Le projet de loi de réforme des retraites

Le projet de loi de réforme des retraites

Alors que le Premier ministre doit réunir ce vendredi 10 janvier les partenaires sociaux pour des réunions bilatérales entre 8h30 et 15h30 sur l’équilibre du système de retraite, le Gouvernement vient de saisir officiellement le Conseil d’État sur son projet de loi retraite, qui est également envoyé aux caisses de sécurité sociale pour avis. Selon le secrétariat d’État aux retraites, celui-ci met en forme l’essentiel des dispositions inscrites dans le rapport Delevoye et les annonces formulées par le Premier ministre le 11 décembre dernier.

Il intègre bien notamment un "âge d’équilibre" qui augmenterait progressivement de 62 ans à 64 ans entre 2022 et 2027, sauf si les partenaires sociaux trouvent une meilleure solution pour équilibre le système d'ici 2027. Le Gouvernement estime, d’après les calculs du COR, à 12 milliards d’euros le déficit à combler à cette échéance (10 milliards d’euros en 2025). Or, l’organisation la plus favorable à cette réforme, la CFDT, a clairement dit que c’était la ligne rouge à ne pas franchir et exige que le Gouvernement retire cette mesure du projet de loi pour rentrer dans une discussion pour trouver le moyen d’équilibrer le système.

UNE LOI ORDINAIRE ET UNE LOI ORGANIQUE

Concrètement, le projet de loi tel que décrit par le Gouvernement s’articule autour de deux textes : un projet de loi ordinaire, qui est découpé en cinq titres et un projet de loi organique, qui viendra l’appuyer, sur trois sujets : l’encadrement de pilotage financier du futur système universel par la création d’une règle d’or ; l’élargissement des lois de financement de la sécurité sociale à l’ensemble des régimes complémentaires obligatoire de retraite ; les dispositions nécessaires à certaines catégories pour les intégrer dans le système universel, et notamment les membres des assemblées parlementaires, ainsi que les magistrats de l’ordre judiciaire en application du principe de séparation des pouvoirs.

Les cinq titres du projet de loi ordinaire sont les suivants : le premier a trait aux principes fondamentaux du système universel (mode de calcul de la pension, et niveaux de cotisation) ; le second est dédié aux conditions de départ et d’ouverture de droit (départs anticipés, modalités de départs et transitions entre l’activité et la retraite) ; le troisième porte sur les dispositifs de solidarité (minimum contributif, périodes d’interruption d’activité, droits familiaux et réversion) ; le quatrième détaille l’architecture organisationnelle et le pilotage du système : et le cinquième traite enfin des modalités d’entrée en vigueur et dispositions transitoires.

Le texte pourra encore évoluer pour intégrer le résultat des concertations en cours sur l'équilibre, mais aussi la pénibilité, les transitions ou le minimum contributif notamment, soit avant le conseil des ministres prévu le 24 janvier via des saisines rectificatives, soit par amendement durant la lecture du texte.

L’exposé des motifs de la loi, insiste selon l’exécutif, sur les trois principes au cœur de la réforme que sont "l’universalité", "l’équité et la justice sociale", et enfin "l’esprit de responsabilité".

Titre premier : Principes du régime universel. Dans cette partie est précisé le fonctionnement en point du système avec des points acquis au titre de l’activité professionnelle, avec des cotisations converties en points selon une valeur d’achat et des points de solidarités qui alimenteront un compte en point unique. À la liquidation, le nombre de points sera multiplié avec une valeur de service et le cas échéant un coefficient d’ajustement en fonction de l’âge d’équilibre. "Ces valeurs d’achat et de service seront communes à l’ensemble des assurés", est-il précisé, sachant que l’âge d’équilibre sera déterminé par la gouvernance et les partenaires sociaux, qui définiront ainsi la nouvelle norme du taux plein pour partir en retraite.

La cotisation sur les revenus d’activités est toujours appliquée jusqu’à trois plafonds de la sécurité sociale "avec une partie créatrice de droit à 90 % et une partie déplafonnée à 10 %". En ce qui concerne les mécanismes de transition vers ces nouveaux barèmes, les situations de départ étant hétérogènes et parfois loin de la cible, ils seront organisés par ordonnance sur des durées pouvant aller de 15 à 20 ans - la date de convergence devant être fixée dans la loi. Des exonérations spécifiques seront maintenues (et assumées par le budget de l’État) pour certaines populations bénéficiant de taux réduits de cotisation (mannequins, artistes du spectacle, artistes auteurs, journalistes).

