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Projets de loi Justice : discussion des textes issus de la commission mixte paritaire

Projets de loi Justice : discussion des textes issus de la commission mixte paritaire
La commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et sept sénateurs, s’est réunie jeudi 5 octobre pour trouver un accord sur les points de discussion restants des projets de loi d’orientation et de programmation de la Justice 2023-2027, et d’ouverture, de modernisation et de responsabilité du corps judiciaire. Les grands équilibres des deux textes ont été maintenus (notamment l’activation à distance des appareils électroniques aux fins de géolocalisation et de captation d’images et de sons), mais certaines modifications ont été introduites lors de la CMP : sur la justice commerciale, les associations, fondations et fonds de dotation seront finalement intégrés au champ de compétences des nouveaux tribunaux des affaires économiques ; la saisie sur rémunération gérée par les commissaires de justice, en lieu et place, du juge de l’exécution a été rétablie ; l'encadrement de l’expression publique des magistrats par le respect du principe de l’impartialité. Mais les exigences déontologiques des magistrats sont déjà définies et encadrées par l’article 10 de l’ordonnance de 1958, relative à la magistrature.

Lire et voir mon intervention en séance publique

"Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Monsieur le Président de la commission des Lois, Messieurs les Rapporteurs, Chers collègues,

Ces textes de loi tentent de répondre à l’état de délabrement du système judiciaire français, la souffrance de ses professionnels, et la défiance du justiciable vis-à-vis de cette institution. 

La justice est assise sur le socle constitutionnel de son indépendance, il est essentiel pour notre démocratie d’y veiller. La France compte 11 juges pour 100 000 habitants, contre 22 en moyenne en Europe, les greffiers, les fonctionnaires et les assistants spécialisés autour du juge sont bien moins nombreux qu’ailleurs. L’indépendance de la justice passe autant par son autonomie financière que par sa capacité à s’organiser, et si nous ne redressons pas la barre, le système judiciaire français se délitera progressivement et avec lui, le fondement de son indépendance. 

I S’agissant de la loi organique, la CMP n’a rien changé de ce texte.

Nous sommes satisfaits des amendements de mon groupe adoptés en séance publique et maintenus en CMP permettant de faciliter l’ouverture de la magistrature aux professionnels, à la jeunesse étudiante et aux doctorants. Le départ des magistrats dans des cabinets d’avocats d’affaire, par exemple, a démontré l’insuffisance de l’encadrement actuel et la nécessité d’une mise en œuvre d’un dispositif de régulation, nécessaire mais sans doute pas suffisant. 

La responsabilité renforcée des magistrats devant le CSM et l’inscription dans la loi des conseils de juridictions avec la participation de l’ensemble des parlementaires du ressort, participent de cette volonté d’ouverture. Le renforcement du rôle local du député, auquel je tiens pour parfaire la démocratie, trouve ici toute sa place. 

Enfin, la seule nouveauté est une disposition relative à l’expression publique des magistrats, qui vient alourdir l’article 10 de l’ordonnance de 1958. Cette mesure ajoutée en CMP est aussi inutile qu’incompréhensible. Elle est le résultat d’un compromis permettant au Sénat de sauver la face et au Gouvernement de recueillir un accord, mais qui en réalité n’apporte rien de plus à ce qui existe déjà dans les textes. Sur le fond, la première partie de la phrase est inutile : les magistrats n’ont pas attendu les sénateurs pour régler la question de l’impartialité qui pourrait être mise à mal par une expression publique. L’impartialité est une vertu qui s’applique au cas par cas et oblige le juge unique ou dans la formation de jugement, soit à se déporter, soit à être mis à l’écart. Tout magistrat a le droit de s’exprimer publiquement et toute expression publique trouvera sa sanction dans l’exigence d’impartialité. 

Enfin, le droit syndical ne peut être limité en l’état dans notre droit. Il en est de même du droit syndical des policiers. Que ce soit pour l’article 10 ou l’article 10-1, le droit syndical ne peut être atteint. 

Quant à la seconde phrase, elle est incompréhensible, puisque c’est précisément l’indépendance du magistrat qui lui permet de s’exprimer. C’est plutôt sur la réalité de l’indépendance des magistrats du parquet que l’expression publique pourrait se concentrer. 

Cet ajout malvenu doit nous interroger collectivement sur le caractère archaïque de la CMP. La tendance actuelle aux CMP conclusives ne devrait pas susciter un tel enthousiasme, autour d’arrangements partisans et obscurs qui ternissent l’image du Parlement. 

Nous avons donc un texte qui ne bouge pas dans ces fondamentaux, et si la volonté du Gouvernement et du Sénat était de restreindre l’expression publique des magistrats, c’est un objectif raté, et c’est tant mieux car nous avons besoin de cette expression publique. Nous voterons donc ce texte organique. Je remercie d’ailleurs Didier Paris et le Gouvernement des avancées constructives obtenues en séance publique. 

II S’agissant de la loi ordinaire

Ce texte prévoit une majoration budgétaire de 2 milliards supplémentaires et la création d’emplois d’ici 2027. Nous serons vigilants à la concrétisation de cette programmation chaque année dans le cadre de la loi de Finances. Force est de constater que ces annonces sont appréciées par les professionnels et que certaines juridictions ressentent déjà ces effets bénéfiques. 

Dans ce contexte d’embellie budgétaire conséquente, les greffiers sont pour nous les grands oubliés de la réforme. Nous sommes soucieux de la suite donnée aux négociations en cours. L’aide substantielle réservée aux magistrats doit s’accompagner d’un effort similaire pour ces chevilles ouvrières qui tiennent les colonnes des palais de justice. 

Au-delà de ces avancées budgétaires importantes, persistent comme en première lecture, des mesures qui ne nous conviennent pas. Vous les connaissez, nous n’y revenons pas. 

En conséquence, au regard de ces critiques, mais en considération de la priorité budgétaire, mon groupe s’abstiendra sur le vote de la loi ordinaire comme il l’avait fait en première lecture. Certains d’entre nous continueront à voter contre. 

En revanche, la loi organique qui ne bouge pas dans ses fondamentaux recueille de notre part un vote positif tel qu’il a déjà été exprimé en première lecture. Je vous remercie. »

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