Note sur le projet de décret sur les tarifs des professions règlementées



Ce que prévoit l’article 50 de la loi

L’article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques unifie les règles relatives aux tarifs réglementés des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunal de commerce, des huissiers de justice, des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires et des notaires. Ce même article 50 objective la méthode de fixation de ces tarifs réglementés en disposant qu’ils « prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs ».

Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, doit préciser les modalités d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable. Autrement dit, ce décret déterminera une méthode de fixation et de révision des tarifs, sur la base de laquelle le tarif de chaque prestation sera précisé par des arrêtés conjoints des ministres de la justice et de l’économie (un arrêté par profession). Ces tarifs seront révisés sur un rythme au moins quinquennal.

Le IV de l’article 50 abroge, à une date fixée par décret et au plus tard le 29 février 2016, l’article 1er de la loi du 29 mars 1944 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels qui dispose que : « Tous droits ou émoluments au profit des officiers publics ou ministériels peuvent être créés par décret en Conseil d'État ; ils peuvent être, dans la même forme, modifiés ou supprimés, même s'ils ont fait l'objet de dispositions législatives. » Ainsi, le décret relatif aux tarifs et les arrêtés qui déclineront ses principes doivent être publiés avant cette date.

Le législateur a souhaité solliciter l’expertise de l’Autorité de la concurrence dans ce nouveau cadre juridique :
        l’Autorité doit rendre un avis sur le projet de décret précisant les modes d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable ;
        saisie par le Gouvernement ou de sa propre initiative, l’Autorité pourra rendre des avis sur les prix et tarifs réglementés des professions concernées ;
        le Gouvernement informera l’Autorité de tout projet de révision tarifaire, au moins deux mois avant la révision du tarif en cause.

Par ailleurs, l’engagement d’une procédure d’avis est rendu public dans les cinq jours ouvrables, afin de permettre aux associations de défense des consommateurs et aux organisations professionnelles ou instances ordinales concernées d’adresser leurs observations à l’Autorité de la concurrence.
Pour déterminer les tarifs de chaque prestation et pour que l’Autorité de la concurrence puisse rendre les avis les plus pertinents possibles, la loi prévoit que les ministères de la justice et de l’économie et l’Autorité recueillent toutes données utiles auprès des professionnels, ainsi que des informations statistiques, à définir par décret en Conseil d’État, auprès des instances professionnelles.


Ce que prévoit le projet de décret qui a été transmis à la mission d’information

Le décret introduirait un titre IV bis « De certains tarifs réglementés » à la partie réglementaire du code de commerce.

Quelques principes tarifaires

Le projet de décret  énonce le principe d’émoluments fixes, tout en prévoyant, par exception, la possibilité d’émoluments proportionnels pour assurer la péréquation prévue par la loi et pour permettre aux professionnels de couvrir leurs coûts pertinents et de dégager une rémunération raisonnable (sous-section 2 de la section 1 du titre IV bis).
Ensuite, le décret prévoit que la somme des émoluments perçus au titre des prestations relatives à la mutation d’un bien ou d’un droit immobilier ne peut excéder 10 % de la valeur de ce bien ou de ce droit.

Dans le cas d’un tarif proportionnel, l’article 50 de la loi prévoit que des remises peuvent être consenties si l’assiette est supérieure à un seuil défini par arrêté. Le taux des remises octroyées doit être compris dans des limites définies par voie réglementaire. Le projet de décret, dans la même sous-section 2, à l’article R. 444-6, précise que les taux de remises maximales que les professionnels pourront pratiquer seront déterminées dans les arrêtés tarifaires, sans que ces remises ne puissent excéder 10 % de l’émolument arrêté pour la prestation, hors quatre cas spécifiquement déterminés par le décret pour lesquels la limite est portée à 40 %.Ces quatre types de prestations concernent des opérations sur des biens immobiliers non résidentiels ([1]).


