Tribune Huffington Post : Pour un régime restreint des immunités parlementaires

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Députée PS de Saône-et-Loire et Vice-Présidente en charge de la culture

 

 

Pour un régime restreint des immunités parlementaires

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Le député Guaino est poursuivi pour outrage à magistrat et discrédit jeté sur un acte juridictionnel après les propos tenus au printemps 2013 sur le juge Gentil. Le 3 juin, l'Assemblée nationale a refusé d'adopter la résolution tendant à la suspension de ces poursuites. Dans un contexte de déferlement des affaires politiques, l'immunité dont bénéficient les parlementaires reste incomprise par l'opinion publique qui y voit un privilège insoutenable pour les élus et une rupture d'égalité avec le citoyen. Pourtant, cette immunité constitue une nécessité démocratique, même si son régime mérite une restriction.
Rappelons que le système de l'immunité prévu à l'article 26 de la Constitution se justifie du point de vue de la séparation des pouvoirs, afin d'éviter que toute opinion ou comportement d'un parlementaire qui mécontenterait les pouvoirs exécutif ou judiciaire ne soit attaqué pour un désaccord politique qui ne dirait pas son nom. Élu par les électeurs en raison de ses convictions, le député a la responsabilité de les affirmer haut et fort à l'Assemblée, que ce soit par l'écriture de rapports, de propositions de loi, ou lors des débats dans les commissions ou l'hémicycle, sans craindre d'être abusivement poursuivi. L'immunité constitue une garantie de la liberté d'expression du parlementaire dans l'exercice de ses fonctions. C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé la Commission européenne des droits de l'homme (17 janvier 1996, Young c/ Irlande): "l'immunité accordée aux députés a pour finalité de leur permettre de participer de façon constructive aux débats parlementaires [...] en formulant librement leurs propos ou leurs opinions, sans risques de poursuites devant un tribunal".
Deux dimensions sont à distinguer dans l'immunité parlementaire: l'irresponsabilité et l'inviolabilité. D'une part, les élus sont protégés pour les actes commis dans l'exercice de leurs fonctions par une irresponsabilité. Dans ce cadre, il est impossible de poursuivre un parlementaire, même en dehors des sessions. D'autre part, les élus sont protégés pour des actes commis en dehors de leurs fonctions, cette protection relevant de l'inviolabilité. Ainsi, les propos qu'ils tiennent en séance publique ou lors de réunions de travail relèvent des fonctions parlementaires, tandis que les propos tenus dans les articles de presse ou les interviews se détachent de l'exercice des fonctions, relèvent donc de l'inviolabilité, et donnent lieu à des poursuites.
Concernant ces poursuites, diligentées par le ministère public, celles-ci peuvent être suspendues par l'Assemblée, mais seulement jusqu'à la fin de la session. Cette caractéristique de l'immunité relative à des actes sans lien avec le mandat de parlementaire devrait être supprimée. Les effets de cette suppression ne sont pas à craindre: agissant comme simples citoyens, les élus voient leur liberté d'expression protégée, les relaxes sont d'ailleurs nombreuses en la matière, et l'existence de plusieurs degrés de juridiction ainsi que la jurisprudence européenne évitent considérablement le risque de gouvernement des juges.
Enfin, l'irresponsabilité, quant à elle, est justifiée pour garantir l'efficacité du mandat des élus. La qualité du débat parlementaire en dépend. Mais, s'il est irresponsable vis-à-vis de la justice, le député ne l'est pas vis-à-vis de ses collègues, et encore moins des électeurs. L'irresponsabilité devrait s'accompagner d'un renforcement de la discipline interne au Parlement, laquelle passe par un réaménagement de la procédure de sanction et une révision des catégories de sanction prononcée par le Président et le bureau de chaque Chambre. Il faut également compter sur l'opinion publique pour sanctionner politiquement l'élu qui ne se serait pas montré digne de sa fonction.

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