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Confidentialité des consultations des juristes d'entreprise : une mesure très contestée en commission des Lois

Confidentialité des consultations des juristes d'entreprise : une mesure très contestée en commission des Lois

Cette semaine était examinée en commission des Lois une proposition de loi relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise.

Bénéficieront de la confidentialité les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur. 

L’initiative est justifiée par la nécessité de renforcer l’attractivité de la France dans le domaine économique et celle de rattraper le retard de la France par rapport aux autres pays de l’OCDE : « La France, par l’absence de toute confidentialité des avis des juristes d’entreprise, se singularise parmi les pays de l’OCDE. Cette situation nuit objectivement à l’attractivité de la France : de nombreuses directions juridiques choisissent de s’établir dans des pays qui bénéficient de ce cette protection ; d’autres sociétés, qui restent en France, font le choix de ne pas recruter de juristes d’entreprise français et se tournent vers des lawyers anglo‑saxons. »

Mais ce nouveau régime risque de limiter et contraindre les enquêtes. A l’heure où le Gouvernement évoque sans cesse la nécessité de renforcer l’efficacité de l’Etat pour lutter contre les atteintes à la loi, ce texte va amoindrir les capacités des autorités administratives (autorité des marchés financier, autorité de la concurrence) à enquêter. La limitation du pouvoir de contrôle des différentes autorités affaiblirait notre système de régulation et compromettrait durablement le respect de la conformité aux normes légales. 

Certes, la confidentialité ne serait pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale. Reste qu’elle le serait pour tout litige commercial et civil et pour toute procédure administrative, y compris dans le cadre des enquêtes menées par des autorités publiques comme l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’Autorité de la concurrence.

Mon intervention en commission des Lois :

« C’est un dossier qui ne cesse de nous être présenté depuis des années et qui permet au demeurant de mesurer l’obstination du lobby des juristes d’entreprise

C’est une disposition qui a été insérée à la hâte dans le texte d’orientation et de programmation du ministère de la Justice par un amendement d’un sénateur centriste, et qui a été ensuite censuré par le Conseil constitutionnel. Il revient aujourd’hui sous la forme d’une proposition de loi de la majorité. 

En fait, ce sujet a été discuté par un groupe de travail des Etat généraux de la Justice. Sans aller jusqu’au la stricte confidentialité, ce groupe proposait de réfléchir sur la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, ses justifications et ses conséquences. Et ensuite, le Directeur des affaires civiles et du Sceau a finalement proposé une stricte confidentialité dans un projet de texte.

Il nous est donc présenté une PPL sans étude d’impact et sans avis du Conseil d’Etat. Donc pas documentée sur les besoins réels. Le seul argument est celui de la compétitivité juridique avec les autres Etats, principalement anglais et américain. Le rapport de Raphael Gauvain dont il est fait souvent mention, ne comporte aucune donnée et ces informations sont invérifiables. 

L’impossibilité pour les juristes d’entreprises de pouvoir opposer la confidentialité de leurs avis serait l’une des principales motivations des entreprises amenées à localiser leur direction juridique en dehors de la France. Il n’existe toutefois pas de monographies disponibles, ni d’étude(s) d’impact adossée(s) à cet argument. 

Les auditions ne nous ont pas davantage convaincus sur le caractère nécessaire et attendu de cette disposition. Le MEDEF a convenu que ce n’était pas une demande pressante. Localement, je le constate : dernièrement la note que m’a transmis le MEDEF sur les mesures prendre pour notre économie, n’évoque à aucun moment ce sujet. 

Ce texte présente un risque inconstitutionnel en constituant un obstacle à la justice, selon l’Union syndicale des magistrats. Le dispositif va entraver les enquêtes administratives et, par voie de conséquence, limiter l’action pénale, dans des domaines essentiels (concurrence, droit des marchés de capitaux, lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme). Il faut une enquête administrative pour aller au pénal, donc supprimer les moyens d’une enquête administrative, c’est limiter fortement l’accès au pénal. L’accès des justiciables à la preuve sera complexifié et la protection des lanceurs d’alerte et du droit à l’information des citoyens remis en cause. Les régulateurs sont des acteurs puissants qui participent à l’œuvre de justice et de lutte contre la corruption et ils sont tous contre cette proposition. 

Concernant le juge des libertés et de la détention, qui est le recours pour tous les dossiers, il devra également s’occuper de ce dossier et de la levée de la confidentialité. Est-ce bien raisonnable dans l’état où est notre justice que d’aller confier au JLD une tâche supplémentaire sur la levée de confidentialité ? 

Enfin, s’ajoute la cohabitation du secret professionnel de l’avocat et de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise qui ne sera pas simple. Il nous importe de l’implication des textes que nous proposons."

Le groupe a déposé un amendement de suppression de l’article unique et des amendements de repli visant notamment à limiter le champ de la confidentialité dont bénéficieront les juristes d'entreprises en excluant les consultations relatives à la matière environnementale, financière et de droit de la concurrence.

Nous proposons également que la confidentialité des consultations juridiques ne soit pas opposable à l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité de la concurrence (ADLC), dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction.

Le texte a finalement été adopté.

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