Intervention aux rencontres juridiques des collectivités territoriales

Intervention aux rencontres juridiques des collectivités territoriales

Ce mercredi 20 novembre s'est tenue la 10e édition des "Rencontres Juridiques des collectivités territoriales", organisée par le Centre interdépartemental de gestion de la petite couronne à Pantin.

Dans un contexte politique et social de très forte sensibilité en matière de transparence de l’action et de la vie publique, les obligations déontologiques des agents constituent le fil rouge de ces journées d’actualité. Il m'a été demandé d'introduire ces journées sur le thème "transparence ou défiance ?". Voici le texte de base de mon intervention :

1. La transparence de la vie publique : un enjeu ancien devenu incontournable pour restaurer la confiance

Le principe de transparence « résulte de la méfiance à l’égard des agissements possiblement coupables des gouvernants, mais sert aussi à accroître la confiance des gouvernés, en limitant les pratiques de corruption ». C’est ainsi que dès la fin du XIXème siècle, à travers la philosophie benthamienne, la transparence, synonyme de publicité, est déjà présente. Limitant les tentations de corruption chez les élus, en les contraignant à se conformer à leurs devoirs, elle devient un garant d’intégrité. Et pour Rousseau et Constant, elle constitue un instrument qui permet de protéger, voire d’exposer l’honneur des hommes intègres et d’éreinter ceux qui agissent de manière coupable.

La transparence n’est donc pas un enjeu purement contemporain, mais elle s’est imposée comme primordiale avec la crise de la représentation. D’après les sondages d’opinion, près de 65% des Français estiment que les parlementaires sont corrompus et la France se classe encore au 21ème rang de l’indice de perception de la corruption publié par Transparency international. « Les citoyens sont de plus en plus méfiants voire défiants à l’égard des représentants publics ». disait le Vice-Président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé il y a peu de temps. « Ils ne tolèrent plus l’opacité et le secret qu’ils perçoivent comme la survivance d’un régime certes démocratique mais trop distant du reste de la société ». La transparence devient donc la condition de la participation des citoyens à l’élaboration et au contrôle de l’action publique. « Elle est nimbée d’une aura de modernité, de respectabilité, voire de rectitude, et elle tend à s’imposer comme une obligation incontournable ». Bien qu’incontournable, la transparence n’est donc pas un objectif en soi : elle doit permettre de re-légitimer le politique, de restaurer la confiance. Et c’est en ce sens que depuis moins de dix ans, le législateur a adopté diverses lois.

2. La transparence de la vie publique : plusieurs lois pour lutter contre la méfiance des citoyens

L’émotion suscitée par ce que l’on nomme désormais « l’affaire Cahuzac » a agi comme un élément déclencheur, dans la droite ligne d’une histoire qui nous enseigne que les scandales politico-financiers sont souvent à l’origine d’évolutions de la législation. En outre, la promesse faite par le Président Hollande, d’un quinquennat exemplaire, a contribué à l’adoption des lois organique et loi ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique. « La transparence ! disait-il. « Il ne s’agit pas d’exhiber, il ne s’agit pas de mettre en cause, il s’agit pour les Français d’être sûrs que ceux qui les gouvernent, puissent, pendant la durée des mandats qui leur ont été confiés, ne pas connaître d’enrichissement ». Mais malgré la tenue d’une commission d’enquête ouverte, avec l’opposition et la presse, la discussion parlementaire n’a pas permis de dépasser les traditionnels clivages partisans. L’occasion était pourtant propice, compte tenu de l’importance des enjeux traités. Le dernier mot a donc été donné à l’Assemblée nationale.

Ces textes ont permis deux avancées majeures. La première a été de généraliser l’obligation de remplir des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts à plus de quinze mille personnes, dont les principaux décideurs publics (membres du Parlement national et européen, membres du Gouvernement, principaux exécutifs élus locaux). C’est à ce champ d’application très vaste que se mesure l’ambition de ces textes. La seconde a été de créer la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, clé de voûte du dispositif de contrôle des patrimoines et de lutte contre les conflits d’intérêts. Autorité administrative indépendante, elle est chargée d’une mission de service public essentielle : promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics.

Parce qu’il faut restaurer la confiance dans l’ensemble de la sphère publique, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a ensuite étendu l’obligation de remplir une déclaration d’intérêts aux hauts fonctionnaires, ainsi qu’aux membres du Conseil d’Etat, de la juridiction administrative et des juridictions financières.

