[video] Mon intervention en discussion générale - Projet de loi pour la Croissance et l'activité - lundi 26 janvier 2015






Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre, / Madame la Ministre
Monsieur le Président de la commission spéciale,
Monsieur le Rapporteur général,
Mes chers collègues,
Certains ont pu s’étonner que la réforme des professions du droit soient inscrites dans un projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Pourtant, si le droit n’est en aucun cas une marchandise, il existe assurément un marché du droit dont il est légitime que le ministre de l’Économie se préoccupe, conjointement avec la Garde des Sceaux, ministre de la Justice ;
il existe dans la réglementation de ces professions, des verrous, des trappes qui vicient un système, qui renforcent l'entre-soi,  qui limitent l'égal accès au droit et aux métiers du droit. Ce projet de loi  ne fait pas reculer le droit, comme nous avons pu le lire dans une page sans éclat du Monde. Comme le souligne si justement un proverbe japonais bien connu "Tu peux rester immobile dans le courant d’une rivière mais pas dans le monde des hommes". Or, la majorité, plutôt qu'un statu quo stérile, a choisi de prendre à bras le corps la modernisation juridique et économique de notre pays.  Ce projet de loi modernise le droit et le met en conformité avec son temps,  puisqu'il supprime certains privilèges, devenus anachroniques, voire même des dérives injustifiables, afin d'ouvrir à la jeunesse de notre pays parfois si malmenée, la porte des métiers qu'elle  souhaite exercer.
Certains ont prétendu que l’élaboration du projet de loi soumis à notre examen s’était faite sans concertation avec les professions concernées. C'est vite oublier le rôle primordial joué par la représentation nationale qui s’est saisie de la réforme de ces professions par le biais de deux missions : outre la mission menée par notre rapporteur général, la commission des Lois de notre Assemblée a créé, le 17 septembre 2014, une mission d’information sur les professions juridiques et judiciaires réglementées dont j’ai eu l’honneur d’être la présidente-rapporteure.
Animée par une volonté d’écoute et d’apaisement, cette mission s’est attachée à recueillir le point de vue de l’ensemble des acteurs concernés sur leurs conditions d’installation et d’exercice, ainsi que leurs propositions sur les évolutions de leur profession qui leur paraissaient souhaitables.
Au Palais-Bourbon, la mission d’information a procédé à 42 auditions et entendu près de 160 personnes. Depuis la fin des travaux de la mission, j’ai procédé à une dizaine d’auditions supplémentaires, auxquelles l’ensemble des membres de la commission spéciale chargée d’examiner le présent projet de loi ont été conviés. J'ai personnellement ouvert un site sur lequel j'ai recueilli près  de 1500 contributions de toutes sortes et entendu à ma permanence de nombreux professionnels dont j'ai constaté l'inquiétude mais que j'ai trouvé  aussi convaincus de la nécessité d'une réforme de grande ampleur pour moderniser la France afin de la rendre plus compétitive dans le contexte international.
Tous ces travaux ont été menés avec le souci CONSTANT de permettre aux points de vue les plus variés de s’exprimer, et de donner la parole aussi bien aux acteurs institutionnels que sont les organisations ordinales des professions du droit et les organisations syndicales d’employeurs comme de salariés, qu’aux représentants des institutions amenées à collaborer avec ces professions (juridictions suprêmes, juridictions d’appel), aux associations des usagers du droit, aux membres de différents collectifs ou encore aux experts et universitaires ayant réfléchi aux problématiques auxquelles sont confrontées ces professions – sans oublier bien sûr la ministre de la Justice, garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira, ses administrations, le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, M. Emmanuel Macron, ainsi que l’Autorité de la concurrence. ET la liste n'est pas exhaustive, écartons alors les critiques sur l'absence de concertation formulées par des députés qui, jouant leur rôle d'opposition, ne croient dans le fond même pas eux-mêmes à leurs propos.
