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Le retard de la France dans la lutte contre le dérèglement climatique et la disparition de la biodiversité : plusieurs constats inquiétants

Le retard de la France dans la lutte contre le dérèglement climatique et la disparition de la biodiversité : plusieurs constats inquiétants

L'Autorité environnementale (AE), instance adossée au Conseil général de l'environnement et du développement durable et composée d'un collège d'experts, alerte dans son rapport début mai sur l'état de la transition écologique en France.

Selon cette autorité chargée de fournir, en toute indépendance, des avis argumentés sur les politiques publiques impliquant le ministère de l'écologie et sur les dossiers importants d'aménagement - infrastructures routières, ferroviaires ou portuaires, nouveaux quartiers, aménagements de sentiers littoraux etc- la prise en compte des enjeux environnementaux est très insuffisante.

L'AE s'inquiète des moyens qui lui sont attribués, alors qu'elle doit étudier un nombre de plus en plus conséquent de dossiers compte tenu d'une série de mises en conformité de la législation française avec les directives européennes. Elle pointe également le fait que les programmes d'aménagements proposés conservent les mêmes référentiels depuis des années, sans prendre en compte les potentielles conséquences irréversibles.

Par ailleurs, les récents reculs du droit français de l'environnement dans un objectif de simplification des processus administratifs sont dénoncés. Depuis juin 2021, l'AE doit rendre ses avis en deux mois au lieu de trois, et parfois sur des projets complexes nécessitant de longues expertises. Si dans le délai de deux mois, elle n'a pas émis d'observations, une information relative à l'absence d'observations est mise en ligne sur internet. J'ai posé une question écrite à ce sujet, étant donné l'asymétrie d'information que cela implique pour le public.

De manière générale, la sobriété énergétique est absente, le principe d'absence d'artificialisation nette à l'horizon 2050 n'est pas pris en compte, les zones humides sont particulièrement maltraitées, les constructions dans les zones inondables se poursuivent et les rejets de l'industrie nucléaire sont inquiétants.

Les scénarios les plus récents du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ne sont pas encore pris en compte, alors que son dernier rapport d'avril 2022 confirme l'urgence à agir : "La fenêtre pour éviter les pires effets de la crise climatique est désormais extrêmement étroite, mais on peut encore s’y faufiler." Pour ce faire, le pic des émissions doit être atteint au plus tard en 2025 pour limiter le réchauffement à 1,5°. Cela "implique des réductions de gaz à effet de serre rapides, profondes et la plupart du temps immédiates dans tous les secteurs." Cela passe concrètement par la réduction importante des énergies fossiles, accroissement des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et de l’électrification, modifications des modes de vie, une hausse substantielle des financements et l’aide de l’innovation technologique.

Le rapport de l'autorité environnementale s'inscrit en cohérence dans le constat fait depuis quelques années du manque de volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre une véritable politique de lutte contre le dérèglement climatique.

L'Etat a été condamné par la justice, en février 2021 pour carences fautives dans la lutte contre le réchauffement climatique pour son incapacité à tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-2018. En octobre 2021, la justice a enjoint l'Etat de réparer les conséquences de cette carence et ordonné que le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre entre 2015-2018 soit compensé au 31 décembre 2022 au plus tard. 

Le Conseil d'Etat a pour sa part condamné en août dernier l'Etat à payer 10 millions d’euros d'astreintes pour n’avoir pas pris les mesures « suffisantes » pour améliorer la qualité de l’air, après plusieurs rappels depuis 2017.

Alors que la France s'est engagée à réduire ses émissions de 40% d’ici 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, sa politique a été jugée sévèrement par un rapport de juillet 2020 du Haut Conseil pour le climat : « Les actions climatiques ne sont pas la hauteur des enjeux ni des objectifs ». Les émissions ont baissé de 0,9% entre 2018 et 2019 alors qu’elles devraient baisser annuellement de 1,5% à 3,2% à partir de 2025 pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

La biodiversité n'est pas plus préservée. L'arrêté du 1er février 2022 autorise à nouveau l’utilisation de semences de betteraves sucrières traitées avec des néonicotinoïdes (insecticides néfastes pour les abeilles) pour une durée temporaire de 120 jours. Cette nouvelle dérogation à l’interdiction (depuis 2018) est similaire à une dérogation en 2021. L’exception devient la règle afin de répondre à l’absence de solution de remplacement efficace pour lutter contre la jaunisse qui avait entrainé en 2020 la destruction d’un tiers de la récolte. La recherche et l'innovation et les moyens alloués doivent s'accélérer afin de trouver une solution respectueuse de la biodiversité et protectrice des récoltes.

La faiblesse de la loi Climat et l'abandon de l’inscription dans la Constitution de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique, enfin, sont encore représentatifs de cette absence de volonté. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat ont été nettement amoindries par ladite loi. Les spécialistes et le Haut Conseil pour le climat émettent d'ailleurs des doutes sur la capacité de cette loi à répondre aux objectifs climatiques. La loi doit permettre à la France de réduire de 40 % ses émissions de GES d’ici à 2030, par rapport à 1990, tandis que le nouvel objectif européen d’une réduction est d’au moins 55 %.

Pourtant d'après le président du GIEC, nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement. Seule la volonté des gouvernants déterminera la voie que nous emprunterons : « Nous sommes à la croisée des chemins. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent garantir un avenir vivable. »

Consulter ici l'article du Monde du 6 mai sur le constat de l'Autorité environnementale :

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