Les travailleurs indépendants cotiseront comme annoncé comme les salariés jusqu’à un plafond de la sécurité sociale, le taux de cotisation ne correspondant qu’à la part salariale entre 1 et 3 plafonds - plus une cotisation déplafonnée identique à celle des salariés. Ces derniers ayant dans le futur système droit au minimum contributif, sera également fixée une cotisation minimale "harmonisée avec la possibilité de surcotiser pour bénéficier pleinement des droits au-delà du plafond". Une ordonnance permettra enfin de procéder à la mesure de modification de l’assiette des cotisations et de la CSG pour les travailleurs indépendants.

Deuxième titre : Age d’ouverture des droits. L’âge minimal est fixé donc toujours fixé à 62 ans. Sont conservés comme attendu les différents dispositifs de départ à la retraite anticipés : les carrières longues, les dispositifs en faveur des travailleurs handicapés, des personnes exposées à l’amiante, la retraite pour incapacité permanente, les droits aux C2P, l’invalidité et l’inaptitude. Sont précisées, pour l’ensemble de ces catégories, les modalités de départ tant en matière d’âge d’ouverture des droits que d’accès au taux plein ou d’âge d’équilibre spécifique. Par exemple, pour les carrières longues, l’âge minimal de départ en retraite est fixé à 60 ans, et l’âge du taux plein à 62 ans, avec une valeur de service du point égale à celle d’une personne partant à 64 ans pour "reconstituer le taux plein".

Concernant les catégories actives, et tout d’abord les "catégories actives fermées", c’est-à-dire celles qui sont à 17 ans de leur départ en retraite et peuvent partir à 52 ou 57 ans, sera mise en place une transition progressive. Elles pourront conserver le bénéficie d’un départ anticipé dès lors qu’elles ont au 31 décembre 2024 accompli la durée d’activité ou de service qui aujourd’hui leur permet de partir plus tôt. Pour les autres, une transition sera organisée en tenant en compte de façon proportionnelle de la partie de la carrière effectuée dans des services actifs, et en remontant progressivement l’âge d’ouverture des droits jusqu’à 62 ans. Ces dispositions seront, là encore, précisées par une ordonnance à l’issue des concertations sectorielles. Par ailleurs, tous ces mécanismes de départ anticipés feront l’objet d’une surcotisation des employeurs concernés au système universel.

Des dispositifs de départs anticipés seront aussi conservés pour les fonctions régaliennes (police, gendarmerie, militaires, contrôle de la navigation aérienne, douaniers, administration pénitentiaire). Les conditions de départ actuelles seront maintenues, moyennement une surcotisation des employeurs concernés qui viendra en substitution du dispositif actuel de bonification du cinquième qui permet de compenser le fait que les personnes partent plus tôt. Des âges d’équilibre adaptés seront prévus pour ces différentes catégories. Ce droit sera conditionné pour la plupart d’entre eux au fait d’avoir exercé ces professions dangereuses pendant 27 ans. Sachant que pour les militaires seront conservés la règle de la durée de service de 17 ans ou 27 selon les corps et le dispositif leur permettant de bénéficier du droit à retraite à jouissance immédiate.

L’exécutif estime qu’assorties à l’âge d’équilibre, ces dispositions permettront "à un tiers des gens de partir plus tôt ; un tiers des gens de partir plus tard ; et un tiers des gens auront un âge dérogatoire compris entre 60 et 62 ans avec l’âge d’équilibre individualisé".

La retraite progressive sera enfin étendue aux salariés au forfait jour et toute activité permettra de se créer de nouveaux droits à retraite après liquidation de la pension dans le cadre du cumul emploi-retraite.