D'ailleurs, rappelons qu'à l’issue de leurs travaux, les 15 députés composant la mission d’information de la commission des Lois d'appartenance politique très différente, de gauche comme de droite, ont adopté, à l’UNANIMITÉ, un rapport formulant 20 propositions. Sans perdre de vue les impératifs de promotion du droit continental, de préservation de l’égal accès au droit sur l’ensemble du territoire et de garantie de la sécurité juridique pour les usagers, ces recommandations visaient à permettre à tout ou partie des professions du droit de réaliser des progrès, en particulier en matière d’accès à certaines d’entre elles, en matière d’installation, de lisibilité et de transparence des tarifs – dont certains semblent inadaptés par rapport au coût réel des prestations –, ainsi qu’en matière de conditions d’exercice – qui pourraient être modernisées et plus propices à l’interprofessionnalité.
Ce dernier sujet de l'interprofessionnalité me tient d'ailleurs tout particulièrement à coeur et, dans une perspective de concurrence mondiale, me semble d'une importance cruciale pour la compétitivité des professions du droit en France. Je suis convaincu de l'importance du développement de cette interprofessionnalité, dont le renforcement sera à l'avenir utile à l 'usager du droit.
Bon nombre des préconisations formulées par la mission d’information de la commission des Lois sur les professions réglementées rejoignaient les mesures figurant dans le projet de loi, tel qu’il a été déposé sur le bureau de notre Assemblée le 11 décembre dernier. Je pense notamment :
– à la substitution d’un concours à l’examen d’aptitude pour l’exercice de la profession de greffier des tribunaux de commerce (proposition n° 3, article 19 du projet de loi) ;
– à la reconnaissance d’une compétence de principe de l’Autorité de la concurrence pour intervenir dans le processus d’élaboration d’une carte qui, rendue publique, encadrerait l’installation des officiers publics ou ministériels (proposition n° 4, article 17 – et désormais 13 bis – du projet de loi) ;
– à l’établissement d’une tarification transparente des prestations des officiers publics ou ministériels et des administrateurs et mandataires judiciaires, qui tienne davantage compte du coût réel de ces prestations (proposition n° 10, article 12 du projet de loi) ;
– à la suppression du tarif de la postulation, sauf cas particuliers, ainsi qu’à la généralisation de l’obligation d’établir des conventions d’honoraires (proposition n° 13, article 13 du projet de loi) ;
– à l’octroi à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) d’une mission d’assurer la diffusion gratuite des données contenues dans le registre national du commerce et des sociétés (proposition n° 15, article 19 du projet de loi) ;
– à la création, à terme, d’une profession unique de l’exécution judiciaire (proposition n° 18, article 20 du projet de loi).
Les réflexions approfondies que la représentation nationale a menées sur les professions du droit, tant dans le cadre de la mission de votre rapporteur général que celle de votre rapporteure thématique, ont permis à la commission spéciale d’apporter des modifications substantielles au texte initial. Je tiens à ce stade à souligner la qualité du travail législatif qui a pu être mené avec notre  ministre Emmanuel Macron.
C’est ainsi qu’à l’initiative de vos rapporteurs :
– le principe d’une révision quinquennale des tarifs (qui constituait la proposition n° 12 de la mission d’information de la commission des Lois) et celui d’une péréquation nationale assise sur les tarifs applicables aux ventes immobilières (proposition n° 11 de la même mission) et destinée à associer toutes les professions du droit au financement de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle (proposition n° 14) ont été inscrits à l’article 12 du projet de loi ;
– l’entrée en vigueur du dispositif de multipostulation au niveau du ressort des cours d’appel a été différée (un an après la promulgation de la loi), afin de ménager le temps nécessaire au déploiement du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) ; Et les activités pour lesquelles les avocats pourraient postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel ont été limitées, afin de tenir compte des observations faites lors de leur audition par les bâtonniers des barreaux de Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès, où se pratique déjà la multipostulation ;
– conformément à la proposition n° 9 de la mission d’information de la commission des Lois, le contrôle a priori des barreaux sur l’établissement des bureaux secondaires des avocats a été maintenu, et le délai de réponse du barreau d’accueil réduit à un mois ;
– le dispositif de simplification des conditions d’installation des notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires a été réécrit dans un souci de clarification et de simplification, et déplacé au sein du projet de loi, à l’article 13 bis, dans un souci de bonne compréhension des articles 14, 15 et 16 ;
– la possibilité pour les notaires d’habiliter des clercs assermentés à recevoir des actes a été supprimée, conformément à la proposition n° 6 de la mission d’information de la commission des Lois ;
– enfin, l’habilitation sollicitée à l’article 21 pour créer, par la voie d’ordonnance, la profession d’avocat en entreprise a été supprimée, conformément à la proposition n° 17 de ladite mission d’information. C'était pour moi, pour nous, un point majeur. Les considérations déontologiques d'indépendance font obstacle à une telle mesure et nous y veillerons sans nous laisser jamais convaincre par des professionnels prêts à moins d'exigence.  Je remercie le Gouvernement et en particulier notre ministre Emmanuel Macron, d'avoir très vite admis que cette réforme allait à contre sens de ce que nous voulions.
