#TAFTA : Matthias Fekl dénonce dans une interview de Sud-ouest



Matthias Fekl, secrétaire d’État au Commerce extérieur, dénonce l’attitude des États-Unis dans les négociations sur le commerce international.


Voilà plus de deux ans que l’Union européenne et les États-Unis ont entamé des négociations en vue de conclure un accord de partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (Transatlantic Free Trade Agreement, ou Tafta). S’il aboutissait, ce serait l’un des traités de libre-échange les plus importants jamais conclus, puisqu’il porterait sur la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. C’est dire l’enjeu de ces négociations, dont un nouveau cycle doit s’ouvrir à la mi-octobre. Mais celles-ci achoppent, face à l’intransigeance américaine, et la France s’impatiente.
Pour la première fois, un membre du gouvernement tape du poing sur la table et brandit la menace d’une rupture. Secrétaire d’État au Commerce extérieur, l’élu lot-et-garonnais Matthias Fekl est évidemment en service commandé pour accorder cet entretien exclusif à « Sud Ouest ». S’il le fait, c’est en accord avec François Hollande, Manuel Valls et Laurent Fabius. C’est aussi avant de rencontrer aujourd’hui à Berlin le vice-chancelier allemand et ministre de l’Économie, Sigmar Gabriel. Autant dire que Paris fait monter la pression.
« Sud Ouest ». Où en sont les longues négociations sur le traité transatlantique ?
Matthias Fekl. Elles se déroulent dans un manque total de transparence et dans une grande opacité, ce qui pose un problème démocratique. À l’ère des réseaux sociaux, à l’heure d’une profonde crise de la démocratie, des négociations commerciales derrière les portes closes de grands hôtels internationaux d’où rien ne sort ne sont plus envisageables. La publication du mandat de négociation est un premier pas, il faut maintenant bâtir un véritable agenda de la transparence envers les citoyens, dans la continuité du travail que j’ai engagé au Quai d’Orsay.
Les parlementaires doivent avoir accès aux documents, et ce ailleurs que dans des salles sécurisées de l’ambassade américaine comme c’est le cas jusqu’à présent. Les parlementaires américains ont accès à un nombre de documents beaucoup plus important que les parlementaires européens. Je demande la réciprocité.
Qu’est-ce qui achoppe aujourd’hui dans ces négociations ?
Il y a trop d’asymétrie, pas assez de réciprocité. L’Europe a multiplié les offres, sur tous les sujets, et n’a reçu en contrepartie aucune offre sérieuse des Américains. Ni pour l’accès à leurs marchés publics ni pour l’accès aux marchés agricoles et agroalimentaires, qui restent fermés. C’est là un sujet essentiel pour la France.
Par ailleurs, nous ne sentons pas côté américain une prise en compte de nos souhaits sur les services, ni sur le problème que pose l’arbitrage par des tribunaux privés, sur lesquels la France a fait des propositions très offensives largement reprises par la Commission européenne. La négociation doit absolument permettre à nos PME et à nos agriculteurs d’avoir accès au marché américain.
Avec cette fameuse reconnaissance outre-Atlantique des origines géographiques…
C’est ce que nous appelons, avec Stéphane Le Foll, la « diplomatie des terroirs ». Quand la Chine reconnaît par exemple l’indication géographique Bordeaux et toutes celles qui lui sont liées dans le Sud-Ouest, c’est une énorme avancée et c’est une victoire de cette diplomatie des terroirs.
Êtes-vous prêt à aller jusqu’à la rupture des négociations, si celles-ci n’avancent pas ?
Si rien ne change, cela montrera qu’il n’y a pas la volonté d’aboutir à des négociations mutuellement bénéfiques. Or, ces négociations n’avancent pas et, là où elles avancent, ce n’est pas dans le bon sens. La France envisage toutes les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations.
En avez-vous parlé avec François Hollande et Laurent Fabius ?
Je rends compte régulièrement au ministre des Affaires étrangères, au Premier ministre, au président de la République. Je n’ai pas l’habitude, lorsque je m’exprime dans le cadre de mes fonctions gouvernementales, de le faire de manière intempestive.
Le problème, c’est que ce n’est pas la France qui négocie, mais l’Europe. Vous n’êtes donc pas satisfait du travail du négociateur européen ?
Il faut agir comme nous l’avons fait pour la Cour permanente internationale en matière d’investissement. J’étais le premier à faire cette proposition, il y a un an, pour mettre un terme aux tribunaux privés, qui sont un scandale démocratique. À l’époque, pas grand monde y croyait, et il y avait de fortes résistances à Bruxelles comme à Paris. Aujourd’hui, les propositions françaises sont au cœur du débat. Il faut mener le même type d’action volontariste sur l’ensemble des sujets. Si nous avons un projet bien négocié entre Européens et que nous le portons avec détermination, nous pouvons parler d’égal à égal avec les Américains.
Êtes-vous suivi, sur cette ligne intransigeante, par nos partenaires européens ?
J’ai toujours souhaité travailler avec l’Allemagne, car l’Europe avance quand la France et l’Allemagne se parlent et se mettent d’accord sur des démarches qu’elles proposent ensuite à nos partenaires européens. C’est ce qui a été fait sur les tribunaux privés, avec succès. Et il y a bien, de part et d’autre de l’Atlantique, deux conceptions de l’agriculture, deux conceptions du rôle de l’homme dans l’aménagement du territoire et dans l’économie, deux rapports à la vie qui ne sont pas les mêmes et qui sont respectables.
Comment empêcher de nouvelles affaires BNP Paribas (1) pour les entreprises françaises qui vont se lancer dans le commerce avec l’Iran ? Est-ce un enjeu dans les négociations ?
Pas directement, mais l’extraterritorialité pose le problème fondamental du respect du droit international. Un État, quel qu’il soit, ne peut imposer ses normes internes au reste du monde. La politique commerciale doit aussi être un outil qui permette à l’Europe de porter son projet.
En fait, vous voulez tourner la page de trente années de mondialisation libérale. Paradoxal, quand on négocie avec les Américains…
Les Américains sont nos partenaires et nos alliés mais il ne faut pas être naïf. Ils savent prôner le libéralisme économique pour les autres et ne pas l’appliquer chez eux. En Europe, beaucoup de gens ont tendance à réciter le dogme libéral de manière un peu béate, sans voir qu’en réalité personne ne l’applique vraiment.
C’est un combat à mener pour ma génération politique : écrire une nouvelle page de l’action publique et s’appuyer sur d’autres écoles de pensée que celle du libéralisme économique. Faire en sorte que les citoyens et la puissance publique au niveau national et international reprennent la main après trente années de dérégulation. C’est là le grand enjeu du XXIe siècle.
(1) La banque française a écopé en mai dernier d’une amende record aux États-Unis pour n’avoir pas respecté les embargos vers Cuba, l’Iran et le Soudan

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