Discussion en séance publique du Projet de loi de modernisation de la Justice

Discussion en séance publique du Projet de loi de modernisation de la Justice
 

 

Mon intervention en séance publique du projet de loi
de modernisation de la justice du 21ème siècle

 

 

 

Monsieur le Président,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

Proposant, avec le projet de loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIème siècle, une réforme judiciaire d’ensemble, le projet de loi organique dont notre Assemblée est saisie a pour objet d’adapter le statut de la magistrature aux exigences de notre temps.

Il répond, en particulier, à la volonté d’une République exemplaire, clairement exprimée depuis 2012.

Cette volonté s’est déjà concrétisée dans le renforcement des garanties d’indépendance relatives à l’exercice de leurs fonctions par les magistrats posé par la loi du 25 juillet 2013, qui interdit au ministre de la Justice d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions dans les affaires individuelles. Plus récemment, elle s’est traduite dans l’adoption conforme, par notre Assemblée, du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Le texte organique que nous examinons aujourd’hui constitue une nouvelle étape dans l’affirmation d’une République exemplaire, en renforçant les garanties relatives à l’indépendance de certaines fonctions judiciaires et les obligations déontologiques des magistrats.

Il vise, également, à apporter des réponses aux contraintes budgétaires et gestionnaires auxquelles le ministère est confronté. Il propose ainsi d’ouvrir la magistrature sur la société, d’améliorer les perspectives de carrière des magistrats et d’en assouplir la gestion.

Confirmant ces orientations, la commission des Lois a apporté plusieurs modifications au texte transmis par le Sénat.

  1. Nous avons ainsi souhaité élargir les voies d’accès à la magistrature.
  2. Nous avons tout d’abord étendu le recrutement sur titres à l’auditorat de justice aux juristes assistants nouvellement créés dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste.

Ainsi, les docteurs en droit et les personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant cinq années d’études supérieures dans le domaine juridique ou justifiant d’une qualification au moins équivalente pourront, à l’issue d’au moins trois années d’exercice professionnel en qualité de juriste assistant, être nommés directement auditeurs de justice.

Il s’agit d’une avancée importante. Toutefois, je considère qu’il convient de rendre cette voie d’accès plus attractive :

– en réduisant la durée de scolarité, qui est aujourd’hui de plus de deux ans et demi, pour ces personnes qui ont une connaissance approfondie du droit ( En moyenne 10 ans d’’études universitaires en droit)  et une expérience professionnelle d’au moins trois années auprès de magistrats ;

– et en leur assurant une rémunération suffisamment attractive.

Cette profession souffre actuellement d’un manque d’attractivité, pour diverses raisons qui ne sont pas uniquement liées à la difficulté du concours d’entrée à l’ENM. Il ne faut donc pas décourager nos brillants candidats potentiels, notre jeunesse issue par le haut de l’université, de s’engager dans cette voie. Ils apporteront une diversité de culture très importante à la qualité du jugement.

  1. Par ailleurs, nous avons, quoique encore insuffisamment, élargi et rendu plus attrayantes les conditions d’intégration temporaire de la magistrature. Afin de simplifier la complexité des différents statuts en vigueur, nous avons « fusionné » les juges de proximité avec les magistrats exerçant à titre temporaire. Enfin, une présentation qui gagne en lisibilité et simplification. Merci au Ministre de la Justice.
  2. Nous avons par ailleurs renforcé les garanties d’indépendance relatives à certaines fonctions judiciaires et défini un cadre déontologique précis pour les magistrats.
  3. Pour ce qui concerne tout d’abord les garanties en matière d’indépendance, nous avons rétabli la réforme du statut du juge des libertés et de la détention, qui avait été supprimée par le Sénat.

Il convient en effet de conférer au juge des libertés et de la détention le statut de juge spécialisé, avec les conséquences que cela emporte en termes de nomination et de rémunération notamment.

La nomination par décret du Président de la République, pris sur proposition du garde des Sceaux, après avis conforme du CSM, présente l’avantage, d’une part, de prévenir tout changement d’affectation arbitraire et toute tentative d’intervention et, d’autre part, de transformer cette fonction souvent « subie » en une fonction « choisie », puisque seuls les magistrats ayant postulé pourront se la voir attribuer.