La méthode de fixation des tarifs

Le décret fixe la méthode générale de fixation des tarifs concernés par les arrêtés ministériels et la méthode de révision tarifaire. Dans chacun de ces cas, une approche globale par profession – et non par acte – a été retenue, en ligne avec les recommandations de l’Autorité de la concurrence ([2]).
S’agissant de la fixation des tarifs, le principe est le suivant : les tarifs sont fixés de sorte que le chiffre d’affaires annuel prévisionnel hors honoraires et hors taxes ([3])(noté CA*R dans le projet de décret), dégagé en application de ces tarifs, soit égal à la somme des coûts pertinents (notée C) et de la rémunération raisonnable (notée R*). Autrement dit, le chiffre d’affaires prévisionnel de chaque profession, doit être interprété comme un chiffre d’affaires « cible », qui devrait être atteint après modification des tarifs par les arrêtés. Pour chaque profession, il correspond à l’unique chiffre d’affaires qui permettrait de couvrir les coûts pertinents du service rendu et de dégager une rémunération raisonnable aux professionnels.

Le projet de décret précise donc les notions de coûts pertinents et de rémunération raisonnable, indispensables à la détermination du chiffre d’affaires prévisionnel.

 L’évaluation des coûts pertinents

Pour chaque profession, les coûts pertinents sont les charges annuelles supportées au titre de la partie réglementée de l’activité. Ces charges sont estimées par un raisonnement en deux étapes. La première étape consiste à estimer les charges annuelles totales de la profession, à partir des dernières données disponibles, sur une période d’au moins deux ans. La seconde étape consiste à déterminer la part de ces charges qui doit être rattachée à la partie de l’activité de ces professions soumise à des émoluments.
Pour chaque année, il est supposé que les charges annuelles totales de la profession sont égales à la différence entre le chiffre d’affaires constaté et le bénéfice constaté de la profession, au titre de l’année considérée. Sont soustraites à ce total les sommes ou valeur mises à la disposition des professionnels exerçant dans les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ([4]).
Il est ensuite supposé que la répartition des charges entre la part de l’activité donnant lieu à des émoluments et la part de l’activité donnant lieu à des honoraires libres suit la même répartition que le chiffre d’affaires. C’est la raison pour laquelle les charges annuelles, estimées selon la méthode décrite supra, sont multipliées par le rapport entre le chiffre d’affaires annuel moyen hors honoraire et hors taxes de la profession concernée, calculé à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans, et le chiffre d’affaires total de la profession.

Évaluation des coûts pertinents
Le projet de décret tarifaire détermine le mode d’évaluation des coûts pertinents :
« Art. R. 444-11. - Les coûts pertinents (C) pris en compte pour la fixation des tarifs régis par le présent titre sont évalués en tenant compte :
1° De la part respective des émoluments et des honoraires au sein du chiffre d’affaires de chaque profession ;
2° Des charges annuelles de la profession concernée constatées à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans ;
Pour chaque année, ces charges sont calculées par différence entre le chiffre d’affaires (CA) et le bénéfice de la profession au titre de l’année considérée (B). Elles ne prennent pas en compte les sommes ou valeurs mises à la disposition des professionnels exerçant dans les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés et non prélevées sur les bénéfices (WIS).
Soit : « C = (CA – B – WIS) x CAR/CA ».
CAR désigne le chiffre d’affaires annuel moyen hors honoraires et hors taxes de la profession concernée calculé à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans.


L’évaluation de la rémunération raisonnable

La rémunération raisonnable des professionnels est estimée par le produit de trois éléments : le taux de résultat net moyen des professionnels exerçant sous forme individuelle ou de société unipersonnelle ; le chiffre d’affaires annuel prévisionnel ; un coefficient correcteur. Contrairement aux coûts pertinents, supposés constants avant et après la modification tarifaire, la rémunération raisonnable est fonction du chiffre d’affaires cible, pour chaque profession ([5]). Il n’y a rien de surprenant à cela puisque la rémunération des professionnels dépend mécaniquement des tarifs. Le caractère invariant des coûts pertinents permet toutefois d’exprimer la rémunération raisonnable en fonction des coûts pertinents, du taux de résultat net moyen des professionnels exerçant sous forme individuelle ou de société unipersonnelle et du coefficient correcteur (voir encadré infra).

