Mon intervention sur le projet de loi sur la confiance dans l'institution judiciaire

Mon intervention sur le projet de loi sur la confiance dans l'institution judiciaire

Monsieur le Garde des Sceaux, 

Avec ce texte, le Gouvernement entend rétablir une fois encore le lien de confiance, cette fois, entre les citoyens et l'institution judiciaire.... Satisfaire cet objectif honorable, en mettant si fort  l’accent sur la justice pénale sera compliqué. C’est d’abord de la lenteur de la justice civile que les citoyens se plaignent et sans remettre en question le travail des magistrats qui font ce qu’ils peuvent, ce sont bien les délais dans les litiges du quotidien ( affaires familiales en particulier, tutelles et curatelles, consommation etc.) qui sont remis en question  par les justiciables et qui font qu’ils se découragent de saisir la justice.

C’est aussi pour en revenir au pénal, la question des classements sans suite en nombre, qui ne sont notifiés ni aux plaignants, ni aux victimes, faute de temps. Mais la réponse judiciaire s’impose et il faut se donner les moyens de satisfaire cette simple exigence, qui fait que dès lors que la justice est saisie, une réponse est impérativement donnée.

I - Ce texte porte plusieurs mesures qui sont bienvenues et/ou perfectibles :

1/ Issue des travaux de la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice, la limitation de la durée de l’enquête préliminaire est pour nous une bonne mesure. Il convient aussi de renforcer le contradictoire et rééquilibrer ainsi les droits de la défense et ceux de l’accusation. Nous proposerons une réduction plus importante encore du délai de l’enquête, ce qui ne va pas plaire au parquet, ni au juge du siège d’ailleurs, et l’ouverture au contradictoire plus rapide que ce qui est prévu dans le texte.

2/ La consolidation du secret professionnel de l’avocat s’imposait en effet et je salue cette avancée, alors que de récentes affaires ont mis en évidence des atteintes graves à ce principe.  Nous reviendrons sur la définition du secret professionnel dont il nous parait improbable de dissocier l’activité de défense et de conseil de l’avocat, ce dernier représentant d'ailleurs 70% de son activité.

3/ La refonte des règles déontologiques ainsi que des procédures disciplinaires applicables aux professionnels du droit emporte également notre adhésion. Ces dispositions reprennent en partie les recommandations élaborées dans le cadre de la mission flash sur la déontologie des officiers publics et ministériels, menée avec mon collègue Fabien Matras. Nous demanderons à les  compléter avec la mise en place d'un collège de déontologie auprès de chacun des ordres. Le travail mené avec votre cabinet comme avec les professionnels, nous permettra de vous présenter des amendements de qualité.

4/ Enfin, la création du statut de « détenu travailleur » ainsi que la reconnaissance à venir, par ordonnances, des droits sociaux des détenus, concourent à l’effort que doit mener la France, condamnée à des nombreuses reprises par la CEDH, sur les conditions de détention dans ses prisons.

II - D’autres mesures appellent des réserves :

1/ Il en est ainsi de la généralisation des cours criminelles, réduisant fortement la tenue des cours d'assises, pour lesquelles pourtant vous prétendiez les défendre bec et ongles. Cette disposition ne respecte pas la volonté du législateur d’imposer une phase expérimentale de trois ans, permettant une réelle étude d’impact. Ces nouvelles cours signent par ailleurs, la fin de l’oralité des débats et du jury populaire, qui œuvre au rapprochement du peuple et de la justice. Au demeurant, ces nouvelles juridictions mobilisent cinq magistrats au lieu de trois pour les cours d’assises, alors que les effectifs manquent à l’appel.

2/  La suppression des remises de peines automatiques n’emporte l’adhésion d’aucun professionnel – magistrats, avocats comme l’administration pénitentiaire. Le Conseil d’Etat a pour sa part émis des réserves sur ce nouveau dispositif. Actuellement, l’automaticité n’est pas de droit puisque ces crédits peuvent être retirés en cas de mauvaise conduite. Il est faux et dangereux de laisser croire à un tel dispositif qui permettrait à n’importe quel détenu, quel que soit son comportement, de bénéficier de réduction de peines.

L’appréciation « à la carte » du juge de l'application des peines sera de nature à générer des disparités de traitement importantes entre les détenus et complexifier une tâche hardue et très sérieusement effectuée par les professionnels. Au demeurant, cette réforme va rendre le travail des surveillants de prison plus difficile encore, sans pour autant aider à la réinsertion des détenus, faute de moyens suffisants. Une tension dans les prisons est à redouter, dès lors que les moyens ne sont pas là pour permettre la mise en œuvre de cette politique.

3/ Sur l’enregistrement et la diffusion d’une audience, pourquoi pas, la justice doit devenir plus visible, sortir des murs du tribunal, mais sans mise en danger de ces professionnels.  L’article 1er mérite des précisions : qui est à l’origine de la décision d’enregistrer et de diffuser une audience et selon quelles modalités : est-ce la Chancellerie ? Les chefs de cour ou de juridiction ?

Quid du motif d’intérêt public justifiant un tel dispositif ? Le documentaire « La 10ème chambre » de Raymond Depardon avait une vertu éminemment pédagogique. L’intérêt public sera-t-il entendu comme tel. Les résistances pour de bonnes raisons, sont nombreuses, et tous les professionnels doivent être sollicités pour donner leur avis sur le principe d’un enregistrement et d’une diffusion.  

Une dernière remarque, concernant ce qu’il n’y a pas dans ce texte et qui aurait pu être déclaré recevable par notre commission, sans dénaturer ce projet de loi de son objet, bien au contraire. Je veux parler d’un amendement déposé par plusieurs groupes concernant une demande émanant au plus haut niveau de la Cour de cassation. Le régime sec de l’article 45 et de l’irrecevabilité, auquel sont soumis les députés, n’exclut pas le discernement et dans le cas précis, je trouve regrettable que nous n’ayons pas ouvert la porte de la loi pour intégrer une mesure qui s’inscrit pleinement dans l’affirmation de l’indépendance de la Justice.

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