La reconnaissance du statut de juge spécialisé emporte, en outre, une prime spécifique, qui devrait contribuer à renforcer l’attractivité de cette fonction.

Ce statut spécialisé du juge des libertés et de la détention répond à une exigence que nous avons rappelé à plusieurs reprises, au regard, d’une part,  de l’accroissement de ses compétences et du raccourcissement des délais dans la prise de décision dans la loi du 7 mars  2016 relative au droit des étrangers et d’autre part et surtout de la réforme de la procédure pénale sur le point d’être adoptée à la suite d’une CMP conclusive, qui dispose de nouvelles mesures pouvant être prises par le procureur de la République sur autorisation du juge des libertés et de la détention.

Certes, la fonction de JLD ne correspond pas à un plein temps, dans les juridictions de petites et moyennes tailles, mais il pourra se voir confier par le président du tribunal  d’autres activités juridictionnelles, à l’image de ce qui se pratique pour le juge des enfants et le juge d’instruction. La vacance d’emploi sera également assuré par une  plus grande souplesse dans la répartition des services.

Ainsi la nomination par décret sur avis conforme du CSM permet de garantir l’indépendance du JLD dont les attributions sont en constante extension et son rôle majeur en terme d’équilibre et de contrôle du pouvoir d’enquête.

 

  1. Nous avons, enfin, sensiblement renforcé les obligations déontologiques des magistrats

Que les magistrats n’y voient aucun signe de défiance à leur égard ! Il s’agit simplement de transposer des outils que le législateur a déjà prévus, dès 2013, pour les principaux décideurs publics et, par la récente loi du 20 avril 2016, pour les fonctionnaires et les membres des juridictions administratives et financières.

Loin de gêner l’exercice des fonctions judiciaires, ces mesures déontologiques contribueront au contraire à restaurer la confiance de nos citoyens dans leur système judiciaire.

C’est ainsi que notre Commission des lois a créé un collège de déontologie des magistrats de l’ordre judiciaire. Celui-ci ne s’occupera que de questions individuelles et sera donc un utile complément de l’action du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont la compétence en matière de déontologie est limité par la Constitution à des avis de portée générale.

La commission des Lois a également étendu  l’obligation de déclaration d’intérêts au premier président et au procureur général de la Cour de cassation, ainsi qu’à l’ensemble des membres du CSM. Elle a également fait en sorte que les dispositions déontologiques applicables aux magistrats judiciaires soient les plus proches possibles de celles régissant les membres des juridictions administratives et financières.

Enfin, poursuivant cette entreprise d’harmonisation et de diffusion d’une culture déontologique, la commission des Lois a transposé aux membres du Conseil constitutionnel les obligations de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniales. Il nous faut, en effet, prendre acte de la juridictionnalisation croissante de cet organe – dont témoigne encore, tout récemment, le nouveau mode de rédaction de ses décisions, qui vise à en approfondir la motivation.

Le projet de loi ordinaire comporte en cohérence des avancées similaires en terme de déontologie. C’est ainsi que nous avons adopté des dispositions attendues s’agissant des juges consulaires en commission des lois. Nous aurons à discuter en séance de l’opportunité de telles mesures s’agissant des conseils de prud’hommes ;  là encore non pas par défiance, mais parce qu’au regard de l’acte de juger, un acte qui fait grief, il importe de garantir le justiciable de tout conflit d’intérêt dans le prononcé du jugement. Ces déclarations d’intérêt et de patrimoine, ces collèges de déontologie ne sont que des outils au service de l’institution juridictionnelle et de ses acteurs, pour développer à la fois la pédagogie et la réflexion partagée sur une éthique dans le travail,  affichée et attendue des citoyens.

Pour conclure, M. le ministre, mes chers collègues, je vous invite à suivre notre commission des Lois et à adopter ce projet de loi organique, qui apporte de nombreuses avancées au profit tant des magistrats que des justiciables.


Lire le discours de Jean-Jacques URVOAS, Garde des Sceaux, ministre de la Justice prononcé lors de la séance publique du mardi 17 mai 2016

 

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