#VIF

Violences intrafamiliales : adoption à l'unanimité en séance publique de ma proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection

Violences intrafamiliales : adoption à l'unanimité en séance publique de ma proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection

Ma proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection a été débattue en séance publique lors de la niche parlementaire socialiste du 9 février dernier et adoptée à l'unanimité.

Pour rappel, ce texte visait à :

- Faciliter la délivrance de l’ordonnance de protection, en supprimant pour le juge aux affaires familiales l’obligation d’apprécier la notion de danger et en conservant uniquement l’appréciation des violences vraisemblables. Il s’agit de considérer que dès lors qu’il y a violence et que la victime se présente devant le juge, la question du danger, après débat contradictoire, n'a plus à se poser. Aucune violence n'est anodine et toutes méritent une protection.

- Doubler la durée maximale de l’ordonnance protection de 6 à 12 mois. 

L’objectif du texte est de protéger plus et mieux grâce à des solutions de droit simple, facilitant l’office du juge, et permettant davantage d’apaisement chez les victimes. 

"Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre / Madame la Ministre, 

Monsieur le Président de la commission des lois, 

Mes chers collègues,

Cette proposition de loi est examinée aujourd’hui selon la procédure de législation en commission, ce qui signifie que le droit d’amendement ne s’exerce qu’en commission. 

Le travail de modification s’est donc fait lors de l’examen du texte en commission des lois, et je remercie mes collègues pour une discussion que j’ai trouvée très constructive. Le sujet des personnes victimes de violences conjugales nous préoccupe tous, et notre souci principal en commission a été de trouver une rédaction de compromis pour renforcer le mécanisme de l’ordonnance de protection. 

En deux mots, l’ordonnance de protection est une procédure d’urgence qui permet au juge aux affaires familiales de prendre toute une série de mesures dans un délai très rapide lorsqu’il est confronté à une situation de violences conjugales. Parmi ces mesures, citons l’interdiction de contact ou de paraître, mais aussi la possibilité pour la partie demanderesse de dissimuler sa domiciliation. 

C’est, dans la panoplie judiciaire, la première étape pour une victime qui souhaite se séparer d’un partenaire violent et se protéger d’un ancien partenaire violent. Ces mesures doivent lui permettre d’organiser au mieux cette séparation tout en étant protégée. 

Cette ordonnance est un bel outil, mais qui est loin de donner entièrement satisfaction. 

On vous dira que les chiffres progressent. + 129 % du nombre de demandes accordées entre 2015 et 2021. 

Mais lorsqu’on part de très bas, une augmentation de 129 %, c’est toujours largement insuffisant. Il faut s’intéresser aux chiffres en valeur absolue. Le nombre de demandes d’ordonnances de protection acceptées en 2021 étaient de 3 852. 

Ce chiffre est dérisoire, lorsque vous le mettez en balance avec le nombre de personnes qui se sont déclarées victimes de violences par un partenaire ou ex-partenaire en 2021 : plus de 208 000 personnes.  

Il est dérisoire lorsque vous comparez à celui de l’Espagne : en 2020, 25 289 ordonnances de protection ont été délivrées. 

Enfin, il est dérisoire lorsqu’on reprend les chiffres de l’année 2021 : 

- 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 

- 684 victimes ayant tenté de se suicider ou s’étant suicidé suite au harcèlement de leur (ex-)partenaire ; 

- 190 tentatives de féminicides. 

Pour reprendre les mots d’Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, ce n’est pas une femme qui meurt sous les coups tous les trois jours, mais trois victimes tous les jours qui sont aux portes de la mort ou la franchissent. 

C’est ce constat qui m’a conduit à déposer cette proposition de loi qui modifie les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection. 

L’article 1er reprend une préconisation du comité national de l’ordonnance de protection, le CNOP. Ce comité a été instauré par la ministre de la Justice en 2020 pour augmenter le nombre de demandes d’ordonnances, et le nombre d’ordonnances de protection délivrées. 

Ce comité a publié un premier rapport d’activité en juin 2021 avec un certain nombre de recommandations. L’une de ces recommandations est de retirer la notion de « danger » de la loi. 

En effet, l’article 515-11 du code civil prévoit aujourd’hui que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s’il estime […] qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».  

Or, une étude menée par une magistrate honoraire membre du CNOP montre que la notion de danger complexifie la décision à rendre par le juge. Elle conduit les magistrats à opérer une hiérarchisation dans les violences, en distinguant celles qui sont sources de danger, et celles qui ne sont pas sources de danger. 

Or, peut-on envisager des violences, portées devant le juge, qui ne mettent pas en danger la personne qui les subit ? Je crois au contraire que toutes les violences participent à mettre en danger celles qui les subissent, et que toutes les victimes de violences méritent d’être protégées. 

Ce message doit être martelé par le législateur pour donner confiance aux victimes, les inciter à saisir le juge, en leur disant qu’aucune violence n’est anodine, que toute violence mérite une protection. 

J’ai longuement échangé avec la présidente du CNOP, Ernestine Ronai, et je suis convaincue du bien-fondé de cette préconisation. 

En conséquence, dans sa rédaction initiale, l’article 1er retirait de l’article 515-11 du code civil la notion de danger, considérant qu’elle est en réalité inhérente à la reconnaissance de violences vraisemblables.  L’objectif de cet article 1er était de lever un obstacle à la délivrance de l’ordonnance de protection, obstacle dont les associations se font l’écho et qui compliquent le travail des magistrats.  Je crois d’ailleurs que nous y viendrons.

J’ai entendu cependant en commission les craintes exprimées par plusieurs députés. Ce dispositif est essentiel et ne doit pas être fragilisé juridiquement.  

Je considère pour ma part que la procédure apporte des garanties suffisantes à la partie défenderesse – décision d’un juge après un débat contradictoire, mesures provisoires –et qu’il est clair, même en l’absence de la mention explicite de danger, que le juge ne se prononce pas sur une culpabilité mais sur un risque potentiel. C’est une ordonnance de protection, donc de prévention, et non pas une sanction. 

Les débats en commission ont conduit à une évolution de la rédaction de cet article 1er. Par un amendement de la majorité, la notion de danger potentiel a été ajouté parmi les critères qui doivent emporter la conviction du magistrat lorsqu’il délivre une ordonnance de protection. 

Cette modification, qui va moins loin que ce que j’espérais, reste une avancée, et je ne peux qu’espérer que cet article, et cette proposition de loi, seront adoptés à une large majorité ce soir.  

Cet article 1er est complété par l’article 2, qui modifie la durée maximale des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance. Aujourd’hui, ces mesures le sont pour une durée de six mois. L’article 2, qui reprend une proposition faite par la ministre Laurence Rossignol au Sénat, allonge ces délais à un an. Cela part d’une conviction : six mois, c’est très court pour organiser une séparation et repartir sur de nouvelles bases. Je crois qu’il est intéressant de laisser une plus grande marge de manœuvre au juge.  

Cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée des propositions de loi précédentes, et je veux saluer ici le travail de mes collègues sur le sujet. La proposition de loi d’Aurélien Pradié de 2019 a permis de grandes avancées, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de protection. 

La loi du 20 juillet 2020 a également permis des améliorations, notamment en matière de levée du secret médical pour les victimes de violences conjugales et de reconnaissance du suicide forcée comme une circonstance aggravante.  

En aucun cas je ne souhaite que le législateur force la main du juge. C’est même l’inverse : je suis convaincue que sur ce sujet, il faut faire confiance au magistrat pour apprécier la situation et prendre les mesures adaptées

Je vous remercie."

Cécile Untermaier

A lire aussi