Vote des projets de loi de réforme de la justice et d’organisation des juridictions

Vote des projets de loi de réforme de la justice et d’organisation des juridictions

« La justice doit être un objet de débat, non de combat » disiez-vous Madame la ministre, devant cette Assemblée. Nous défendons nous aussi l’importance de la délibération parlementaire. Et c’est pourquoi j’ai abordé ce texte sans opposition de principe, avec la volonté d’accueillir les bonnes propositions et d’écarter celles qui nous semblaient ne pas aller dans le sens de ce que nous attendons de la justice.

C’est précisément cet attachement à la délibération parlementaire qui nous a fait contester de manière aussi forte partout sur les bancs de l’opposition, cet amendement présenté par le Gouvernement en séance publique, visant à réformer la justice des mineurs. Les missions, pour utiles qu’elles soient, ne sont pas le débat parlementaire.

C’est toujours cet attachement à la délibération parlementaire, ce grand débat permanent, qui devrait permettre de surmonter les oppositions, entendre les inquiétudes des professionnels et voir émerger une décision qui fait consensus, ce que Gambetta appelait d’ailleurs « la politique tirée du suffrage universel », qui nous fait regretter aujourd’hui un texte modifié à la marge et autant controversé.

Cinq observations :

1-Nous sommes favorables au guichet unique, facilitateur pour le justiciable. Et pourquoi pas, à un tribunal judiciaire. Mais encore fallait-il introduire dans le texte, comme nous vous le demandions, les garanties de maintien d’une justice de proximité.  Vous comprendrez que le législateur ne peut se satisfaire de promesses. La spécialisation des juridictions sans limites fixées par la loi et l’absence d’ancrage des tribunaux actuels en tant que lieux de justice, sont autant d’outils au service d’une réorganisation judiciaire qui pourra ainsi se faire loin de nous.

2- Nous sommes tous très favorables à la dématérialisation et à tirer avantage de la révolution numérique. Nul doute que de grands changements sont à prévoir dans les services publics, mais nous n’en sommes pas encore là. Dans la France de 2019, la fracture numérique crée la précarité et l’usager doit être accompagné.

S’agissant des plateformes numériques, il nous est difficile d’admettre qu’aucune mesure d’ordre législatif ou réglementaire vienne réguler l’offre de justice qui pourra être faite par n’importe quelle plateforme. L’Etat qui doit être le veilleur de nuit d’un service régalien, ne peut abandonner ce vaste champ de la justice hors les murs, hors les juges, aux marchands du droit et du numérique.

3- Nous considérons que « le juge ne doit pas se décharger sur d’autres de ses tâches : c’est son honneur et son devoir ». Il ne le demande d’ailleurs pas. Confier aux CAF la révision d’une pension alimentaire, alors même qu’il y a désaccord entre les parties, prive le juge de sa mission de trancher un litige. L’expérimentation ne doit pas déroger aux principes de justice.

4- La simplification de la procédure pénale et l’extension utile des pouvoirs d’enquête ne peuvent se faire au détriment des libertés individuelles ; c’est ce que rappelle le Défenseur des droits. C’est ce que disent aussi les référents des chantiers de la justice, consultés à raison de leurs compétences, quand ils recommandent un seuil unifié de cinq ans, et non de trois ans, pour autoriser l’utilisation des techniques les plus intrusives, attentatoires à la vie privée.

5- La suppression partielle des jurys d’assises nous semble venir à contresens d’un moment où le renforcement des liens entre la population et l’institution judiciaire est réclamé jusque sur les ronds-points. Tocqueville disait: « le jury revêt chaque citoyen d’une sorte de magistrature. » Les nouvelles Cours criminelles prétendent constituer un remède à l’allongement des délais de jugement. Nous redoutons que le remède soit bien pire que le mal et qu’il ne serve qu’à augmenter le nombre des magistrats à titre temporaire au lieu des citoyens.

Enfin, le projet de loi élude aussi certaines questions, pourtant fondamentales. Il aurait notamment fallu répondre aux attentes légitimes des français, dont 95% estiment la justice trop lente. Une justice efficace est une justice qui, non seulement rend des jugements dans un délai raisonnable, mais qui exécute aussi ses décisions. Or, rien n’est fait dans ce sens.

Une justice efficace consiste-elle aujourd’hui à écarter le juge, le citoyen, ou l’avocat ? A promouvoir les plateformes de médiation sans régulation ? Non, « la justice, et donc les juges, doit s’organiser autour des citoyens : être plus proche d’eux et plus accessible ». Ce sont les mots mêmes d’Emmanuel Macron en introduction de son programme pour la justice. Nous ne retrouvons pas ici la traduction souhaitée de cette promesse. C’est la raison pour laquelle, malgré les points positifs indiscutables et importants que sont les orientations sur le sens et l’efficacité de la peine et les efforts budgétaires, malgré ce travail que vous avez mené avec les rapporteurs, dont je tiens à saluer ici encore les qualités, le groupe socialiste et apparentés, après discussion, a décidé de voter contre le projet.

Article du Monde publié le 19 janvier 2019

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