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La confidentialité des consultations des juristes d'entreprise actée avec difficulté en séance publique

La confidentialité des consultations des juristes d'entreprise actée avec difficulté en séance publique

La proposition de loi contestée relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise a été débattue cette semaine en séance publique.

Ce texte dispose que les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur, bénéficieront de la confidentialité.

L’initiative est justifiée par la nécessité de renforcer l’attractivité de la France dans le domaine économique : « La France, par l’absence de toute confidentialité des avis des juristes d’entreprise, se singularise parmi les pays de l’OCDE. Cette situation nuit objectivement à l’attractivité de la France : de nombreuses directions juridiques choisissent de s’établir dans des pays qui bénéficient de ce cette protection ; d’autres sociétés, qui restent en France, font le choix de ne pas recruter de juristes d’entreprise français et se tournent vers des lawyers anglo‑saxons. »

Mais ce nouveau régime risque de limiter et contraindre les enquêtes. A l’heure où le Gouvernement évoque sans cesse la nécessité de renforcer l’efficacité de l’Etat pour lutter contre les atteintes à la loi, ce texte va amoindrir les capacités des autorités administratives (autorité des marchés financiers, autorité de la concurrence) à enquêter. La limitation du pouvoir de contrôle des différentes autorités affaiblirait notre système de régulation et compromettrait durablement le respect de la conformité aux normes légales. 

Mon intervention en commission des Lois :

"Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre de la Justice,

Chers Collègues, 

Monsieur le Rapporteur, cher Jean avec qui j'ai toujours travaillé de manière très positive,

Mais là, vous m'excuserez, je n'arrive pas à être d'accord avec vous. Et pourtant j'essaye toujours de trouver les voies qui permettent de trouver un compromis.

1/ Le sujet dont fait l’objet la proposition de loi ici discutée est un véritable serpent de mer. Lorsqu’il réapparait déjà en 2015, le ministre de l’Economie d’alors, Emmanuel Macron, s’y oppose. 

Et voilà que le dossier nous est représenté, sous la forme d’un amendement sénatorial dans la loi de programmation du ministère de la Justice, amendement finalement censuré par le Conseil constitutionnel. Et désormais sous la forme d’une proposition de loi de la majorité, et dans une version identique au Sénat. 

2/ Sur la forme, cette proposition de loi implique de nombreuses conséquences, qui interrogent l’application du droit et sert l’objectif de s’y soustraire, ne s’accompagne d’aucune étude d’impact.

L’argument servi est celui de la compétitivité juridique de la France. Nous ne disposons d’aucune étude documentée sur les besoins réels des entreprises, qui d’ailleurs n’ont jamais exprimé cette demande, que ce soit les PME, les ETI ou les grands groupes que je rencontre sur le terrain. Et lors de son audition, le MEDEF ne m’a pas paru convaincant et convaincu.

Un amendement de la majorité adopté en commission des Lois ajoute un rapport sur les conséquences de ce dispositif, 3 ans après la publication de la loi. C’est dire l’opacité dans laquelle nous nous engageons. Le législateur préfère l’étude d’impact au rapport a posteriori. 

3 / Sur le fond, notre opposition à ce texte s’exprime encore aujourd’hui en séance publique, malgré quelques tentatives d’aménagement par des amendements du rapporteur. 

            A/ Si le gouvernement évoque sans cesse, et à juste raison, la nécessité de renforcer l’efficacité de l’Etat pour lutter contre les atteintes à la loi, ce texte vient amoindrir les capacités des autorités administratives (autorités des marchés financiers, autorité de la concurrence) à enquêter. Il fait même peser un risque d’inconstitutionnalité, d’après l’Union syndicale des magistrats. Allez comprendre !

Les régulateurs sont des acteurs puissants qui participent à l’œuvre de justice. Ils sont tous contre cette proposition, qui s’inscrit à rebours de l’action que nous devons mener en matière de lutte contre la corruption.

Alors qu’un amendement interdisant d’opposer la confidentialité aux autorités de l’Union européenne a été adopté en commission des Lois, pourquoi à tout le moins ne pas faire de même s’agissant des Autorités administratives indépendantes françaises ? Elles savent mieux que quiconque ce qui importe pour enquêter efficacement dans l’intérêt général. 

Peut-on priver la justice, dans l’état où elle est, de ce bras indispensable aux enquêtes que sont les régulateurs ?

          B/ Ce texte vient complexifier le droit, alors que dans le même temps nous travaillons à une simplification de la lisibilité du code de procédure pénal.

Le juge des libertés et de la détention, qui est le recours pour tous les dossiers, devra également s’occuper de ce sujet et de la levée de la confidentialité. Il est étonnant de voir le ministre de la Justice à la manoeuvre pour limiter l'application du droit. Sur la question  de l'attractivité des entreprises, nous attendions Bruno Le Maire... 

           C/ Enfin, ce texte ne permettra pas non plus de créer un rempart entre les entreprises françaises et les administrations étrangères. En effet, il ne pourra être opposé à l’administration européenne. La CJUE ne l’aurait de toute façon pas accepté, le juriste n’ayant pas à ses yeux l’indépendance suffisante compte tenu de son lien de subordination à l’égard de sa direction. Cette protection ne fonctionnera pas non plus dans les autres pays étrangers, et notamment les Etats-Unis, où le legal privilege ne peut s’appliquer que si l’auteur est avocat en entreprise. Les entreprises françaises se croiront donc protégées, alors que cette protection leur sera refusée en cas de contrôle.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte."

La proposition de loi a été difficilement adoptée par 38 voix contre 34 et poursuivra son examen au Sénat.