Le taux de résultat net est égal au rapport entre le résultat net d’une structure et le chiffre d’affaires. C’est donc logiquement que la rémunération raisonnable s’exprime comme le produit du chiffre d’affaires cible par un taux de résultat net de référence. Ce dernier est le taux de résultat net moyen des sociétés unipersonnelles ou des professionnels exerçant sous forme individuelle. Ces sociétés sont réputées les plus fragiles, parce qu’il leur est impossible de mutualiser leurs coûts fixes. Il n’en demeure pas moins qu’elles dégagent un résultat net suffisant pour être viables économiquement. Le choix de ce point de référence objectif comme base de calcul de la rémunération raisonnable permettra, par conséquent, de fixer des tarifs garantissant l’attractivité de la profession.

Pour chacune des professions, un « coefficient correcteur », différent sera appliqué. Nécessairement inférieur ou égal à 1,15, il permettra de prendre en compte les différences de dispersions des revenus entre les professions. Fixer le coefficient correcteur égal à un nombre strictement supérieur à 1 permettra en effet d’augmenter la rémunération raisonnable d’une profession, de manière à prendre en compte, le cas échéant, la vulnérabilité des structures les plus fragiles.

Détermination de la rémunération raisonnable
Le projet de décret tarifaire détermine le mode d’évaluation de la rémunération raisonnable :
« Art. R. 444-12. - I. – La rémunération raisonnable prise en compte pour la fixation des tarifs sur une période de référence assure une attractivité suffisante de la profession concernée.
II. – La rémunération raisonnable (R*) est, pour chaque profession, égale au produit :
1° du taux de résultat net moyen des professionnels exerçant sous forme individuelle ou de société unipersonnelle au sein de chaque profession (TU) ;
2° du chiffre d’affaires annuel prévisionnel hors honoraires et hors taxes de chaque profession réalisé au titre des prestations soumises à régulation tarifaire (CA*R) ;
3° d’un coefficient correcteur (α) qui ne peut excéder 1,15,
soit : R* = α x TU x CA*R
soit : R* = α x TU x (C + R*)
soit : R* = (α x TU x C) / (1 – α x TU).
Pour chaque profession, TUest évalué à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans.

En tout état de cause, la rémunération raisonnable annuelle moyenne prévisionnelle par professionnel, hors honoraires et hors taxes est bornée.Elle ne peut, pour chaque profession, ni être inférieure à 75 000 euros, majorés de 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel prévisionnel ni être supérieure à 130 000 euros, majorés de 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel prévisionnel. Pour les commissaires-priseurs judiciaires, ces montants sont affectés d’un coefficient égal au rapport entre le temps de travail moyen consacré aux offices publics et ministériels et celui consacré aux sociétés régies par le titre II du code de commerce. L’article 29 de loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 prévoit que les commissaires-priseurs judiciaires peuvent exercer des activités de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et procéder à la vente de gré à gré de biens meubles, en qualité de mandataire du propriétaire des biens au sein de ce type de sociétés.

En résumé, les coûts pertinents du service rendu et la rémunération raisonnable sont déterminés pour chaque profession. La somme de ces deux grandeurs est égale à un chiffre d’affaires cible qui doit être atteint après modifications des tarifs par les arrêtés des ministres de la justice et de l’économie.


Les révisions des tarifs

Après la première modification des tarifs qui devrait intervenir au début de l’année 2016, des révisions tarifaires interviendront régulièrement. Les tarifs seront révisés selon le principe suivant : à l’occasion de chaque révision, l’évolution en pourcentage des tarifs applicables à chaque profession est égale à la différence, exprimée en pourcentage, entre le chiffre d’affaires prévisionnel hors honoraires et hors taxes (le chiffre d’affaires cible) et le chiffre d’affaires annuel moyen hors honoraires et hors taxes constaté, lequel est calculé à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans. Toutefois, par dérogation à ce principe et dans un souci de prévisibilité, les tarifs ne pourront varier de plus de 2,5 % ou de plus de 5 % si la différence entre la cible et le chiffre d’affaires constaté est supérieure à 10 %.