Troisième titre : Dispositif de solidarité. Un minimum de pension à 85 % du Smic pour une carrière complète est créé. Pour ce faire, le décompte des périodes travaillées se fondera sur la règle actuelle de validation des trimestres, soit 50 heures au Smic pour valider un mois et 43 ans de cotisation. Des points de solidarités sont accordés au titre des principales causes d’arrêt d’activité, dont les modes de calculs étaient en partie précisés dans le rapport Delevoye : chômage, maladie, maternité, invalidité. Un dispositif spécifique pour les aidants sera unifié. Un article précisera la prise en compte des périodes d’apprentissage, de service civique, de stages ou d’années d’études supérieures.

Concernant les droits familiaux, sont repris les principes énoncés par le Premier ministre : une majoration en points de 5 % pour chaque enfant partageable au sein du couple et attribué par défaut à la mère, et un supplément de 2 % attribué aux familles d’au moins trois enfants. Le dispositif AVPF sera maintenu. Quant à la réversion, elle fonctionnera selon le principe du maintien des ressources du couple à hauteur de 70 % et sera accessible à partir de 55 ans - au lieu de 62 ans initialement prévus - et n’entrera en vigueur dans cette forme qu’à partir de 2037. S’agissant des conjoints divorcés, pour ceux intervenus avant 2025, les règles actuelles sont conservées. Pour les autres, une mission sera lancée et conduite par Bertrand Fragonard, président du HCFEA et Anne-Marie Leroyer, professeure à la Sorbonne.

Quatrième titre : Architecture du système. "Elle doit être équilibrée entre le gouvernement, le Parlement et les partenaires sociaux", rappelle l’exécutif. Une caisse nationale de la retraite universelle sera mise en place (CRNU) composée à parité de représentants des employeurs - y compris publics - et des salariés. Elle aura à fixer les principaux paramètres du dispositif contributif en dépenses et en recettes, et pourra formuler des propositions sur les paramètres de solidarité financées par le fonds de solidarité vieillesse.

Ces décisions de la gouvernance de la CRNU s’appuieront sur une prévision macro-économique et démographique réalisée par un comité d’expert indépendant et devront s’inscrire dans le respect d’une règle d’or d’équilibre financier qui prévoit que le solde du régime universel ne peut pas être nul sur une période glissante de 5 ans, et qu’en cas de dérapage et de non-tenue de cet objectif respect des soldes sur 5 ans, les modalités d’apurement de la dette devront être prévues.

À partir de 2022, cette caisse pilotera l’équilibre financier des régimes de base (Cnav, MSA, CNavPL, et CNRACL) et à partir de 2025 celui de l’ensemble des régimes. Elle bénéficiera en recettes de toutes les cotisations des actifs, ainsi que des versements du fonds de solidarité qui concentrera les impôts et taxes affectés au système de retraite pour prendre en charge les dépenses de solidarité ; et, le cas échéant, des produits financiers du fonds de réserve. Celui-ci sera créé et reprendra les droits et obligation de l’actuel fonds de réserve des retraites "sans que la propriété des réserves des régimes actuels ne soit remise en cause", précise l’exécutif.

La caisse sera créée en décembre 2020. Elle sera chargée de préparer l’entrée en vigueur du système universel, en récupérant immédiatement les effectifs, les moyens et les missions du GIP Union retraite. Elle a vocation à unifier rapidement la Cnav et la fédération Agirc-Arrco avant à terme d’organiser un réseau dans le cadre d’un schéma de transformation qui sera élaboré en 2021 sous l’égide du directeur de la caisse nationale et approuvé par l’État. Ce schéma sera mis en œuvre sous la supervision d’un conseil de surveillance.

Les régimes actuels participeront à la gestion du système universel sous la supervision de la caisse nationale. Ils pourront par délégation de gestion gérer tout ou partie des assurés dans le cadre des caisses existantes. Des conventions seront établies pour préciser cette délégation de gestion. Sera enfin créé un conseil de la protection sociale des professions libérales censé permettre d’assurer la représentation de ces dernières de favoriser l’exercice commun de certaines compétences en matière d’action sociale entre elles.

Cinquième titre : Modalités d’entrée en vigueur. Comme annoncé par Édouard Philippe, la réforme s’applique à partir de 2022 pour les assurés nés à partir de 2004 ; en 2025 pour tous ceux qui partiront à la retraite à partir de 2037, c’est-à-dire dans le cadre du droit commun, les personnes nées à partir de 1975-1980 pour ceux qui ont une ouverture des droits à 57 ans et 1985 pour ceux qui ont un âge d’ouverture à 52 ans.

