Projet de Loi de Finances pour 2018 : mission sur la justice

Projet de Loi de Finances pour 2018 : mission sur la justice

Mon intervention en séance publique ce mardi 31 octobre dans le cadre de l'examen du Projet de Loi de Finances pour 2018
sur la mission Justice

Monsieur le président,
Madame la Garde des sceaux,
Monsieur le président de la commission des finances,
Madame la présidente de la commission des lois

Je ferai mon intervention en trois points et quatre observations. 

Premier point : la lecture mission après mission du budget de la justice m’a confirmée que nous sommes dans la continuité du travail que nous menions depuis 2012. Nous partageons donc  les mêmes objectifs :

- Avec, en matière de justice pénale, la conviction que l’emprisonnement n’est pas l’unique réponse pénale, que nos prisons doivent être plus humaines et favoriser la réinsertion avec l’objectif premier d’éviter la récidive. Qu’il existe des voies alternatives, plus utiles, moins coûteuses et que les interdictions et de contrôle hors les murs sont aussi des peines. Enfin que la douleur et la protection des victimes, sont tout autant notre priorité.

- Avec, en matière de justice civile, l’idée qu’il nous faut par tous les moyens budgétaires, de procédure et de dématérialisation, mais aussi de dialogue transversal avec les autres administrations et les usagers, venir à bout de la très grande difficulté dans laquelle se situe depuis trente ans l’institution judiciaire.

- Avec en matière budgétaire, la certitude qu’il n’y a plus un instant à perdre et ainsi que le disait si bien JJ Urvoas, que chaque année budgétaire doit compter double et que le problème de la justice c’est le budget.

Deuxième point : Nous partageons aussi un constat alarmant. Dans son rapport 2017, la Cour des comptes rappelle une situation plus dégradée des comptes publics en France que dans les autres Etats de l’Europe. Bercy aurait dû dans les arbitrages ministériels, dont par ailleurs  je regrette l’opacité, retenir tout autant la comparaison que nous livre la Commission européenne dans son « Tableau de bord de la justice 2016 » 

La justice en France, c’est un petit budget :
La France pointe à la 14e place (sur 28), avec 72 euros par habitant et par an consacrés à la justice. C'est deux fois moins qu'en Allemagne (146 euros par habitant et par an), et c'est bien loin des deux premiers du classement : le Royaume-Uni (155 euros) et le Luxembourg (179 euros).

C’est un manque d’effectif :
La France est 24e sur 28, avec dix juges professionnels pour 100 000 habitants, deux fois moins que la moyenne des Etats membres de l'Union européenne, de 21 juges pour 100 000 habitants.

C’est une justice lente :
En première instance, un Français devra attendre en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé, contre 19 jours au Danemark, 91 aux Pays-Bas, ou 133 en Suède.
L’administration de la justice est en souffrance, les justiciables le sont aussi. Il suffit de pousser la porte d’un tribunal de grande instance pour mesurer la tâche immense qui s’imposent aux magistrats et greffiers, tous de très grands professionnels. Il suffit de relater la situation dans les prisons, avec un surpeuplement endémique qui ôte toute vertu de réinsertion à l’enfermement et met sous tension les surveillants, dans l’angoisse les agents de probation et les services de la protection judiciaire et de la jeunesse.
Rappelons que les tribunaux de l’incapacité, des affaires de la sécurité sociale, ces tribunaux qui accueillent les pauvres, travaillent dans des conditions déplorables, dans un hall d’immeuble ou un appartement délabré. Rappelons que les tribunaux de commerce devraient répondre aux mêmes exigences  que celles des TGI auxquels ils appartiennent.

En face de ces objectifs, il faut un budget et ce sera mon troisième point :
Un seuil d’acceptabilité budgétaire doit être franchi au plus tôt. Je ne doute pas que vous n’ayez pas ménagé vos efforts pour cela. Le budget 2018 est en hausse de 3,8 %, nous dites-vous, mais en réalité lorsqu'on cumule les six programmes et qu'on les compare aux chiffres de 2017, on constate que la hausse est au plus de 2,2%, alors que la croissance est enfin de retour. Il est par ailleurs à redouter que des gels budgétaires en fin d'année 2018,  viennent minorer ce montant.
L’urgence est là et nous aurions souhaité alors qu’enfin les indices de croissance sont au vert, un effort majeur marque l’année 2018. Nous avions obtenu une majoration en 2017 dans un contexte économique qui donnait certes des signes de reprise mais après 4 ans de croissance quasi nulle.Nous pouvions doubler la mise.

Quatre observations confirmant notre inquiétude :  
En 2017, 2100 créations d’emplois, il n’y en a plus que 1000 en 2018 alors que les vacances de poste s’affichent toujours par plusieurs centaines. On ne peut que redouter un ralentissement des recrutements pourtant attendus dans tous les secteurs de la justice. Comment mettre en route ces orientations que nous partageons sans un effort massif en matière de ressources humaines ? nous avancerons avec vous dans le chantier permanent des réformes des procédure pénales et civiles, dans la dématérialisation, mais convenez que ces mesures ne produiront leurs effets au mieux dans deux ans et qu’en attendant, les TGI continueront à boire la tasse.

- Que deviennent les frais de justice et la difficulté renvoyé sur les agents des tribunaux pour négocier l'intervention d'un expert en sachant que ce dernier ne sera payé que dans plusieurs mois, voire l'année suivante dans le meilleur des cas ?

- Que devient le monde pénitentiaire, d'une part, les détenus atteints dans leur dignité et enfermés dans un système qui fabrique la récidive, d'autre part, les surveillants sous pression, les éducateurs, tous en volonté d'oeuvrer utilement à une tâche effectuée dans l'opacité et des difficultés qui sont insupportables ?

Enfin, le ministre des comptes publics a annoncé le report du protocole « parcours professionnel, carrière et rémunération », pour l’ensemble de la fonction publique. Bercy impacte douloureusement La justice par cette décision et revient sur un engagement du précédent gouvernement.  Le comité technique de votre ministère a été boycotté la semaine dernière, en protestation de ce report de réformes statutaires pour lesquelles un accord avait été trouvé au plus haut niveau. Ainsi, la réforme du commandement de l’administration pénitentiaire, ou de la filière insertion et probation dont on a tant besoin et parlé en Commission des lois en 2016, sont renvoyées à plus tard, en méconnaissance d’un principe fondateur de cohésion et de confiance de notre démocratie, celui de la continuité de l’Etat et du respect des engagements pris.

Vous pouvez compter sur notre soutien pour remettre au rang qui est le sien la justice de notre pays. La défense de la justice ne mobilise pas les foules, et c’est bien notre rôle de parlementaire que de la défendre avec vous. Je sais que vous partagez nos valeurs, que vous orientez la justice dans le bon chemin, mais le budget 2018 n'est pas au rendez-vous.

Cécile Untermaier

 

 

 

 

 

 

 

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