La proposition de loi sur le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel adoptée à l’unanimité

La proposition de loi sur le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel adoptée à l’unanimité

Examinée ce mercredi matin, la proposition de loi sur le régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel, dont j’étais rapporteure, a été adoptée à l’unanimité des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Cela est suffisamment rare et démontre une réelle volonté des élus d’inscrire nos institutions dans la transparence de leur fonctionnement.

Il s’agissait de replacer le Parlement dans le rôle que lui confère la Constitution, et notamment celui de fixer la rémunération des membres du Conseil constitutionnel. Étonnamment, ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Il revenait donc à l’Assemblée nationale d’exercer cette compétence et dans le cas d’espèce - qui n’est pas le moindre puisqu’il s’agit d’une institution majeure - de garantir ainsi, par le débat public et le vote, la lisibilité et l’indépendance de cette institution, clef de voûte de notre État de droit.

Madame la Présidente

Mes chers collègues,

La proposition de loi organique que nous examinons ce matin peut présenter un caractère technique, presque aride. Elle fait écho à plusieurs initiatives, d’origine parlementaire ou gouvernementale, qui ont occupé nos débats au cours du début de l’année 2020. Je pense par exemple à la proposition de loi déposée par notre collègue du groupe UDI Thierry Benoît mais aussi à l’article 4 du projet de loi organique de réforme des retraites adopté par notre assemblée il y a presque un an. Il s’agit donc d’un sujet qui mérite d’être traité avec la plus grande rigueur juridique possible, car il charrie inévitablement son lot de fantasmes et d’idées reçues.

Ce sujet, quel est-il ? La proposition de loi organique que le groupe Socialistes et apparentés a inscrite à l’ordre du jour vise, d’une part, à clarifier et à sécuriser juridiquement le régime de rémunération des membres du Conseil constitutionnel, et, d’autre part, à encadrer le cumul de leur rémunération avec les éventuelles pensions de retraite qu’ils perçoivent, grâce à la mise en place d’un dispositif d’écrêtement.

Ces deux objectifs nécessitent de modifier l’article 6 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 qui constitue la base textuelle de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel.

S’il est nécessaire de clarifier et de sécuriser le régime de rémunération, c’est en raison d’une difficulté juridique majeure qui a été soulevée par l’Observatoire de l’éthique publique présidée par notre ancien collègue René Dosière, à la suite d’une enquête accomplie par la professeure de droit public Elina Lemaire depuis plus de deux ans. Cette enquête a révélé que la rémunération actuelle des membres du Conseil constitutionnel, qui s’élève à environ 15 000 euros bruts mensuels à ce jour, ne respecte pas les règles de rémunération fixées par l’article 6 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958.

En effet, l’article 6 prévoit que « le président et les membres du Conseil constitutionnel reçoivent respectivement une indemnité égale aux traitements afférents aux deux catégories supérieures des emplois de l'Etat classés hors échelle. »

La référence aux deux catégories supérieures des emplois de l’Etat classés hors échelle correspond aux traitements perçus par le vice-président et les présidents de sections du Conseil d’Etat. Concrètement, ces montants s’élèvent respectivement à 7 000 et à 6 500 euros bruts mensuels.

En l’état du droit actuel, l’article 6 de l’ordonnance ne renvoie pas au pouvoir règlementaire le soin de prévoir une indemnité complémentaire définie par décret. Cela signifie que la rémunération totale du président et des autres membres du Conseil constitutionnel devrait donc s’élever à 7 000 et 6 500 euros. Les bulletins de paie des membres communiqués par le Conseil constitutionnel à notre collègue Christophe Naegelen dans le cadre de son rapport spécial « Pouvoirs publics » du PLF 2021 montrent que leur rémunération, comme je l’ai déjà indiqué, s’élève à 15 000 euros.

