Le mot de la Députée



La constitutionnalisation de L’état d’urgence ne représente pas une simple réaction politique spontanée aux attentats tragiques subis par la France. Cette constitutionnalisation n’est pas une réponse irréfléchie et sans fondement. Il s’agit bien d’une nécessité politique et juridique. Les régimes d’exception que constituent les pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution et l’état de siège de l’article 36 sont tous deux constitutionnalisés, et il serait dangereux de maintenir hors de la Constitution - notre pacte social, notre acte fondateur - l’état d’urgence alors qu’il représente aujourd’hui le seul régime d’exception utilisable. En effet, seul l’état d’urgence est aujourd’hui réellement applicable et efficace face à la situation d’extrême urgence constituée par la menace terroriste. Il est impératif que ce régime soit identifié par la Constitution elle-même comme un régime d'exception et encadré par celle-ci. La loi d'application qui suivra devra respecter les principes ainsi posés dans notre Constitution, dont il est utile de rappeler que la révision ne peut être effective qu'avec une majorité des 3/5ème.
Cette constitutionnalisation se justifie d’autant plus que l’application de l’état d’urgence devrait être soumise au respect de strictes conditions d’exercice, à l’instar des pleins pouvoirs de l’article 16. J'ai déposé et défendrai des amendements en ce sens.
Il convient tout d’abord d’encadrer strictement l’état d’urgence par un contrôle rigoureux du Parlement qui doit donner en amont son accord pour l’état d’urgence et sa prolongation, mais aussi son accord en aval en retirant à tout moment au pouvoir exécutif le bénéfice de l’état d’urgence lorsque les circonstances ne le justifient plus. L’autorisation du Parlement ne doit pas être un blanc- seing, et le pouvoir législatif doit lui aussi pouvoir apprécier si le maintien de l’état d’urgence se justifie toujours, quitte à le retirer avant son terme.
Ensuite, à l’instar de l’article 16, il convient de permettre aux auteurs habituels de saisine du Conseil constitutionnel de saisir celui-ci afin qu’il puisse apprécier si les conditions d’application de l’état d’urgence sont toujours réunies. Il ne s’agit pas ici de dessaisir le parlement de sa prérogative, mais de s’assurer que l’état d’urgence n’est pas abusivement prolongé par la concordance abusive du pouvoir exécutif et de la majorité parlementaire.
La déchéance de la nationalité existe quant à elle déjà dans la loi – elle a été prononcée cinq fois par Bernard Cazeneuve – sur la base de délits et de crimes terroristes. Si elle nous déchire politiquement - à juste titre car cette question touche à nos valeurs républicaines les plus fondamentales - nous y avons travaillé au sein de la commission des Lois pour aboutir à un texte de portée universelle et égalitaire, sans pouvoir obtenir à ce stade que cette question ne figure pas dans la Constitution. A mon sens, en effet, la déchéance de nationalité, mesure inefficace mais posant un principe, désormais considérée comme une peine complémentaire pouvant être prononcée par le juge et non plus par le ministre de l'Intérieur à la suite d'une condamnation définitive pour crime terroriste, n'a pas sa place dans la Constitution qui indique déjà que la question de la nationalité, et donc de sa déchéance, relève du domaine de la loi.
Comme je l’ai déjà dit dans une tribune publiée sur le site Mediapart le 19 décembre dernier, il est évident que cette réforme ne peut faire apparaître la binationalité dans le corps de notre Constitution. Rien ne permet de justifier une différence entre les citoyens français fondée sur le mode d’acquisition de la nationalité, le principe constitutionnel d'indivisibilité y faisant obstacle. Et du point de vue du droit, ce sont les faits délictueux ou criminels qui commandent une condamnation pénale et non la condition du terroriste. La révision constitutionnelle avec la nouvelle rédaction de l'article 2, ne tombe plus dans ce piège de la différence statutaire de nos concitoyens.

Mais reste en débat la nécessité d'inscrire dans la Constitution - alors que la loi ordinaire peut disposer de cette question - ce marqueur républicain de l'ordre public affirmant face aux terroristes que la France se défend et ne laissera pas la folie meurtrière de quelques-uns porter atteinte à la Nation.

Mon intervention en Commission des lois sur le contrôle de l'état d’urgence 



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