«Renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme »: intervention en séance publique

«Renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme »: intervention en séance publique

Projet de loi «renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme »

intervention en séance publique, lundi 25 septembre 2017

 

Mme la présidente,

M le ministre d’Etat,

Mme la présidente de la commission des lois,

M le rapporteur,

Mes chers collègues,

Quand un Etat est attaqué, il se défend. L’état d’urgence voté à l’unanimité dans la suite du Congrès de Versailles, comme sa constitutionnalisation annoncée alors par notre Président de la République, répondait à une nécessité politique et juridique.

Ce n’était pas une réponse précipitée au drame terroriste traversé par la France le 13 novembre 2015 et cet état d’exception a été prolongé à six reprises, jusqu’à l’engagement du président Macron de sa levée le 1er novembre 2017.

Nous avions aussi fait valoir dès 2016, sur le fondement des excellents rapports de l’Assemblée nationale, rédigés dans le cadre du contrôle parlementaire alors mis en place, de manière inédite, que l’état d’urgence avec les mesures d’exception qu’il comporte, avait rempli sa fonction et qu’il convenait d’y mettre fin.

 

C’est bien le principal objet de ce projet de loi. Ce qui nous rassemble aujourd’hui, c’est bien notre volonté de lutter efficacement contre le terrorisme, en donnant aux forces de police, de gendarmerie et de renseignement, les moyens juridiques et matériels qui s’imposent tout en garantissant les libertés individuelles de notre état de droit.

Quatre remarques:

La première : S’il doit être mis un terme à l’état d’urgence, ce que nous faisons aujourd’hui, il n’en est pas moins essentiel de projeter sa constitutionnalisation. Nous avons entrevu ici les risques réels d’excès possibles lors du débat pour son adoption ;

Les régimes d’exception que constituent les plein pouvoirs de l’article 16 et l’état de siège de l’article 36 de la Constitution sont tous deux constitutionnalisés, et il serait tout aussi dangereux qu’ incompréhensible,  de maintenir hors la Loi fondamentale qui constitue   notre pacte social, notre acte fondateur, l’état d’urgence alors qu’il a représenté le seul régime d’exception utilisable et adapté à la situation dans laquelle nous nous trouvions. Il serait donc attentatoire à l’état de droit de maintenir en dehors de la constitution ce régime d’exception. Il nous permettra d’inscrire le contrôle rigoureux de l’Assemblée nationale, laquelle doit donner en amont son accord à la prolongation de l’état d’urgence, mais aussi son accord en aval en retirant à tout moment au pouvoir exécutif le bénéfice de l’état d’urgence si les circonstances ne le justifient plus.

L’autorisation du Parlement n’est pas un blanc-seing, et le pouvoir législatif doit pouvoir, d’une part, contrôler la mise en œuvre de l’état d’urgence sur le territoire national et d’autre part, être en capacité d’apprécier si le maintien de l’état d’urgence se justifie toujours, quitte à retirer avant son terme le bénéfice de ce régime d’exception au pouvoir exécutif. C’est donner ainsi tout son sens au contrôle parlementaire. Ce contrôle aurait dû d’ailleurs être utilement complété par un travail d’analyse sur le terrain mené par les  députés en lien avec les préfets et les procureurs de la République.

Ensuite, à l’instar de l’article 16, il conviendrait de permettre aux auteurs habituels de saisine du Conseil constitutionnel de saisir celui-ci afin qu’il puisse apprécier si les conditions d’application de l’état d’urgence sont toujours réunies. Il ne s’agit pas ici de dessaisir le parlement de sa prérogative, mais de s’assurer que l’état d’urgence n’est pas abusivement prolongé par une concordance abusive du pouvoir exécutif et de la majorité parlementaire.

Nous devrions trouver une majorité des 3/5 èmes sur cette proposition et je serais intéressée de connaître l’avis de notre ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur à ce sujet.

La deuxième : Devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017, le président Macron a eu ses mots qui auraient du mieux nous guider lors de l’examen de ce projet de loi : « Le code pénal tel qu’il est, les pouvoirs des magistrats tels qu’ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l'administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principes, ni en termes d’efficacité ». 

Je partage cette analyse. Et, je me permets d’exprimer ici mon doute sur la pertinence des articles 3 et 4 qui amplifient dans le droit commun le pouvoir de la police administrative dans le domaine de la prévention et consacrent le soupçon pour déclencher des mesures lourdes sur le plan de la liberté personnelle, sans certitude sur le bénéfice opérationnel attendu. Les rapports parlementaires sur l’état d’urgence et l’analyse détaillée qu’ils donnent des mesures d’assignation à résidence et de perquisitions permettent cette observation.

Cette loi, comme les lois précédentes s’inscrit dans un mouvement qui place la lutte contre le terrorisme en dehors du contrôle de l’autorité judiciaire. L’enjeu est majeur. Tout doit être mis en œuvre pour prévenir le risque d’attentat. Au bénéfice du doute et parce que votre tâche est immense, nous ne demandons pas la suppression de ces articles.

En contrepartie du caractère exhorbitant de ces dispositions concernant l’organisation judiciaire, nous demandons le maintien d’un contrôle parlementaire de même nature que celui que nous avions mis en place en 2015.

Ce contrôle se justifie :

  • Le précédent a montré son utilité,
  • Les mesures nouvelles rompant l’équilibre entre les autorités administratives et judiciaires, doivent être suivies en parfaite coopération avec les services de police, gendarmerie et renseignement. 
  • L’encadrement temporel (jusqu'à 2020) des articles 3 et 4 que vous avez bien voulu accepter, démontre la nécessité d’une attention redoublée sur leur application et ce contrôle en facilitera l’analyse objective in fine.

L’article 24 de la constitution confère un rôle de contrôle à l’Assemblée nationale et c’est bien dans cette voie que nous souhaitons tous travailler.

La troisième : Pour reprendre une expression de Jean-Jacques JUrvoas, alors président de la Commission des lois,  ce texte appartient à la catégorie des fonds de tiroir, à la lecture d’un certain nombre d’articles et  en particulier de l’article 10. Par ailleurs, le journal Le Monde a révélé dernièrement, de manière magistrale, l’insuffisance de l’étude d’impact qui ne nous donne à voir à aucun moment l’extension massive des contrôles d’identité aux frontières.

Un article 10 particulièrement bavard, qui traduit la difficulté rencontrée par ses rédacteurs de satisfaire à de tels contrôles sans encourir pour autant  la censure du Conseil constitutionnel.

Cet article mériterait d'être totalement réécrit. Nous proposerons un amendement introduisant un moyen de contrôle de la durée maximale de douze heures ici introduite. Rien dans le texte à ce sujet et aucun décret annoncé ne font état qu’un dispositif de la sorte serait prévu.

La quatrième : Enfin, rien n’interdit au Parlement de proposer des mesures d’organisation des services publics et rien n’interdit non plus que ces dispositions si elles étaient de nature réglementaire, figurent dans la loi.

Depuis 5 ans que nous travaillons ces questions, tant sur le terrain qu’au sein de la Commission des lois, nous avons la conviction, partagée par les acteurs locaux, que des instances de dialogue doivent être mises en place pour éviter les malentendus, comprendre l’action menée, les décisions prises et mettre en synergie les acteurs de la puissance publique.

M. le ministre d’Etat, vous aviez dit en Commission des lois que la lutte contre le terrorisme est l’affaire de tous, qu’aucun service ne doit être en retrait et que la convergence des informations s’impose. Cet amendement répond à cette exigence et nous savons que pour mettre en place un tel comité, encore faut-il la force de la loi pour avoir raison des résistances centrales et locales.

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