La parole à Michel Debost

La parole à Michel Debost

Que faire face au terrorisme solitaire des malades mentaux radicalisés ?
Michel Debost
Ancien directeur adjoint de l’Ecole Nationale de Police de Marseille
Ancien Directeur de la Tranquillité publique à Dijon
Secrétaire de l’ Association pour la Sécurité dans la Démocratie


Après le massacre de Nice, nos compatriotes s'interrogent : les réponses devenues récurrentes élaborées par le gouvernement et les contre-propositions des représentants de l'opposition (LR + FN) sont-elles de nature à empêcher qu'un nouveau délinquant ordinaire affecté de troubles mentaux, sans passé religieux et ne faisant pas l'objet d'une fiche « S », passe à l'action ?

Examinons les mesures en question.
Dès la nuit du 14 juillet , le président de la République et le gouvernement ont annoncé d'une part le renforcement des interventions extérieures anti Daech (Mali, Lybie, Irak, Syrie) et d'autre part, le maintien pour 3 mois de l' Etat d'urgence ( dont l'arrêt avait été annoncé le même jour), le renforcement de l'Opération Sentinelle, à travers le recours à la Réserve opérationnelle, pour laquelle Bernard Cazeneuve, avec le souci légitime de mieux mobiliser la population, a fait appel au volontariat. Il faut bien sûr ajouter à ces mesures visibles sur le terrain, le renforcement des moyens techniques et juridiques des services de renseignement, autorisé par plusieurs lois adoptées par le Parlement.

Nécessaires dans le temps présent et à court terme pour des raisons politiques évidentes, ces mesures sont perçues comme étant d'une efficacité incertaine, même si on ne peut exclure que la présence préventive des militaires sur la voie publique ait pu, sans qu'on puisse en être assuré, dissuader certains passages à l'acte. Le fait est qu'à Nice, le 14 juillet, l'Etat d'urgence était encore en vigueur !
Face à ce qui devient une menace durable et difficilement prévisible, à savoir la montée, parallèlement au terrorisme de réseaux organisés, d'un terrorisme d'opportunité individuelle et délirante, les propositions de l'opposition, que ce soit l'ouverture de « Guantanamos à la française » pour interner ( pour quelle durée ? ) les milliers d' individus fichés « S » ( Eric Ciotti), ou la dotation de lances-roquettes pour les patrouilles de militaires sur la voie publique ( Henri Guaino ), témoignent plus d'une volonté de « rouler des biceps » dans un contexte de surenchères liées aux « Pimaires » de la Droite face à une opinion légitimement inquiète, que de recherches de solutions sérieuses . A cet égard, on s'étonne de la prise de position d'Alain Juppé, surprenante chez un homme habituellement plus avisé, à moins qu'en disant : « si tous les moyens avaient pris, le drame n'aurait pas eu lieu », il n'ait voulu stigmatiser son collègue de parti, Christian Estrosi. En effet l'enquête engagée à Nice par le procureur François Molins a déjà fait apparaître que les 700 caméras de surveillance et les 400 policiers municipaux surarmés qu'Estrosi exhibe si fièrement depuis des années devant les médias, n'ont pas permis de procéder au contrôle du tueur fou, lorsque la veille du drame, il s'est rendu en repérage sur la Promenade des Anglais au volant de son camion de + 19 tonnes. Comment comprendre que le camion filmé par les caméras en question alors qu'il circulait dans une zone interdite aux poids lourds depuis des années, n'ait pas fait au moins l'objet, dès lors qu'il était en infraction au code de la route , d'une mesure d'interception et de contrôle de la police municipale, ce qui aurait peut-être permis de déceler le caractère suspect du conducteur et de son véhicule …..
Alors que faire pour essayer de prévenir, dans les mois et les années à venir, une nouvelle action criminelle d’un déséquilibré habillant ses pulsions de mort d’un alibi faussement religieux, et qui, comme le camionneur fou de de Nice sera, comme le dit désormais la formule consacrée, « passé sous les écrans radars » des services de renseignement.

