Révision constitutionnelle: audition de la ministre de la Justice

Révision constitutionnelle: audition de la ministre de la Justice

Madame  la ministre,

Madame la présidente,  

Mes chers collègues,

Je tiens tout d’abord à remercier Madame la ministre pour la présentation de ce dispositif.

Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions ici dans la précédente législature, avec pour la première fois la mise en place d’une mission parlementaire composée de différents acteurs, ouverte à la presse et aux citoyens en direct par la vidéo.

L’Assemblée nationale a poursuivi ce travail de manière différente au sein de groupes de réflexion mis en place depuis 2017.

Les textes qui nous sont présentés suscitent ou susciteront beaucoup de discussions parce que nous y avons beaucoup réfléchi collectivement en amont. Nous touchons à l’ADN des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, qui fondent notre démocratie.

Loin de s’en plaindre, le Gouvernement doit admettre l’interaction salutaire et entendre les parlementaires s’exprimer sur ce qu’ils connaissent bien, aiment et veulent voir évoluer, à savoir une Ve République robuste, mais qui doit s’adapter au monde du XXIe siècle.

Depuis 1958, cette République a vu s’installer l’Europe, la mondialisation, la révolution numérique, l’accélération du temps qui rythme nos vies,  les enjeux écologiques,  l’effondrement de la biodiversité et les risques planétaires, mais aussi plus que jamais la distance entre gouvernants et gouvernés, pour reprendre une expression du professeur au Collège de France,  Pierre Rosanvallon. 

 

Ceci dit, plusieurs remarques qui se veulent constructives peuvent être formulées:

- Sur la méthode, trois textes en réalité intimement liés dont l’examen séparé ne nous  permet pas un vote différencié.

- L’ambition n’est pas au rendez-vous. C’est un toilettage utile mais avec un retour anachronique vers un exécutif puissant.

- Trois points particuliers :

La suppression de la Cour de justice de la République, oui, c’est une vieille revendication, mais pourquoi la remplacer par un nouveau régime d’exception ?

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, oui, mais nous devons aller plus loin en laissant au Conseil supérieur les propositions de nomination des magistrats du parquet.

Le droit des collectivités (locales, la Corse, à statut particulier ou l’Outre-mer) à la différenciation dans l’application des dispositions législatives, oui, mais nous avons besoin de discuter dès à présent des conditions dans lesquelles ce droit sera mis en œuvre, et donc le contenu de la loi organique à laquelle renvoie le projet de loi constitutionnelle.

De manière plus fondamentale encore :

1- Ce texte est présenté comme répondant à un enjeu démocratique ; en réalité il concentre les pouvoirs sur l’exécutif et fait du citoyen le grand absent.

  • Sur l’absence d’ouverture aux citoyens :

Ce n’est pas au CESE en charge de la société civile organisée, de pallier ce manque, mais bien aux élus que nous sommes. 

Il ne s’agit pas non plus de remettre en question la démocratie représentative, mais celle-ci ne se limite plus au temps électoral. Elle s’inscrit dans le temps du mandat, dans la proximité et l’impartialité. Il nous faut dire cela dans la loi fondamentale.

Ne surfons pas sur l’antiparlementarisme, qui n’a rien de nouveau mais qui est dangereux et nous rappelle fâcheusement un état d’esprit, sinon une idéologie inquiétante, qui par le passé a conduit aux malheurs que vous savez.

La France doit gagner en modernité et en démocratie. Depuis 2008, qui a été une grande révision constitutionnelle de l’équilibre, le citoyen peut accéder au juge constitutionnel. Ne faisons pas machine arrière.

L’Assemblée a laissé survivre un droit de pétition, il nous faut le relever de sa désuétude et ne pas laisser subsister sans changement un référendum dit d’initiative populaire qui n’en est pas un…

  • Les rouages d’un Etat de droit sont fragiles, notre démocratie est fondamentalement parlementaire. Sinon, il nous faut changer de Constitution.

La prééminence massive de l’exécutif dans l’agenda parlementaire pose question.

L’examen d’un texte de loi par une seule commission, au regard des conséquences démocratiques qu’il implique, exige selon nous à ce stade de la discussion l’unanimité des groupes politiques de l’Assemblée.

Les irrecevabilités opposées aux amendements des députés, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de portée normative, nous interrogent. Il est parfois utile dans un texte d’exprimer une orientation dépourvue de valeur normative mais éclairant sur les décisions prises. Le législateur n’est pas qu’un « édicteur » de normes. Il parlemente. Nous supposons que cette irrecevabilité s’impose au Gouvernement… (et dans cette hypothèse, les listes transnationales pour lesquelles j’ai personnellement votées, sans portée normative, ne pourraient plus figurer dans la loi).

Je terminerai avec les risques planétaires identifiés par la COP 21, qui doivent être complétés ; le climat cache la forêt et la lutte contre l’effondrement de la biodiversité nous commande un dispositif constitutionnel, sauf à démontrer que la charte de l’environnement suffit à cet office.

Il est nécessaire d’identifier des principes dans la loi fondamentale qui nous permettraient de lever les obstacles opposés actuellement par le Conseil constitutionnel, lorsque nous prenons des dispositions tendant vers une société plus juste. La liberté d’entreprendre à laquelle nous sommes tous très attachés et dont le gouvernement simplifie l’exercice, doit sans doute trouver des limites constitutionnelles qui sont encore à préciser. 

Un chêne n’est solide que jusqu’à qu’il casse. Derrière la robustesse de l’actuelle constitution, se cache une raideur et un manque d’écoute et d’ouverture vers les citoyens, vers notre environnement, peu adaptés au XXIe siècle. Il y a urgence à introduire cette dimension et ouvrir l’espace démocratique pour fonder légitimement les décisions publiques que nous prenons.

C’est en ce sens que nous travaillerons.

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