conférer à l’autorité administrative le pouvoir d’autoriser les forces de sécurité intérieure à procéder à des palpations de sécurité, ainsi qu’à un contrôle des effets personnels des personnes à l’entrée et dans le périmètre d’une manifestation.

- la possibilité de prononcer à l’encontre des individus susceptibles de représenter une « menace d’une particulière gravité » pour l’ordre public, des interdictions administratives de manifester personnelles, assorties le cas échéant d’obligation de pointage dans un commissariat ou une gendarmerie.

- la création d’un fichier national des personnes interdites de manifestation.

- la transformation en un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, de l’infraction de dissimulation volontaire du visage dans des circonstances faisant craindre des troubles à l’ordre public, actuellement punie d’une contravention.

- l'élargissement de l’infraction de participation à une manifestation en étant porteur d’une arme.

- d'étendre le champ des peines complémentaires d’interdiction de manifester aux délits de participation à un groupe violent, de participation délictueuse à une manifestation illicite sur la voie publique, de dissimulation du visage.

- l'instauration d'une présomption de responsabilité collective en matière de dommages causés à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique.

La majorité comme l'opposition, à l'exception des Républicains (LR), a dénoncé un texte dont les mesures sont liberticides. Par ailleurs, il a été reproché de faire une fois encore une loi de circonstance dans la suite des évènements du 1er mai 2018 et de prévoir des dispositions inutiles.

L’interdiction de manifester est un droit constitutionnellement garanti et ne peut normalement être prononcée que dans un cadre judiciaire sous la forme d’une peine complémentaire à certaines infractions commises lors de manifestation. Par ailleurs, ce n’est pas parce que le traitement judiciaire dans l’urgence de faits délictuels commis en masse dans le cadre d’une manifestation est complexe, qu’il faut pour autant s’affranchir du contrôle de l’autorité judiciaire et s’extraire du respect des libertés et droits constitutionnels. Sur bien des aspects, ce texte procède à la généralisation de dispositions de l'état d'urgence ou à l'extension au droit commun de dispositions réservées à la lutte contre le terrorisme.

Cette proposition de loi est également dénoncée, y compris par le Gouvernement, comme inutile sur bien des aspects. L'arsenal législatif et réglementaire étant suffisant. C'est donc davantage une question d'évaluation et d'application des dispositifs existants et de coordination des différents acteurs, qui se pose.

Aucun des articles du texte ne peut être adopté en l'état. Il s'agit de peser prudemment les avancées qui peuvent être faites dans le domaine de la prévention des incidents pouvant émailler une manifestation, sans doute par une meilleure connaissance des personnes dont le comportement délicteux pendant des manifestations a déjà fait l'objet de procédures et de condamnations. Le débat devra ainsi porter sur le caractère préventif de mesures qui pourraient être confiées aux préfets en amont de manifestations. Il sera aussi question de l'éventuelle constitution d'un fichier, sous controle de la CNIL, des personnes condamnées pour des faits lors de manifestation et du caractère délictuel du port d'une cagoule aux abords ou dans la manifestation, le délit permettant l'interpellation et la garde à vue de la personne volontairement cagoulée.

Ces questions sont complexes, elles portent en elles des dérives possibles vers des privations de liberté que l'on ne peut admettre. C'est pour cette raison que nous regrettons les conditions dans lesquelles nous travaillons actuellement, sur un texe qui nous est soumis à la hâte, sans étude d'impact et sans même le relevé de conclusions d'un groupe de travail justice-intérieur rendu le 15 janvier sur ce sujet.

Pour autant, tout doit être mis en place pour aider policiers et gendarmes dans les opérations de maintien de l'ordre, toujours très délicates, lors de ces manifestations. Cela passe d'abord et indiscutablement par plus de moyens humains et matériels (les unités de gendarmerie ne sont pas équipées de casques par exemple), et très certainement aussi par un changement de statégie et de doctrine de maintien de l'ordre. 

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