Ne faut-il pas alors mettre en place un processus consistant à abaisser « le niveau des radars » en les rendant capables de capter au plus près ce qui se passe dans les quartiers urbains et les territoires ruraux ?
Pour cela, il conviendrait que le gouvernement s’engage rapidement, parallèlement aux mesures militaires extérieures et intérieures, dans une démarche globale nouvelle, visant à restaurer les dispositifs territorialisés de sécurité publique, liquidés par Nicolas Sarkozy à partir de 2002 .On se rappelle que, pour des raisons idéologiques et budgétaires, il avait décidé de supprimer la police de proximité au profit de la police de la « statistique » ( les fameux taux d’élucidation ! ), mais aussi la suppression des Renseignements généraux, avec en toile de fond la disparition du volet social de la Politique de la Ville, et la suppression de 13000 postes de policiers et de gendarmes . Ce faisant, il a réussi à priver les responsables de la sécurité publique dans les territoires, qu’ils soient préfets, élus locaux ou chefs de service de la Police nationale ou de la Gendarmerie, d’outils et de méthodes efficaces en matière de renseignement territorial. Ce travail, fondé sur la proximité, reposait principalement sur les relations de confiance établies entre les gardiens de la paix et les gendarmes, avec la population de leurs territoires d’affectation, ainsi qu’avec les autres acteurs qu’ils côtoyaient quotidiennement : commerçants , travailleurs sociaux, enseignants, agents des services de transport ou de voirie etc….Au jour le jour, ils recueillaient, au hasard des contacts et des observations de l’espace urbain, une masse d’informations dont les RG faisaient également leur profit . Les conséquences des choix aberrants faits par Nicolas Sarkozy étaient apparus très vite avec les émeutes d’octobre-novembre 2005 que le pouvoir de l’époque, devenu sourd et aveugle, n’avait pas vu venir et qui avaient nécessité trois semaines d’ Etat d’urgence, et une mobilisation massive des forces de police pour rétablir l’ordre après des millions d’euros de dégâts sur les équipements publics.

Sans en venir, du moins dans un premier temps, au rétablissement stricto censu, de la police de proximité telle qu’elle avait été conçue dans les années 2000, et qui fonctionne plutôt bien dans la plupart des pays d’ Europe, il serait envisageable, grâce aux recrutements supplémentaires engagés par le gouvernement actuel pour rétablir la situation des effectifs, dégradée sous le mandat précédent, de remettre en place des dispositifs locaux de veille territoriale, du type « comités de prévention et de sécurité de quartiers », au sein desquels les gardiens de la paix et des gendarmes affectés localement, rencontreraient régulièrement, pour échanger des informations, les partenaires évoqués plus haut, auxquels il conviendrait également d’associer les représentants des services de psychiatrie. Afin de donner à leur participation à ces instances tout le poids nécessaire, il conviendrait que le législateur modifie le code de procédure pénale pour donner à ces agents des forces de l’ordre, en liaison avec l’autorité judiciaire, un pouvoir de suivi et de contrôle du « contingent délinquant » constitué par les délinquants condamnés et/ou sortis de prison au cours des trois années précédentes, et domiciliés dans leurs territoires d’affectation .Si un tel dispositif avait existé dans le quartier du Rouret-Bateco à Nice où habitait Mohamed Lahouaiej Bouhlel, celui-ci, récemment condamné à 6 mois de prison pour violences, aurait fait partie du contingent délinquant , et aurait donc été dans le champ « des écrans radars »….

Pour être vraiment complet et constructif sur cette question, on rappellera les 4 mesures proposées *, dans une logique de prévention comportementale, par l’ Association pour la Sécurité dans la Démocratie, et qui pourraient être intégrées dans une future proposition de loi relative à la modification du code de procédure pénale évoquée ci-dessus, à savoir :


1. toute personne ayant comparu à trois reprises dans le même tribunal correctionnel dans un délai de trois ans pourra faire l’objet « d’injonctions préventives » assurées pendant cinq ans par la police de proximité de son lieu de résidence.

2 . un délit pour « refus des injonctions préventives » sera instauré à l’encontre des récidivistes qui n’auront pas respecté des mesures de vérification de situation, d’interdictions d’accès et de fréquentation proposées par la police de proximité de leur domicile et décidées par le juge d’application des peines ou le procureur. A défaut de créer cette nouvelle législation, des procédures de coopération permanente des policiers de proximité avec les juges d’application des peines seront mises en place.

3. sur décision du Procureur de la République, un entretien avec un psychologue pour inciter à une prise en charge volontaire sera autorisé dans les locaux de police pendant le temps de la procédure ou de la garde à vue avec tout auteur de violences non liées au profit et non criminelles

4. des protocoles de coopération entre psychologues de la police et secteurs de médecine psychiatrique seront établis pour le suivi des personnes déséquilibrées ayant causé un trouble important à l’ordre public et les demandes volontaires des auteurs de violence non liée au profit.
*Ces quatre propositions font partie d’un ensemble de « 24 propositions pour une meilleure sécurité publique », formulées en 2012 par l’Association pour la Sécurité dans la Démocratie et transmises à l’époque au Ministère de l’Intérieur….

Bien entendu, ces propositions ne régleraient pas, à elles-seules, le problème du terrorisme individuel délirant tel qu’il s’est exprimé à Nice. Toutefois, elles ont le mérite d’exister et leur caractère innovant pourrait justifier la mise en place d’une expérimentation dans quelques territoires bien choisis …..

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