Intervention Commission des lois, mercredi 12 novembre 2014



Intervention Commission des lois, mercredi 12 novembre 2014

Monsieur le Président,
Mes chers collègues,

Cette proposition de loi adoptée par le Sénat a pour objet d’accroître les délais de prescription de l’action publique de dix années supplémentaires pour certains crimes et délits sexuels ainsi que pour certaines violences commis sur des mineurs. Il s'agit de modifier ces délais parce que la prescription pour ces infractions serait inadaptée aux traumatismes des victimes : le délai de prescription, qui commence pour les mineurs à partir de leur majorité, ne laisserait en l’état pas assez de temps à la victime pour porter plainte. La proposition de loi vise donc à lutter contre un effet de seuil.

Si ce texte n’a heureusement plus pour objet la modification du point de départ de la prescription en fonction de critères subjectifs, il reste qu’il pose en l’état de réelles questions sur la prescription, qui constitue un de nos mécanismes traditionnels en droit pénal.

En effet, la prescription, qui correspond à un délai au cours duquel l’action publique doit être exercée sous peine de s’éteindre, trouve son fondement dans diverses explications. D’abord une explication théorique : la prescription consacrerait un droit à l’oubli de l’infraction, et ce au nom du maintien de la paix sociale. Ensuite une justification pratique : au bout d’un certain temps, les preuves dépériraient, et par conséquent le risque d’erreur judiciaire grandirait. Malgré c'est un fait, malgré ces justifications, la prescription est aujourd’hui de plus en plus contestée.
Elle est contestée par la montée en puissance des droits de la victime parfois mis à mal par l'implacable mécanique de la prescription, elle est contestée par l’ADN qui tend à rendre obsolète la justification tirée du dépérissement des preuves. Elle est aussi contestée par certains crimes particulièrement odieux. Le système américain dans lequel il n’existe aucune prescription est aussi souvent agité comme un chiffon rouge. 

Il faut sans doute revisiter l'institution pénale qu’est la prescription.Certaines jurisprudences récentes de la Chambre criminelle qui ont interpellé l’opinion,  nous poussent-elles  dans ce sens ? elles démontrent à coup sûr, la volonté des juges de préserver le délai de prescription  dans toute sa plénitude et sa force utile s'il s'impose à la manifestation de la vérité.  Il faut sans doute revisiter les dispositions pénales, mais non dans l'urgence, mais  en cohérence, sans ce pointillisme dévastateur pour l'économie des lois.  À cet égard, les sept recommandations en matière pénale du rapport d’information des Sénateurs Hyest et Portelli constituent un excellent point de départ pour la réflexion.

Cette proposition de loi donne du grain à moudre à ce débat, particulièrement fondamental dans un État de droit. Il y a effectivement un mouvement contemporain d’allongement des prescriptions qui, par définition, ne s’arrêtera que lorsqu’il n’y aura plus de prescription. Mais cette petite proposition de loi, qui revient finalement à remettre en question le système prescriptif de manière sectorielle et anonyme, nous guide vers un débat d’une grande importance.

Je vous remercie,

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