Modification du Règlement de l’Assemblée nationale: mon intervention en séance publique

Modification du Règlement de l’Assemblée nationale: mon intervention en séance publique

Trois remarques préliminaires :

  • La révision du Règlement intervient à un moment peu propice. Alors même que la révision constitutionnelle doit reprendre au cours des prochains mois, nous ne pourrons en tirer les conséquences logiques au sein du Règlement. Nous sommes encore dans la précipitation du travail parlementaire. Sans doute aussi dans l’expression d’une volonté de la majorité de disposer dès septembre avec la révision constitutionnelle qui s’annonce, d’un règlement à même de faciliter le passage des textes de l’exécutif.
  • La révision du Règlement de l’Assemblée doit donner lieu à un consensus entre les différentes sensibilités politiques, à ce que l’historien Nicolas Roussellier qualifie de « diagonale parlementaire ». C’était l’objectif défendu sous le quinquennat précédent, à travers la modification du Règlement porté par Claude Bartolone en 2014. Aujourd’hui, sur 45 amendements adoptés en commission, un seul émane de l’opposition. Le travail transpartisan est donc une promesse à ce stade non tenue par l’actuelle majorité. Je salue les qualités de notre Rapporteur, le Vice-président Wazerman,  gentillesse et son sens du dialogue.

Mais reconnaissons que ce Règlement est passé tel « un sac isotherme », inchangé à la suite de nombreuses heures de débat en commission des lois. Le souci de conserver la ligne tracée par  la Présidence a prédominé de manière constante au point que l’on pouvait s’interroger sur l’utilité du travail des commissaires aux lois.

  • Enfin, le rôle local du député, la consultation, la prise en compte avant les lois et le contrôle de l’application in situ des textes n’est à aucun moment abordé. C’est pourtant à raison de ce rôle que nous maintenons un rythme de travail et de jour et de nuit très concentré sur quelques jours de la semaine. Rien dans le Règlement ne vient éclairer ce rôle et son articulation bienfaisante avec le travail mené au Palais Bourbon. L’Assemblée ne se résume pas à des commissions permanentes et des séances publiques dans l’hémicycle. Il s’agit de la Représentation nationale partout sur le territoire, dans et hors les murs. Le député doit pouvoir obtenir le soutien et les encouragements de l’Assemblée dans ces missions individuelles ou groupées.

 

Deux observations générales pour continuer :

  • Sur les rôles du Parlement

1. Le Parlement représente « le congrès des opinions » selon les mots de John Stuart Mill. A ce titre, il constitue « une arène dans laquelle non seulement l'opinion générale de la nation, mais celle de chaque partie de celle-ci […] peut se produire en pleine lumière ». Or, la volonté de la majorité de réduire les temps de parole des groupes parlementaires, à tous les moments de la procédure, lui dénie ce rôle. Présentée comme une contrepartie acceptable, la possibilité donnée aux parlementaires de procéder à des contributions écrites enlève au contraire à l’Assemblée l’une de ses raisons d’être : un lieu de débat transparent et contradictoire. Cette compensation écrite ne compense rien. Quant à l’argument visant à limiter la recevabilité des amendements, au prétexte que leur nombre n’aurait fait que croitre, il n’est pas sérieux. Les statistiques confirment une inflation générale des textes législatifs et ce Gouvernement n’a rien changé, mais au contraire amplifié cette vague inflationniste. C’est du côté de l’exécutif que le barrage doit d’abord être construit, avec des projets de loi moins nombreux et mieux préparés.  L’agenda parlementaire devrait dans le respect de la Constitution, faire entendre cette exigence.

2. Le Parlement contrôle l’action du Gouvernement afin « de jeter sur ses actes la lumière de la publicité, afin de le forcer à l’exposé complet et à la justification de tous ceux que d’aucuns considèrent contestables », pour reprendre les termes de Mill. La proposition de la majorité, visant à permettre aux groupes d’opposition de choisir la fonction de rapporteur au sein des commissions d’enquête, est une première avancée. Reconnaissons ensemble que cette décision qui aurait du être prise depuis longtemps, tombe sous le sens. Que celui qui obtient une commission d’enquête puisse en être le premier pilote résonne pour moi comme une évidence.

Les commissions d’enquête sur des sujets qui interpellent nos concitoyens sont essentielles. Mais elles sont trop rares. Nous proposons que chaque groupe puisse demander la création de deux commissions d’enquête par session parlementaire. C’est le moyen efficace, vivant, apprécié de nos concitoyens, permettant un réel contrôle de l’action du Gouvernement.

3. Enfin, le Parlement doit évaluer les politiques publiques; c’est l’une de ses missions constitutionnelles. Or, ses moyens sont largement insuffisants. Surtout, les dispositifs mis en place ne fonctionnent pas. Nous le savons tous, cela a été dit et redit en Commission des lois mais dans ce Règlement à ce stade, rien n’est proposé pour traiter de ce sujet.

  • Sur les enjeux actuels :

1. La démocratie participative est un enjeu contemporain fort; cela n’échappe plus à personne désormais. Il est donc de bon ton que la majorité souhaite faire évoluer le droit de pétition – comme je le défendais d’ailleurs au moment de la révision constitutionnelle –. Je vois dans les avancées timides de ce texte, le résultat d’un travail de conviction mené dans le cadre du groupe de travail sur le numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, que nous avons réuni pendant deux ans, ainsi que  l’effet Gilets jaunes.

2. Timides avancées ai-je dit, puisqu’il s’agit de la simple possibilité ( « et non obligation sous réserve de conditions de recevabilité à définir)  donnée à l’Assemblée de discuter en séance des pétitions ayant recueilli plus de 500 000 signataires . En 1848, sous la deuxième République, chaque séance parlementaire commençait par un examen des pétitions. Sans aller jusque-là, la revivification du droit de pétition, demandée par nombre de nos concitoyens, doit passer par un examen obligatoire des pétitions, au seuil prévu de 500 000 signataires.

3. La transparence est devenue un impératif à la démocratie de confiance. Si le renforcement du rôle du déontologue de l’Assemblée est bienvenu, la transparence des contributions apportées par les lobbies doit être au centre de nos préoccupations. Le dispositif actuel dont je salue la mise en place sous le précédent quinquennat, doit être renforcé. Il importe que nous connaissions les textes sur lesquels les lobbies interviennent et la nature de leurs observations. Il nous appartient à nous parlementaires également de citer nos sources le cas échéant.

Pour conclure : « dans toutes les délibérations, il y a comme un problème à résoudre, qui est de savoir, dans un cas donné, ce que prescrit l'intérêt général. » La formule est de Siéyès. Il est donc essentiel que nous mutualisions aujourd’hui nos opinions, afin d’aboutir à une réforme du Règlement conforme à l’intérêt général.

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