Mes réponses à quelques-unes des questions posées lors de la réunion de la mission sur l’avenir des institutions



Mes réponses à quelques-unes des questions posées lors de la réunion de la mission sur l’avenir des institutions, ce vendredi 12  Juin, salle Lamartine, à l’Assemblée nationale,
Mission sous les présidences de Claude Bartolone et l’historien Michel Winock.

1) Le débat sur l’indépendance de la Justice est récurrent en France. Que faut- il en penser ? Faut-il créer un pouvoir judiciaire autonome ?

Il est effectivement indispensable que le pouvoir judiciaire soit réellement indépendant, et que la Constitution renforce cette indépendance (art. 64).
         Cette indépendance totale garantirait une justice plus impartiale, et moins sujette à critique, même si les critiques ne sont pas forcément justifiées.
         Par ailleurs, il convient de faire en sorte que les sanctions légalement prévues pour les illégalités commises en particulier par des élus – qui peuvent être mis en examen pendant 20 ans sans que rien ne se passe-   soient effectivement appliquées. Or, garantir l’indépendance, et renforcer la séparation des pouvoirs, c’est donc donner aux juges la possibilité de prononcer les sanctions les plus adaptées, sans être sous le joug des critiques constantes sur la légitimité du pouvoir judiciaire.
Depuis 2012, cette indépendance est de fait, la Garde des Sceaux s’interdisant toute ingérence dans les affaires soumises à la justice. Nous avons pu vérifier ce point lors de l’affaire Cahuzac dans le cadre de la commission d’enquête alors mise en place. Mais cela ne peut tenir à un engagement d’un Gouvernement mais à une mesure renforçant cette indépendance dans le cadre de la constitution.

2) Faut-il supprimer le garde des Sceaux ou le doter d’un statut à part au sein des membres du Gouvernement ?
         La question pourrait se poser différemment : le Garde des Sceaux doit-il avoir les droits dont il dispose actuellement sur les magistrats ? Autrement dit, il convient de maintenir un statut politique au Ministre de la justice, mais de lui arracher certaines compétences, telles que les compétences disciplinaires, et de contraindre les nominations à un contrôle avec avis conforme d’autres autorités, comme le CSM.
         Il en va de l’indépendance de la justice. Une fois encore, la séparation des pouvoirs n’est pas garantie, et donc l’indépendance protégée, si le garde des Sceaux intervient dans les nominations et la discipline. Cette situation pèse sur le juge qui doit sanctionner comme il se doit les comportements politiques illégaux.

3) Le régime des magistrats du parquet doit-il être aligné sur celui des magistrats du siège ?

         Il convient de rappeler avant tout que la Cour européenne des droits de l’homme qualifie les membres du Parquet de magistrats, mais pas de juges, en raison de leur dépendance vis-à-vis du garde des Sceaux.

         Deux options possibles : soit l’on coupe le lien entre le ministre et le Parquet, avec tout ce que cela comporte du point de vue institutionnel. Le procureur devient alors comme un rapporteur public devant le Conseil d’État ; soit on limite les compétences du Parquet, et on interdit son intervention pour certaines affaires, notamment celles liées à des élus, ou des représentants de l’État, ou hauts fonctionnaires afin de limiter les conflits d’intérêts.
         Les réquisitions du Procureur ou de l’avocat général sont-ils nécessaires au débat, enrichissent-ils la décision ? Si oui, il faut alors les maintenir, mais en en faisant un ordre judiciaire à part, qui serait chargé de manière indépendante de donner la position de l’État vis-à-vis des intérêts de l’État en matière financière, économique, sociale, etc. Ces Procureurs devraient donc avoir une formation complémentaire pour assurer une connaissance globale et précise des intérêts de l’État, de son fonctionnement (sorte de mélange entre l’école de la magistrature et l’ENA).
  4) Faut-il conserver une justice administrative ?
          Au regard des problèmes de conflits d’intérêts que cela entraîne en raison des deux fonctions du Conseil d’État (consultative et contentieuse), et dans un contexte de demande croissante de déontologie de la part de l’opinion publique, il apparaît impossible de maintenir en l’état la juridiction administrative.
          Plusieurs options sont possibles :
-         Soit l’on supprime l’ordre administratif, ce qui n’apparaît pas facile à effectuer, ni réellement recommandable en raison de la spécificité de ce contentieux.
-         soit l’on supprime la section contentieuse et on en fait un chambre au sein de la Cour de cassation. Cette dernière devient la Cour suprême de l’ordre administratif, et l’on maintient ainsi les TA et CAA.
-         Soit l’on distingue de manière plus étanche les deux fonctions du CE, en rattachant les sections consultatives directement au Gouvernement : soit une super autorité administrative, soit un secrétariat général du Gouvernement amélioré et moins politisé.
Une chose est certaine, l’ordre administratif doit être maintenu car le contentieux est un contentieux spécial, qui requiert une formation particulière, et des connaissances juridiques et procédurales spéciales.

En revanche, limiter l’accession au Conseil d’État aux énarques constitue une erreur pour l’évolution des idées et leur pluralisme au sein de la justice et de l’État. Il conviendrait d’ouvrir à d’autres personnes qui ont fait preuve de leur capacité, ou de créer de nouveaux concours aussi difficiles, mais extérieurs à une formation formatant les préjugés et les opinions.

