Le procès Balladur/Léotard

Le procès Balladur/Léotard

Le procès de l'ancien Premier ministre Edouard Balladur et de son ancien ministre François Léotard, dans le volet financier de l’affaire Karachi, s'est ouvert le mardi 19 janvier dernier devant la Cour de Justice de la République.

Membre de la formation de jugement, j'assiste au procès, lequel me mobilisera toute la fin du mois de janvier et le début du mois de février. Tenue par le secret de l'enquête et du délibéré, je ne m'exprimerai sur le procès, mais les éléments de contexte, pour rappel, sont les suivants.

Je préciserai simplement que nous avons entendu Édouard Balladur, défendu par deux avocats et François Léotard qui n’a pas fait appel à un avocat, faisant valoir que s’agissant de son honneur, il tenait à se défendre seul. 

Pourquoi ce procès?

Edouard Balladur et François Léotard sont soupçonnés d'être impliqués dans un possible système de rétro-commissions illégales sur des ventes de sous-marins au Pakistan et de frégates à l'Arabie Saoudite, lorsqu'ils étaient au Gouvernement entre 1993 et 1995. Ces rétro-commissions, estimées à environ 13 millions de francs (près de 2 millions d'euros) auraient pu servir en partie à financer la campagne présidentielle d'Édouard Balladur de 1995.

Concrètement, une commission consiste dans le cas d’une vente d’armes à l’étranger, à rémunérer des intermédiaires chargés de faciliter la négociation avec le pays acheteur. Ce dispositif était légal jusqu’en 2000, jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention de l’OCDE contre la corruption.

Dans le cas d’espèce, dans le cadre du contrat de vente des sous-marins Agosta, les deux intermédiaires, Ziad Takkedine et Abdul Rahman El-Assir, ont récupéré 10,25 % du total de la vente, qui s'élevait à 5,4 milliards de francs (826 millions d'euros). Ils devaient aussi toucher davantage sur le contrat des frégates passé avec l’Arabie Saoudite : il leur avait été promis 18 % du montant du contrat, qui portait sur 19 milliards de francs (environ 3 milliards d'euros).

On soupçonne que ces commissions versées aux deux intermédiaires aient donné lieu à des rétrocommissions, pratique illégale, consistant pour le vendeur à offrir plus de commission que nécessaire, pour ensuite récupérer à son profit de la part de l'intermédiaire une partie des sommes engagées par l'Etat. Ces dernières auraient ensuite financé la campagne présidentielle d'Edouard Balladur.

Chronologie des faits 

En 1994, le Edouard Balladur, Premier ministre sous la présidence de François Mitterrand depuis 1993, envisage de se présenter aux présidentielles de 1995. Pour la première fois, le financement des campagnes est limité par la loi : 90 millions de francs pour le premier tour, 120 millions pour le second. Les comptes doivent être validés par le Conseil constitutionnel.  

Le 21 septembre 1994, un premier contrat prévoit la fourniture de trois sous-marins au Pakistan ; il est signé par François Léotard, ministre de la Défense du Gouvernement Balladur, et son homologue pakistanais pour une somme de 5,4 milliards de francs. Ils sont respectivement livrés en 1999, 2003 et 2008.

En novembre 1994, un second contrat prévoit la fourniture de frégates françaises à l’Arabie Saoudite pour un prix de 19 milliards de francs.

Les soupçons sur ces rétrocommissions étaient apparus au cours de l'enquête sur l'attentat de Karachi du 8 mai 2002 au Pakistan, lequel avait fait quinze morts, dont onze employés français de la Direction des chantiers navals (ex-DCN), et blessé douze autres. Tous travaillaient à la construction d'un des trois sous-marins Agosta vendus à ce pays sous le gouvernement Balladur (1993-1995). 

L’enquête antiterroriste avait initialement privilégié la piste d'Al-Qaïda. Mais depuis 2009, elle a surtout exploré la thèse - non confirmée à ce jour - de représailles à une décision prise par Jacques Chirac, victorieux à la présidentielle de 1995. Il avait en effet ordonné d'arrêter le versement de toutes les commissions dans ces contrats. 

Si les poursuites judiciaires concernent également six autres protagonistes, le cas des deux ministres avaient été disjoints en 2014 et confiés à la Cour de Justice de la République, seule instance habilitée à juger des membres du Gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions.

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