Afin de respecter les engagements pris par le ministre de l’Économie lors de son audition de décembre dernier, de nombreux dispositifs « en dur » ont été substitués aux habilitations initialement sollicitées aux articles 19, 20, 20 bis, 20 ter et 22, soit à l’initiative du Gouvernement soit à celle de vos rapporteurs.
Votre commission a ainsi approuvé les propositions de vos rapporteurs tendant à :
– différer (un an après la promulgation de la loi) l’entrée en vigueur des dispositions étendant la compétence territoriale des huissiers de justice (article 15) ;
– instaurer une limite d’âge (70 ans) pour l’exercice des fonctions de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce (articles 14, 15, 16 et 16 bis) ;
– étendre et adapter à la profession d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation l’assouplissement des conditions d’installation des autres officiers ministériels auquel procède le projet de loi (article 17 bis).
Vos rapporteurs comptent poursuivre  avec vous leur travail d’enrichissement du texte lors des débats que nous allons avoir dans cet hémicycle, en vous proposant des amendements visant à :
– écarter explicitement l’application du dispositif d’assouplissement des conditions d’installation des officiers publics ou ministériels en Alsace-Moselle (amendement 2492) ;
– supprimer les dispositions de l’article 16 qui instaurent un régime déclaratif pour l’ouverture des bureaux annexes des commissaires-priseurs judiciaires et permettent à ces derniers d’être titulaires d’un nombre illimité d’offices (amendements 2502 et 2506) ;
– étendre aux avocats aux Conseils l’obligation faite aux avocats d’établir une convention d’honoraires (amendement 2512) ainsi que la possibilité ouverte aux avocats de recourir à toute forme juridique pour exercer (amendement 2518) ;
– étendre aux professions d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier des tribunaux de commerce la règle du « un pour deux » qui prévaut aujourd’hui en matière de salariat dans le notariat, conformément à la proposition n° 7 de la mission d’information de la commission des Lois (amendements 2613, 2614 et 2615) ;
– ne permettre aux notaires titulaires de recruter jusqu’à quatre notaires salariés que jusqu’en 2020 – date à laquelle le plafond en matière de recrutement des notaires salariés serait à nouveau de « un pour deux » (amendement 2612).

Le texte issu de la commission des lois est le fruit d'une délibération entre les courants politiques, d'une très grande densité, au cours de laquelle l'expertise parlementaire a pleinement joué son rôle. Contrairement aux discours défaitistes présentant comme inutiles les missions parlementaires sur les professions réglementées dès lors qu'un projet de loi était déjà rédigé, les débats en commission spéciale, à raison aussi de la démarche  constructive de notre ministre Emmanuel Macron et de son équipe et en arrière plan de notre garde des sceaux,  ont démontré combien l'évaluation parlementaire permet aujourd'hui d'améliorer les textes législatifs, et combien cette évaluation peut-être écoutée et respectée par le pouvoir exécutif.
Je forme le vœu, mes chers collègues, que nous puissions, en séance publique, poursuivre le travail utile que nous avons réalisé en commission.
Sénèque : "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que les choses sont difficiles." Alors osons sans détruire, mais osons pour la jeunesse, la justice sociale et le développement.  







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