Les droits constitués avant l’intégration au sein du système universel seront garantis - une ordonnance précisera les modalités de prise en compte des périodes de carrière intervenues avant 2025 quel que soit le régime dans lequel elles ont été effectuées. Les droits familiaux existant au titre des enfants avant 2025 seront intégrés dans le calcul de la pension relative à la période avant 2025 - c’est-à-dire que par exemple, les majorations de durée d’assurance seront calculées en proportion de la période déjà travaillées et donneront lieu à des points supplémentaires. "Les règles du système universel qui s’appliqueront sur toutes la carrière avant ou après 2025 sont d’une part l’accès au nouveau minimum contributif et les conditions de départ de ces générations, ce dispositif étant précisé par ordonnance", indique le secrétariat d’État.

Dès 2022 s’appliquera le nouveau minimum de pension à 1 000 euros net pour une carrière complète ce qui conduira à créer pour les travailleurs indépendants une garantie un peu analogue à celle créée pour les exploitants agricoles. Et ce minimum de pension convergera d'ici 2025 vers la cible de 85 % du Smic. La retraite progressive devrait aussi être ouverte aux salariés en forfait jour à partir de 2022, tout comme la possibilité d’acquérir des droits dans le cadre du cumul emploi-retraite.

L’article 1 du projet de loi prévoit enfin que l’État s’engage à une revalorisation de la profession d’enseignant et d’enseignant-chercheur dans le cadre d’une loi de programmation. Les marins et les personnels navigants seront traités par ordonnance au terme des concertations sectorielles en cours. Toutes les ordonnances devront être prises d'ici 2022.

 

Premières observations :

- Actuellement, notre système compte 42 régimes de retraite, chacun avec ses spécificités. Or, les carrières ne sont plus linéaires et de nombreux français exercent plusieurs activités sous des statuts différents tout au long de leur vie professionnelle. Un toilettage des règles peut logiquement s’étudier au regard de l’évolution de notre société, et certains paramètres peuvent s’effacer avec le temps et des pénibilités propres au 21ème siècle doivent être prises en compte.

Emmanuel Macron avait indiqué lors de la campagne présidentielle, que l’âge minimum légal pour faire valoir son droit à la retraite resterait bien fixé à 62 ans dans le futur système. Hors, dans la configuration actuelle, le Gouvernement prévoit un âge pivot de 64 ans, soit l'âge pour bénéficier de sa pension de retraite à taux plein. L'âge pivot n'a pas de sens, puisque le système de points et les annuités requises n'imposent pas un âge pivot dès lors que personne n'entre au même âge dans le monde du travail.

- Autre crainte, celle de ne pas connaitre la valeur du point ou que celui-ci soit gelé. Un gel de la valeur du point aura comme conséquence une baisse significative du montant de la retraite lors de son calcul.

- Au-delà du montant de la retraite se pose la question de sa revalorisation : sera-t-elle indexée sur l’inflation ? Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites a évoqué la possibilité de l’indexer sur les salaires, mais cette position n’est pas confirmée.

- Des différences catégorielles sont d’ores et déjà admises, laissant douter de la réalité de la suppression annoncée des régimes spéciaux.

- Indiscutablement, la méthode de travail du Gouvernement n’a pas facilité l’engagement de cette réforme dans les meilleures conditions. Nous n’avons en lecture les deux textes qu’aujourd’hui. L’anxiété légitime  des citoyens s’agissant des moyens de vie qui leur seront proposés à la retraite, imposait la transparence et un texte sur la table, texte « martyr » à modifier… Ainsi, va la démocratie.

- Ces deux projets de loi seront examinés par l'Assemblée nationale dans le cadre d'une procédure accélérée (!) à compter de la mi-février. La procédure accélérée implique une seule navette entre le Sénat et l'Assemblée nationale.  Mais, c'est d'avantage par l'insuffisance du temps laissé à l'examen de ce texte que cette procédure accélérée pose un réel problème de démocratie et de vie parlementaire effective.

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