Cette différence de près de 8 500 euros entre ce que prévoit l’ordonnance organique et la réalité de la rémunération s’explique par une lettre, qui n’a jamais été publiée, signée par la secrétaire d’Etat au Budget en date du 16 mars 2001, à l’époque Madame Florence Parly. Afin de compenser l’assujettissement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel à l’impôt sur le revenu, une indemnité de « compensation » a ainsi été versée aux membres, en dehors de toute base légale ou règlementaire, et en violation totale de l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Juridiquement, cette situation présente une irrégularité manifeste. Rien n’autorise en effet le Gouvernement à verser, sans en être habilité par la Constitution ou le législateur organique, une indemnité «secrète» dont le montant s’avère finalement supérieur au montant de la rémunération dûment prévue par les textes en vigueur. Seul le législateur organique, c’est-à-dire le Parlement, est habilité à définir les conditions de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel, en application directe de l’article 63 de la Constitution qui prévoit que la loi organique détermine les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel.

Politiquement, comment peut-on justifier encore de telles pratiques, marquées sous le sceau de l’opacité et du refus de la transparence ?

Je précise d’emblée un point essentiel : l’objet de cette proposition de loi organique n’est absolument pas de diminuer le montant de la rémunération réellement perçue par les membres actuels. J’estime que 15 000 euros bruts mensuels correspondent à une rémunération permettant de garantir pleinement leur indépendance et de les rétribuer à hauteur de leur niveau d’expertise et de leur charge d’activité, particulièrement élevée depuis l’introduction de la QPC en 2010.

Cependant, je considère que la situation actuelle n’est pas tolérable. Il convient donc de fixer directement dans la loi organique un régime de rémunération exhaustif et précis, dans le but de mettre fin à l’illégalité actuelle qui procède d’une indemnité « complémentaire » de 8 500 € versée en application d’une lettre gouvernementale sans aucune base juridique, à la seule discrétion du Gouvernement.

Ensuite, et c’est le second volet de cette proposition de loi organique, j’estime qu’il est nécessaire d’appliquer aux membres du Conseil constitutionnel le régime d’encadrement du cumul de rémunération avec leur pension de retraite qu’a souhaité mettre en œuvre le Gouvernement lui-même à l’article 4 du projet de loi organique de réforme des retraites l’année dernière.

Cet encadrement, déjà applicable aux présidents des autorités administratives et publiques indépendantes, vise à écrêter le montant d’une partie de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel à hauteur des pensions de retraite qu’ils perçoivent. L’encadrement de ce cumul, qui me paraît à la fois légitime, nécessaire et raisonnable, nécessite de l’inscrire à l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : c’est précisément ce que prévoit cette proposition de loi organique, dans le strict prolongement du projet déposé par le Gouvernement l’année dernière.

À la lumière des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteure, j’ai souhaité vous transmettre à toutes et à tous dès hier matin les quatre amendements que j’ai déposés afin de corriger le dispositif de cette proposition de loi organique, dont la rédaction initiale était, je le concède, effectivement perfectible.

L’un de ces amendements distingue explicitement le montant de la rémunération correspondant au traitement du montant afférant à la part indemnitaire. Il précise aussi les modalités de calcul de cette part indemnitaire, grâce à l’application d’un coefficient multiplicateur afin d’aboutir à une rémunération stable, fixée de façon claire et exhaustive dans l’ordonnance organique, afin d’aboutir au montant de la rémunération mensuelle brute globale actuellement perçue par les membres, soit 15 000 euros. C’est sur cette seule part indemnitaire de 8 500 euros que s’appliquera la réduction à due concurrence des montants des pensions de retraite perçues par les membres.

Je crois sincèrement que l’ensemble de ces modifications permettent d’atteindre un point d’équilibre satisfaisant aussi bien l’exigence légitime de transparence que le besoin impérieux de garantir, dans la loi organique, des conditions de rémunération qui préservent l’indépendance des membres du Conseil constitutionnel. Je forme le vœu que ces amendements créent les conditions d’un consensus parlementaire afin d’adopter en ces termes cette proposition de loi organique.

Je vous remercie.

Article du "Canard Enchainé" en date du 11 février 2021

Article de "Capital" en date du 11 février 2021

Article du "Monde" en date du 10 février 2021

Article de "L'opinion" publié le 5 février 2021

 

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