Les révisions tarifaire
Le projet de décret dresse précise les modalités des révisions tarifaires. CA*R  désigne le chiffre d’affaires annuel prévisionnel hors honoraires et hors taxes.
« II. – Sans préjudice du III, à l’occasion de chaque révision tarifaire, l’évolution des tarifs applicables à chaque profession (Δ Tarifs) est égale à celle du chiffre d’affaires annuel (Δ CA) de la profession concernée, soit : « Δ Tarifs = Δ CA = CA*R / CAR– 1 », où CAR est le chiffre d’affaires annuel moyen hors honoraires et hors taxes de la profession concernée calculé à partir des dernières données disponibles sur une période d’au moins deux ans. CAR peut être corrigé, le cas échéant, pour tenir compte des modifications tarifaires intervenues postérieurement aux dernières données disponibles.
III. – L’application des dispositions du I et du II du présent article ne peut, pour une période de référence, induire une évolution globale des tarifs applicables à une profession :
1° de plus de 2,5% en valeur absolue par rapport à la période de référence précédente, lorsque la variation de chiffre d’affaires mentionnée au II est inférieure ou égale à 10%,
2° de plus de 5% en valeur absolue par rapport à la période de référence précédente, lorsque la variation de chiffre d’affaires mentionnée au II est supérieure à 10%,
Soit :
- si │CA*R / CAR – 1│ ≤ 10% : │Δ Tarifs │≤ 2,5%
- si │CA*R / CAR – 1│ > 10% : │Δ Tarifs │≤ 5% »

Le projet de décret prévoit l’introduction d’une sous-section 5 qui liste les informations statistiques qui peuvent être recueillies par les ministres de la justice et de l’économie ou par l’Autorité de la concurrence pour déterminer les modes d’évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable, les caractéristiques de la péréquation et pour la fixation des tarifs.


([1])  Les quatre types de prestations sont les suivants : prestations de la sous-catégorie « Actes relatifs principalement aux biens immobiliers et fonciers » du tableau 5 de l’annexe 4-7 du projet de décret ; opérations d’apport d’immeubles ; opérations de fusion absorption entraînant transfert de propriété immobilière ; opérations de financement assorties de sûretés hypothécaires.
([2])  Avis n° 15-A-02 du 9 janvier 2015 relatif aux questions de concurrence concernant certaines professions juridiques réglementées.
([3])  Les honoraires, par opposition aux émoluments, désignent les sommes perçues par les professionnels en contrepartie de prestations dont les tarifs ne sont pas réglementés. Puisqu’il s’agit d’établir une méthode pour orienter les tarifs réglementés de manière à ce qu’ils puissent couvrir les coûts pertinents du service rendu et octroyer une rémunération raisonnable aux professionnels, les coûts engendrés par les prestations des professions qui ne sont pas soumises à une réglementation tarifaire, et la rémunération qu’elles en tirent sont exclus du champ d’analyse.
([4])  Cette dernière précision s’explique par une différence entre la structure de revenus des professionnels exerçant leur activité dans une société soumise à l’impôt sur le revenu (IR) et ceux exerçant dans une société soumise à l’IS. À la différence du professionnel d’une société soumise à l’IR, dont le revenu est égal au résultat de la société, le professionnel d’une société soumise à l’IS a un revenu composé, d’une part, de sa quote-part du résultat perçue en sa qualité d’associé et, d’autre part, du salaire qui lui est versé. Or, ce salaire est inscrit, dans le compte de résultat de la société soumise l’IS, comme une charge d’exploitation dont il résulte une diminution du résultat. Le décret précise donc que cette charge, qui, pour les professionnels concernés, est en réalité un revenu, ne doit pas être prise en compte dans la détermination des charges totales annuelles de la profession.
([5])  Le caractère constant des coûts pertinents avant et après modifications des tarifs est une hypothèse recevable eu égard à l’inélasticité de la demande au prix pour la plupart des prestations étudiées.

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