Discussion du texte sur la prééminence des lois de la République

Discussion du texte sur la prééminence des lois de la République

La proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, déposée par les sénateurs Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, en février dernier, a été discutée cette semaine en séance publique à l'Assemblée nationale.

L'article 1er de la loi complète l'article 1er de la Constitution par un alinéa disposant que « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

L'article 2 quant à lui, vise à imposer aux partis politiques de respecter le principe de laïcité.

Mon intervention sur le texte: ⬇

"Monsieur le Ministre,

Madame la Rapporteure,

Mes chers Collègues,

Nous partageons tous ici l’objectif commun de vivre dans le respect des règles entourant notre  République  laïque et refusons tous que d’autres valeurs que celles inscrite dans la Loi fondamentale, puissent s’imposer dans notre vie publique.

1-Selon son intitulé, cette proposition de loi constitutionnelle vise en effet à garantir la prééminence des lois de la République, comme si cela n’était pas ou plus le cas et qu’il était besoin de réaffirmer les principes républicains.

L’article 1er de la Loi fondamentale dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » La laïcité est ainsi une valeur commune au même titre que les trois autres précédemment citées. C’est sur « un espace neutre » que nous avons volontairement construit notre modèle, autour de l’ensemble de ces valeurs essentielles. La France est un pays de pluralisme culturel et ethnique, mais elle n’est pas traditionnellement un pays « multiculturel », En ce sens, les individus sont avant tout considérés comme citoyens avant d’être apprécier en tant qu’individus dans leur communauté particulière. Ainsi, une religion, quelle qu’elle soit, ne saurait préempter nos valeurs républicaines. C’est ce qu’on écrit nos prédécesseurs dans la loi de 1905.

Aussi, je m’interroge sur l’utilité de l’article 1er du texte : ne pouvoir s’exonérer du respect de la règle commune, c’est la même chose que de se soumettre à la loi. Or ce principe est déjà inscrit dans la Constitution : la loi s’impose à tous. En réalité, ce serait l’incapacité que nous aurions à faire vivre ces règles communes, à faire des lois faisant vivre et respectant ces valeurs inscrites dans notre Constitution, qui pourraient fonder cette exigence nouvelle ? un aveu d’impuissance en quelque sorte que viendrait corriger ce nouvel article.

2-Le doyen Vedel explique que la laïcité correspond à l’affirmation que l’Etat considère la croyance ou l’incroyance comme une affaire privée et dans le droit fil de ce constat,  la loi relative à la déontologie et aux droits des fonctionnaires du 20 avril 2016, a consacré le principe de laïcité et introduit l’obligation de neutralité pour les agents publics parce qu’ils incarnent en quelque sorte l’Etat.

Sans doute souhaiteriez-vous que ce principe fondamental du fonctionnement du service public, puisse trouve à s’appliquer dans la sphère privée et notamment au cœur de l’entreprise. A cela, je répondrai modestement deux choses

La première est que la laïcité doit neutraliser le fait religieux et elle doit le faire dans la sphère publique. Si cela correspond à une nécessité et aux besoins d’une activité privée, le législateur peut examiner  cette question de la  neutralisation dans l’expression du fait religieux, sous les projecteurs des valeurs républicaines qui sont les nôtres  et dans le respect du principe de proportionnalité.

La seconde est un appel à la prudence, l’usager du service public à juste raison n’est pas embarqué dans les obligations de neutralité qui s’imposent à l’agent public. Alors bien sûr c’est compliqué, mais l’article 1er ainsi complété ne change rien à la complexité de notre démocratie. Faisons ensemble la pédagogie de cette complexité et surtout ayons ensemble le courage politique de veiller à l’application des règles communes, comme le disait  hier mon collègue sénateur Patrick Kanner.

3- En ce qui concerne l’article 2, limiter l’exigence de neutralité aux partis politiques vient à mon sens réduire la portée universelle des valeurs républicaines inscrites dans la Constitution. Cet article 2 dont nous comprenons ce qu’il veut interdire et qui est précisément interdit d’ores et déjà par la lecture que nous faisons de la Loi fondamentale, porte en lui des limites qui sont contraire à l’objectif qui nous réunit, à savoir garantir les valeurs républicaines dont nous parlons.

Nous ne pouvons faire preuve de complaisance à l’égard de ceux qui déconstruisent la République et ses valeurs. Mais ce n’est pas un manque de clarté dans la Constitution qui fait que nous rencontrons des situations dissonantes par rapport aux valeurs républicaines auxquelles nous tenons. Nous devons les dénoncer en responsabilité et apporter les solutions en tant que décideurs publics. Cette responsabilité, elle nous incombe ici en édictant des lois, sur le terrain, en contrôlant leur application. Il nous faut éviter le piège des amalgames et des ostracismes et rappeler sans défaillance les obligations qui s’imposent à chacun sur cet espace neutre que nous avons construit.

En conclusion, tout en précisant que nous partageons l’objectif de respect du principe essentiel de laïcité, ce texte n’ajoute rien à ce que les constituants ont déjà écrit et n’apporte pas de proposition véritablement efficiente pour garantir le respect du principe de laïcité. C’est pourquoi mon groupe ne votera pas cette proposition de loi."

Cécile Untermaier, le 3 décembre 2020

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