le JDD - itw de Jacques ATTALI :"Une juxtaposition de rentiers et de corporatismes"

 INTERVIEW  (29 juin 2014) - Jacques Attali, président de PlaNet Finance, analyse pour le JDD les blocages français.

http://www.lejdd.fr/Politique/Attali-Une-juxtaposition-de-rentiers-et-de-corporatismes-673810

Jacques AttaliParu dans leJDD
Jacques Attali, dans les locaux parisiens de PlaNet Finance, vendredi. (Bernard Bisson/JDD)

Il est un des réformateurs en chambre préféré des présidents de la Ve République. François Mitterrand avait fait de Jacques Attali son conseiller spécial et son sherpa pour les sommets du G7. Visiteur du soir de Nicolas Sarkozy et François Hollande, l'économiste, écrivain et président de PlaNet Finance a, depuis, multiplié les rapports pour libérer la France de ses blocages. En janvier 2008, sollicité par Nicolas Sarkozy, sa Commission pour la libération de la croissance a émis des centaines de recommandations. En 2012, François Hollande lui commande un rapport sur "l'économie positive" pour évoluer vers un modèle plus altruiste et tourné vers les générations futures. Dernière mission "hollandaise" : un rapport sur la francophonie comme facteur de croissance. Pour lui, pas de doute, la France est en danger. 
Dans un appel à François Hollande et Manuel Valls, huit organisations patronales s'alarment du déclin de la France. Y a-t-il péril en la demeure?
Appel bienvenu. Mais cela ne suffit pas. Aujourd'hui, notre pays rend plus difficile les investissements étrangers ou refuse leurs visas à des centaines de milliers de talents de pays émergents. Tout le contraire de ce que font les autres. Cet appel vaut aussi pour ses signataires. Car nos entreprises, sauf celles qui affrontent le marché mondial, sont aussi conservatrices que l'État, les syndicats, les régions et les autres détenteurs de rente. Qu'attendent-ils, eux, entrepreneurs, pour innover, inventer des produits nouveaux, réinvestir leurs profits?! Qu'attendent-ils pour former les chômeurs et investir dans le durable? Trop d'entre eux s'accrochent encore à leurs rentes. Depuis trente ans, ce repli a énormément abîmé la marque de la France. Trop d'entreprises n'ont pas pris conscience que si elles ne changent pas, elles seront balayées par le grand vent de la concurrence. Et la France avec elles. 
«Un président doit faire preuve de courage et d'indifférence parce qu'il a un projet et sait l'expliquer»
Le Sénat bloque la réforme territoriale. N'est-ce pas un énième symbole d'une France non réformable?
La France ne parvient pas à se réformer parce que notre pays est une juxtaposition de corporatismes et de rentiers. C'est dans son ADN : elle a choisi la terre et le foncier. Chez nous, chacun protège la rente des autres pour qu'on ne touche pas à la sienne. Cela va des sénateurs aux cheminots, prêts à bloquer toute modernisation qui nuirait à leurs privilèges. Même s'ils y gagneraient à moyen terme. Cela vaut aussi pour les maires dont beaucoup paralysent la construction de logements dans leurs communes pour ne pas accueillir de nouveaux électeurs et maintenir le prix de la pierre. Le Sénat est également un exemple très révélateur de ces rentes paralysantes. Parce que la réforme territoriale va supprimer certaines instances locales porteuses de mandats, les sénateurs, gauche et droite confondues, vont tout faire pour la torpiller. 
La France n'a bougé ni avec Nicolas Sarkozy, ni avec François Hollande…
Un président doit faire preuve de courage et d'indifférence parce qu'il a un projet et sait l'expliquer. La France ne s'est sérieusement reformée, depuis la Seconde Guerre mondiale, que trois fois : en 1945, 1958 et 1981. C'est alors que des évolutions fortes se sont produites. Pour qu'un président puisse agir face à un appareil d'État comme le nôtre, arc-bouté sur sa puissance, il faut qu'il soit porté par une situation tragique. Sinon il ne sera pas pris au sérieux. Et il faut qu'il engage tout de suite les réformes cruciales. Si Nicolas Sarkozy avait mis en œuvre, sans tarder, toutes celles de la Commission pour la libération de la croissance française que j'ai présidée, le pays serait sorti d'affaire. Il ne l'a pas fait par manque de courage et peur de la rue. François Hollande a gagné parce que Nicolas Sarkozy a été battu. La seule façon de faire les choses en politique, c'est de les faire vraiment en se bouchant les oreilles. 
Comment sortir de cette impasse?
Nos partis majoritaires n'ont ­jamais de réflexion programmatique quand ils sont dans l'opposition. C'est, de façon caricaturale, le cas de l'UMP en ce moment. Il faudrait, à peine les élections présidentielles terminées, que l'équipe perdante organise des primaires et désigne son candidat pour le prochain tour. Cela forcerait les partis à préparer un vrai programme d'alternance. Il faudrait aussi revenir sur la durée du mandat du président de la République, ramenée de sept à cinq ans. Avec un mandat de cinq ans, on ne peut pas penser à long terme. 
Quelles sont les réformes qu'il est urgent et vital d'engager?
Il faut supprimer les départements et boucler la réforme territoriale pour créer des régions plus vastes et mieux dotées en moyens. Il faut orienter les 32 milliards annuels de la formation vers nos 5 millions de chômeurs. Nous devons réformer le droit au logement en transférant les permis de construire des maires vers l'État. On doit lancer un grand plan d'investissements en Europe axé sur les programmes de haute technologie. Enfin, il faut basculer une grande partie des charges sociales sur la TVA. Tout cela peut se faire très vite par ordonnances et produire des effets dès 2015.

A lire aussi