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Mon intervention sur les projets de loi pour "la confiance dans l'institution judicaire"

Mon intervention sur les projets de loi pour "la confiance dans l'institution judicaire"

Le projet de loi "Confiance dans l'institution judiciaire", examiné depuis ce printemps au Parlement, sera très prochainement adopté. Après une première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat, puis une commission mixte paritaire conclusive (CMP, discussion entre sept deputés et sept sénateurs sur les points d'achoppement), le texte qui en est issu a été débattu une dernière fois à l'Assemblée mardi dernier, puis au Sénat jeudi.

Mon intervention en séance publique:

"Monsieur le Garde des Sceaux, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mes cher.e.s Collègues,

Le présent projet de loi entend renforcer la « confiance dans l’institution judiciaire ». C’est un doux euphémisme que de parler de confiance, tant le lien entre la justice et les citoyens s’est étiolé et exige sa restauration dans le respect que l’on doit à l’institution et à ses acteurs. Ce texte à lui seul ne peut suffire à cet objectif. 

I Des avancées utiles

1/ L’enregistrement et la diffusion des audiences répond à notre volonté de faire connaitre le fonctionnement de la justice. On a confiance dans ce que l’on connait et montrer la complexité des mécanismes d’un Etat de droit, c’est important. Des garanties sont apportées par le texte : accord préalable des parties, possibilité de suspendre l’enregistrement, diffusion après le jugement définitif, protection de l’identité des personnes ou encore droit à l’oubli. C’est bien que le législateur donne aux chefs de juridiction la compétence de décider d’un enregistrement, après avis du ministre, plutôt que de laisser cette précision à un décret en Conseil d’Etat. C’était une préoccupation du groupe. Elle a été entendue. 

2/ La limitation à deux ans de l’enquête préliminaire, plus un an sur décision du parquet, avec un régime dérogatoire pour certaines affaires de criminalité ou de terrorisme, constitue une avancée dans les droits des justiciables, lesquels redoutent la justice à raison de sa lenteur. Les magistrats pointent cependant l’absence de dérogation pour les enquêtes financières complexes, le manque de dispositions transitoires et le fait que cette réforme ne s’accompagne pas d’une augmentation significative des moyens et des personnels. L’ouverture au contradictoire est aussi une bonne chose et s’inscrit dans la suite de la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice à laquelle j’ai participé. 

3/ L’expérimentation des cours criminelles départementales courra jusqu’à la date initialement prévue, soit fin 2022. Le temps de l’expérimentation était trop court avec un ralentissement de l’activité judicaire en 2020 pour ne pas la poursuivre jusqu’au bout. Nous espérons que rien n’est joué et que le débat suivra l’expérimentation. Pour nous, il est paradoxal de parler d’un texte visant à restaurer la confiance chez les citoyens et de vouloir généraliser un dispositif couteux en nombre de professionnels et excluant le jury populaire.  

4/ Le devoir de vigilance, dont le Sénat semble se méfier, relève donc de la compétence au tribunal judiciaire de Paris. Ce dernier traitant des questions relatives à la violation des droits humains et au préjudice écologique doit être le tribunal devant connaitre ces litiges, contrairement au tribunal de commerce. Merci Monsieur le Ministre. 

5/ S’agissant des prisons et du travail des détenus, le recours à un « contrat d’emploi pénitentiaire » est un signe positif pour l’insertion. Celui-ci impose des entretiens d’embauches, des horaires, des droits et devoirs. Reste à savoir si le travail sera développé au cœur des centres pénitentiaires. 

6/ Enfin, concernant la déontologie et la discipline des professionnels du droit, je me réjouis de la mise en place d’un collège de déontologie auprès de chacun des ordres des officiers ministériels. Il s’agissait d’une recommandation principale de notre mission flash menée avec Fabien Matras. Ces dispositions sont là non pour instiller le doute sur ces professions mais insuffler une culture déontologique que nous devons promouvoir partout et dans les professions du droit en particulier. Les usagers sont demandeurs et attendent sa mise en place avec impatiente, soucieux de pouvoir s’en remettre à un collège qui n’est pas composé de seuls professionnels. Merci à ces derniers d’avoir joué la carte du changement. 

II Des réserves importantes

1/ Sur la réforme de réduction de peine et de la libération sous contrainte.  L’intention s’entend : mettre en lien la réduction de peine et la bonne conduite. Et d’une autre manière, c’était déjà le cas, et ce nouveau système n’emporte pas l’adhésion des professionnels et fait d’ailleurs l’objet de réserves du Conseil d’Etat. L’automaticité n’est pas actuellement de droit.  Les crédits sont retirés en cas de mauvaise conduite. L’appréciation « à la carte » du juge d’application des peines va générer des disparités de traitement entre les détenus et complexifier une tâche ardue. Cette réforme va complexifier le travail des surveillants de prison, sans pour autant aider à la réinsertion des détenus. 

La tension dans les prisons est redoutée dans un contexte de surpopulation carcérale. 

La libération sous contrainte automatique pour un personne exécutant une peine de moins de deux ans est là seulement en rempart à une inflation carcérale. 

2/ L’exclusion du secret professionnel de l’avocat à l’activité de conseil, dans des affaires de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de ces délits, et lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres, crée une brèche dans la protection de ce secret professionnel. Nous ne votons pas un texte au regard du comportement de professionnels qui n’en sont pas. Le JLD est présent dans la procédure de perquisition et peut statuer sur la contestation de cette dernière. Il suffit que le bâtonnier soit présent. Cet office, quel que soit le type d’affaire, doit revenir au juge. Les professionnels demandent la suppression de l’article 3. 

3/ La confiance dans l’institution judiciaire, qui manque dans nos territoires, relève de la justice civile, grande absente de ce texte. Le coût, les délais et la question de l’exécution du jugement doivent être réinterrogés. 

4/ Et si enfin, le champ d’application de la prise illégale d’intérêt est modifié, cette modification est malvenue dans le contexte que nous connaissons et n’est pas de nature à renforcer le lien de confiance. 

En conclusion, le premier des désordres c’est l’injustice.

Tous nos efforts de législateurs doivent tendre à permettre aux acteurs de la justice de la rendre le mieux et le plus rapidement possible, dans le respect du contradictoire et des droits de la défense. Je ne pense pas que ce texte réponde à cet objectif. Beaucoup de mes collègues voteront contre ce texte. Pour ma part, au regard de certaines avancées auxquelles j'ai contribué, je m'abstiendrai. "

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