Discussion générale sur le projet de loi - très controversé - de réforme pour la justice

Discussion générale sur le projet de loi - très controversé - de réforme pour la justice

Madame la Garde des sceaux, ministre de la justice,

Madame la Présidente, Madame, Monsieur les rapporteurs, Mes cher-e-s collègues,

Je suis entrée dans ce texte de manière bienveillante, avec la volonté de le soutenir tant il me semblait évident que nous devions poursuivre le travail que nous avions mené en 2016 dans le cadre de la loi sur l’adaptation de la justice au XXIème siècle, et que par ailleurs, les orientations données par le candidat Emmanuel Macron nous encourageaient en ce sens.

« Le secret d’ennuyer est celui de tout dire » nous disait Voltaire. Je ne dresserai donc pas un inventaire. Tout au plus, je rappellerai l’adhésion de notre groupe à des orientations qui donnent son ampleur au SAUJE, développent les règlements amiables, et dématérialisent les procédures.

Les dispositions de ce texte tendant à favoriser la réinsertion et prévenir la récidive reçoivent notre plein assentiment. Mettre un terme aux courtes peines d’emprisonnement et à la détention provisoire massive qui provoque l’encombrement de nos maisons d’arrêt, développer des mesures alternatives à l’enfermement, sont de justes décisions.

Mais à cette première analyse positive, portée par des rapporteurs talentueux, Laetitia Avia et Didier Paris, succèdent le constat d’orientations qui tournent le dos aux exigences d’un service public de la justice, et qui malmènent des professionnels avec lesquels pourtant nous devrions instaurer un lien de confiance. C’est cela qui explique l’opposition radicale qui s’est formée peu à peu contre ce texte, de la part des magistrats, greffiers, avocats, du personnel de probation comme de la pénitentiaire.

Sur le volet civil :

Ce texte aurait dû organiser de manière lisible et encadrée le dispositif de la conciliation, de la médiation, de la procédure participative. Le justiciable est hors les murs du Tribunal tant que le litige n’est pas cristallisé. Une fois ce préalable satisfait, une garantie d’accès au juge dans un délai raisonnable aurait dû être apportée par ce texte en contre- partie de ce premier engagement. Au lieu de cela, nous écartons le juge au détriment des usagers alors que 80% d’entre eux redoutent de passer la porte du palais de justice.

Le rôle de l’avocat méritait d’être mieux organisé afin de prendre le relais d’un juge absent en première phase d’examen du litige. Les plateformes ont des vertus d’économie, mais pas de sérieux de la chose examinée. L’Etat ne doit donc pas se soustraire à son devoir de régulation dans la marchandisation du droit.

La règle bien posée en 2016 selon laquelle le juge tranche les litiges est dévoyée, ajoutant à la confusion, puisque c’est désormais la CAF, dans un conflit d’intérêt éludé, qui devra trancher un conflit de pension alimentaire et revenir sur un jugement.

Sur le volet pénal :

Ce n’est pas le grand soir attendu, mais une série de mesures visant à faciliter à juste titre le travail d’enquête. Cependant, l’extension et la banalisation de dispositions dérogatoires du droit commun inquiète. La généralisation des géolocalisations, des interceptions téléphoniques et des perquisitions sans l’assentiment des personnes, à des délits punis de trois ans d’emprisonnement, pose question. Peut-on accepter que ces techniques, qui étaient jusque-là encadrées, soient utilisées pour un simple vol ? Les députés ne sont pas entendus ; mais les référents des chantiers de la justice ne pourraient-ils l’être ? Ils défendent, de manière limpide, un seuil de cinq ans, dans l’objectif de préserver le principe de proportionnalité. 

D’autre part, cette réforme remet en cause les exigences procédurales protectrices des libertés fondamentales. En effet, le recours imposé à la visioconférence dans le contentieux de la détention provisoire vient rompre l’équilibre actuellement trouvé, sans gain évident. C’est désormais par le truchement des écrans que les personnes incarcérées seront entendues sur leur demande de remise en liberté. Quant aux cours d’assises, qui ont en leur cœur le principe d’oralité, elles sont en partie remplacées par une cour criminelle. Pourtant, « le jury sert à former le jugement et à augmenter les lumières naturelles du peuple » écrivait déjà Tocqueville en son temps. Le jury est un lien unique et nécessaire entre le peuple et sa justice, dont la préservation devrait être assurée. La suppression définitive de la Cour d’assises, in fine, serait un non-sens, à un moment où le renforcement des liens entre la population et l’institution judiciaire est indispensable et réclamée jusque sur les ronds-points.

Par ailleurs, sur l’échelle des peines, fixer le quantum de peine permettant de bénéficier d’aménagement de peine ab initio à un an et non deux ans, ne diminuera pas le nombre d’incarcération. Ne pas faire de la peine de probation, une peine à part entière, et conserver son adossement à une peine d’emprisonnement, est une vraie occasion manquée.

Enfin, le fossé entre la politique pénale telle qu’elle est envisagée et les effectifs mis en face est préoccupant. De nombreuses professions souffrent d’un manque de moyens humains. C’est le cas des greffiers, des surveillants pénitentiaires ou encore des conseillers d’insertion et de probation, dont le nombre majoré à 1 500 ne suffira pas à faire des modes alternatifs à l’emprisonnement, un recours puissant et de qualité. Face à l’absence de véritables moyens, « la révolution des peines n’aura pas lieu », comme l’affirme un magistrat du parquet du TGI de Paris.

 

90% de nos concitoyens veulent une justice plus rapide, plus lisible et plus efficace. Le chantier qui est devant nous est immense. C’est en rassemblant les acteurs du monde judiciaire, en leur faisant partager la cause commune d’un service public de la justice, que nous parviendrons à redonner de la force et de la cohérence à l’institution judiciaire. L’Etat doit apporter un budget conséquent sans imposer aux professionnels un texte nouveau tous les ans.

Enfin, je tiens à saluer ici l’engagement des magistrats mais aussi des greffes et des auxiliaires de justice.  Nous devons leur manifester notre reconnaissance, sans oublier ceux qui travaillent souvent bénévolement pour faire en sorte, que, dans des difficultés immenses, une réponse soit apportée au justiciable. Il s’agit de les encourager et de les rassembler dans cette cause commune ; et surtout pas de les diviser et de leur faire emprunter un chemin dont ils ne veulent pas.

A lire aussi