5) Le Conseil constitutionnel peut-il être qualifié de Cour constitutionnelle ?
     Il devrait l’être, mais il n’est pas question de le qualifier comme cela. D’une part, il ne se situe pas au sommet d’un ordre juridique particulier, même si ses décisions s’imposent aux juges judiciaires et administratifs et à tous les pouvoirs publics.
Pour devenir une Cour suprême, il lui faudrait d’autres attributions, une autre composition, un autre statut, d’autres garanties (indépendance, impartialité, etc.). La CEDH ne considère d’ailleurs pas le juge constitutionnel comme un juge à proprement parler.
Une rationalisation de l’ordre juridictionnel français pourrait conduire à faire du CC une Cour suprême, mais il y aurait beaucoup de modifications à effectuer.

6) La composition actuelle du Conseil constitutionnel et le mode de nomination de ses membres sont-ils encore adaptés à ses fonctions ?
     Le mode de nomination n’est pas en soi un problème, il existe en Allemagne et bien d’autres pays. Le problème résulte davantage, et surtout, de l’absence de conditions de compétence pour être nommé. Cette carence est très grave, car elle conduit les autorités de nomination (PR, Président de l’AN, Président du Sénat) à nommer des personnalités incompétentes en matière juridique, mais seulement politiques en remerciement des services rendus passés.
     Il convient donc d’imposer un minimum de compétences juridiques, et un minimum de formation ou de démonstration des capacités reconnues en raison des fonctions précédemment exercées. Cette nomination ne doit pas non plus nécessairement conduire à une uniformisation des nominations (surtout pas tous des énarques ou des magistrats de l’ENM).
Il faut du pluralisme, mais avec des compétences. Pour obtenir ce pluralisme dans la nomination, tout en ayant des juristes, il faut nécessairement un contrôle beaucoup plus strict sur les nominations de la part des commissions parlementaires (éventuellement un droit de véto citoyen).
Il faut également impérativement accroître le nombre de juges constitutionnels, qui est aujourd’hui insuffisant au regard de l’explosion du contentieux avec la QPC. Mais cette accroissement ne se justifie que si l’on fait du CC une vraie Cour suprême, avec une nouvelle composition, une réelle indépendance.

7) Le double contrôle de constitutionnalité de la loi qui existe désormais, a priori et a posteriori, ne risque-t-il pas de la fragiliser excessivement ? D’autres évolutions vous semblent-elles souhaitables ?
     Plusieurs avancées semblent aujourd’hui s’imposer.
     D’une part, en raison de l’importance primordiale des questions sur lesquelles le CC est amené à se prononcer, il est indispensable d’imposer au juge constitutionnel une motivation substantielle. On ne peut accepter de devoir lire entre les lignes. Il s’agit de question de société qui fondent le pacte social, le vivre ensemble (liberté, laïcité, égalité, etc.). Le juge doit donc motiver le plus possible sa décision.
     D’autre part, dans le même registre, il conviendrait d’imposer des opinions dissidentes, ou opinions séparées. Ces opinions sont utiles pour les citoyens, ce qui leur permet une meilleure motivation, un raisonnement sur lequel fonder, construire le vivre ensemble. Ces opinions sont également utiles en interne, pour forcer les différents membres à débattre plus profondément entre eux, à justifier les uns les autres leurs positions respectives avec plus de rigueur.

8) Faut-il faire évoluer le statut juridictionnel du Président de la République et des membres du Gouvernement ?
     Il est effectivement important de faire évoluer le statut pénal et civil du PR.
     La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin, proposait notamment, en 2012, de mettre fin à l’inviolabilité́ du Président de la République et de supprimer le privilège de juridiction dont bénéficient les ministres.
     Je pense que la proposition de cette Commission était la bonne. Le PR devient un justiciable comme les autres, mais les plaintes portées contre lui doivent être d’abord filtrées par une commission des requêtes afin qu’il ne soit pas exposé aux plaintes dilatoires.
     Les abus des justiciables ou de l’opposition politique doivent être sanctionnés sévèrement.
     Un même type de régime pourrait être appliqué aux ministres. En tout cas, il n’y a aucune raison pour que les membres du pouvoir exécutif soient irresponsable dans l’exercice de leur fonction.
     Une condamnation en matière civile n’exige pas forcément une démission, cela dépend de l’ampleur de l’indemnité financière et de l’objet du litige. En revanche, en matière pénale, la démission est irrémédiable.
     Il conviendrait également de créer une véritable responsabilité politique, ce qui permettrait d’éviter une confusion entre le civil, le pénal, le politique. Une responsabilité civile déclarée par le juge ne doit en aucun cas entraîner ipso facto une responsabilité politique, il n’y a pas de lien immédiat.

10) Faut-il supprimer la Cour de justice de la République pour les membres du Gouvernement ?
     Oui, pour les raisons exposées plus haut.
Le privilège de juridiction n’a aucune justification. Cela politise une justice qui peut être pénale ou civile. C’est anormal. La procédure est opaque, longue, et n’offre pas les garanties d’indépendance et d’impartialité. Mais si la décision est bonne, en raison de la suspicion qui pèse sur cette juridiction, la décision sera toujours contestée, critiquée par l’opinion publique.
La confiance des citoyens exige de soumettre les ministres à une justice de droit commun, cela exige alors de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Cécile Untermaier,
Députée,
Assemblée nationale,
Le 11 juin 2015

A lire aussi