Tribune de Cécile Untermaier dans le journal Le Monde du 4 septembre 2013 en faveur du vote du Parlement pour l'intervention en Syrie


Le rôle du Parlement dans l’intervention de la France en Syrie


L’intervention militaire de la France en Syrie nécessite, pour respecter le cadre juridique international, l’accord d’au moins neuf des quinze membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’absence de veto de ses membres permanents, que sont la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni. Or, dès le 5 octobre 2011, la Russie et la Chine opposaient leur veto à tout projet de résolution contre le régime de Bachar Al-Assad, veto réitéré par la suite à trois reprises entre février 2012 et août 2013. L’opération militaire envisagée ne peut donc pas se prévaloir d’une légalité internationale.
Dans ce contexte particulier, le rôle des représentants de la Nation ne peut se limiter à suivre docilement les décisions du Gouvernement. Pourtant, c’est bien ce que prévoient l’article 35 de la Constitution de 1958 et les interprétations qui en ont été faites par les Gouvernement successifs sous la Ve République. Si cet article 35 prévoit que « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », cette disposition n’a connu aucune application. En effet, on distingue aujourd’hui entre la déclaration de guerre qui n’est plus utilisée depuis 1940 et l’opération extérieure, cette dernière nécessitant seulement, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, que « le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention ». Selon l’article 35 modifié en 2008, un vote du Parlement est nécessaire pour continuer les opérations au-delà d’un délai de quatre mois, le Gouvernement pouvant accorder à l’Assemblée nationale le pouvoir de dernier mot. La décision du Parlement n’intervient donc qu’a posteriori sur la prolongation de l’opération militaire en cours et non sur l’opportunité de celle-ci à l’origine. Jusqu’à aujourd’hui, le Parlement, qui a été consulté à quatre reprises (en 2008 sur l’Afghanistan, en 2009 pour cinq opérations extérieures au Kosovo, Liban, Côte d’Ivoire, Tchad et République centrafricaine, en mars 2011 au sujet de la Libye, puis sur le Mali en avril 2013), ne s’est jamais opposé à la poursuite d’une intervention.
La Constitution n’impose donc pas au Premier ministre de soumettre au vote du Parlement l’opération militaire envisagée en Syrie. Toutefois, les exemples britanniques et américains peuvent inciter la France à choisir cette option dans un contexte particulièrement trouble. En effet, l’intervention des forces armées françaises n’exclut pas le recours à des procédés démocratiques, surtout lorsque l’intégrité du territoire ou des institutions et l’indépendance de la nation ne sont pas menacées. D’une part, le recours au vote du Parlement irait dans le sens d’un renforcement du pouvoir parlementaire souhaité par François Hollande. D’autre part, un tel vote accorderait une légitimité démocratique incontestable à l’intervention militaire de la France en Syrie.
Dans ce cas, plusieurs possibilités s’offrent au Premier ministre. Soit il effectue une déclaration de politique générale prévue à l’article 49 alinéa 1 de la Constitution, auquel cas, un refus de l’Assemblée nationale engagerait la responsabilité du Gouvernement et donc sa démission. Michel Rocard avait lui-même suivi cette voie en janvier 1991 au moment de la première guerre du Golfe. Soit, le Gouvernement utilise le nouvel article 50-1 de la Constitution qui prévoit que devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire, faire une déclaration qui donne lieu à débat ou bien s’il le décide à un vote sans engager sa responsabilité. L’applicabilité de cette dernière disposition au cas d’espèce reste douteuse dans la mesure où la Constitution prévoit déjà à l’article 35 un régime spécial d’information et d’autorisation pour les opérations militaires. Dans le cas où ces deux dispositions seraient applicables, il faut évidemment privilégier l’article 50-1 de la Constitution.
En effet, le recours à l’article 49 alinéa 1 ne garantit pas un véritable vote de l’Assemblée nationale. En raison du fait majoritaire de la Ve République, il s’agirait pour les députés de la majorité non de s’exprimer librement sur la question de l’opportunité d’une intervention militaire en Syrie mais d’accorder leur confiance au Gouvernement afin d’éviter qu’il soit renversé. En revanche, le recours à l’article 50-1 accorderait au Parlement, et non pas seulement à l’Assemblée nationale, une véritable liberté d’expression qui enrichirait le débat démocratique sans limiter la question à l’alternative pernicieuse du « je soutiens ou je renverse le Gouvernement ».
Dans l’hypothèse où l’article 50-1 ne serait pas applicable, un dernier alinéa pourrait ainsi être ajouté à l’article 35 de la Constitution afin de prévoir la possibilité pour le Gouvernement de soumettre au vote de l’Assemblée nationale l’autorisation d’intervenir militairement sans engager sa responsabilité politique. Une telle orientation permettrait une véritable revalorisation de cette institution, une plus grande collaboration des pouvoirs ainsi qu’un enrichissement pour la démocratie parlementaire. Tout ce débat montre à quel point le Parlement est encore trop marginalisé par la Constitution sur ces questions. Il convient d’engager une réflexion sérieuse sur le rôle du Parlement au sein des institutions, et pas seulement en matière d’opérations militaires.

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