Demeuré encore jusque-là un sujet tabou, la question du lobbying a ensuite été abordée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dit « Sapin II ». Un répertoire numérique public des représentants d’intérêts auprès des personnes publiques tenu par la HATVP a été créé à cette occasion. « La transparence est une conquête jamais achevée. Elle est nécessaire à notre démocratie car l’opacité est la mère de tous les soupçons, de toutes les défiances, de toutes les démagogies, de toutes les dérives. » disait le ministre Sapin.

Enfin la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a permis de consacrer la fusion de la Commission de déontologie avec la HATVP. Il s’agissait de confier à une autorité indépendante unique le contrôle du pantouflage des responsables et agents publics. Le Président de la HATVP Jean-Louis Nadal partageait d’ailleurs cet avis, estimant que la fusion permettrait de « renforcer la cohérence et la lisibilité du système de prévention des conflits d’intérêts dans la sphère publique ». C’est par un amendement collectif et transpartisan que l’administration a été contrée dans sa volonté de conserver une commission de déontologie à sa main – des fonctionnaires se prononçant sur la situation d’autres fonctionnaires – plutôt que d’en voir ses missions transférées à une autorité indépendante telle que la HATVP.

Les lois récentes n’ont donc pas eu pour objectif de jeter le soupçon sur les responsables publics ou de les désigner à la vindicte de l’opinion public. Elles visaient seulement à garantir que ceux-ci ne servent pas d’autre finalité que l’intérêt général.  Si elles jettent les bases d’une confiance renouvelée du public dans ses représentants et les institutions, des progrès restent néanmoins indispensables.

3. La transparence de la vie publique : des progrès toujours nécessaires pour restaurer la confiance

Le développement d’une véritable culture déontologique au sein de l’administration est essentiel ; et à ce titre il est nécessaire de donner à la HATVP une mission de diffusion de cette culture. Lui confier une mission d’accompagnement et de formation des référents déontologues, chargés d’apporter aux agents tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques, serait une avancée majeure. Jean-Louis Nadal affirme lui-même : « il faut former et accompagner ces référents déontologues. En discutant régulièrement avec eux, nous nous sommes aperçus qu’il existait une véritable demande de formation et de mise en réseau pour leur permettre de discuter avec leurs pairs, de bénéficier de retour d’expérience et d’un bloc de références sérieuses. » Devenir la tête de réseau en matière déontologique : telle est une proposition ambitieuse, restée lettre morte jusqu’ici malheureusement, mais l’idée est en germe, et nous y parviendrons. Une prochaine étape sera également de débattre de la constitutionnalisation de la HATVP, défendue notamment par l’Observatoire de l’éthique publique afin de pérenniser cette institution, comme la Constitution le fait pour le Défenseur des droits, et ainsi la placer à l’abri des aléas législatifs. 

Par ailleurs, la lutte contre les lobbies doit aussi être au centre de nos préoccupations. Si le renforcement du rôle du déontologue de l’Assemblée est bienvenu, des évolutions restent nécessaires. C’est ainsi que j’ai imaginé que les députés mentionnent l’origine de leurs amendements, lorsqu’ils émanent de groupes d’intérêts. Il en va du bon fonctionnement de notre démocratie. Le rôle des lobbies reste aussi totalement obscur dans le processus gouvernemental d’élaboration de la loi, et des progrès doivent être faits à ce niveau.

Enfin, seul échappe désormais à l’exigence de déclaration d’intérêt et de situation patrimoniale, dans la sphère publique, les membres du conseil constitutionnel. Et pourtant ils rendent des décisions insusceptibles de recours dont l’importance doit être entourée de toutes les garanties. Ses membres pourraient se saisir de cet impératif de transparence, même sans loi. Mais il parait tout de même important que le Sénat se décide à inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi relative aux obligations déontologiques applicables aux membres du Conseil constitutionnel, adoptée à l’Assemblée en janvier 2017.

« La législation française sur la déontologie de la vie publique est désormais l’une des plus complètes et des plus ambitieuses non seulement en Europe, mais aussi dans le monde ». disait le Vice-Président Sauvé. Mais des évolutions sont toujours nécessaires afin que la transparence, « gardienne publique de l’intégrité » selon les mots de Pierre Rosanvallon, devienne une « forme d’exercice d’un pouvoir citoyen ».  

Cécile Untermaier

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