[video] Mercredi 28 janvier 2015 - Intervention sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit





Nouvelle lecture, Discussion générale, mercredi 28 janvier 2015.

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Pour un texte qui a l’ambition de simplifier et de moderniser notre justice et les affaires intérieures, son parcours parlementaire, et ce n’est rien de le dire, n’a pas été simple : nous n’avons effectivement pas pu nous mettre complètement d’accord avec le Sénat.  

Je souhaite axer mon propos autour de cinq éléments contenus dans ce texte :

D’abord, sur l’article 1er bis relatif au statut des animaux. Cet article est issu d’un amendement porté en avril dernier par notre collègue Jean Glavany, et plus largement par l’ensemble du Groupe Socialiste. Cet amendement, de pure forme, est rapidement devenu le symbole de cette loi, et a concentré de nombreuses critiques. Pourtant, et nous sommes nombreux à le répéter depuis avril dernier, cette disposition se borne à préciser que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Qui peut nier cette évidence ? Qui peut soutenir que les animaux ne sont pas doués de sensibilité ? Même le code rural et de la pêche maritime le reconnait à son article L. 214-1. Et c’est d’ailleurs pour aligner les dispositions du code civil sur celles de cette législation que cet amendement a été voté au printemps dernier. En harmonisant les législations existantes relatives aux animaux, nous prévenons toute interprétation divergente de la part du juge. C’est cela, simplifier.

La rédaction initiale de l’amendement prévoyait que les animaux relevaient du régime juridique des biens corporels. Même si les biens corporels ou incorporels appartiennent à la catégorie juridique des biens meubles ou immeubles, de nombreux agriculteurs nous avaient fait remarquer que l’emploi du terme « corporel » obscurcissait la signification de ces dispositions. Pour ne pas brouiller le message lancé par cet amendement, la rapporteure du texte a déposé un amendement de clarification supprimant le terme « corporel » de l’article 1er bis du projet de loi. Dorénavant, cet article précise que : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. ». En supprimant le terme « corporel », nous avons levé toute ambiguïté : le régime juridique applicable aux animaux est celui qui est applicable aux biens, à savoir le régime des biens meubles ou immeubles par destination. En bref, aucun bouleversement juridique d’ampleur n’est à attendre de cette rédaction.

Le Sénat a refusé de voter cette mesure législative d’harmonisation entre les textes. Nous, nous faisons le choix de la simplification, et c’est pour cela que je vous invite, mes chers collègues, à valider le travail que nous avons mené sur cet amendement.

En deuxième lieu, ce projet de loi donne habilitation au Gouvernement pour réformer par ordonnance le droit des obligations, le droit des contrats et le droit de la preuve. Le constat est presque unanime, ces parties du Code civil appellent une complète remise à plat. En effet, après plus de deux siècles, les dispositions relatives au droit civil des contrats ou des obligations n’ont été que très faiblement ajustées dans leur structure et dans leur substance par le législateur. Ce faisant, c’est le juge qui s’est chargé, au prix de nombreuses applications jurisprudentielles, de faire évoluer la législation originelle pour l’adapter à notre monde contemporain. La société de 1804 n’est en rien comparable avec celle d’aujourd’hui. En 2015, il est temps que le législateur se saisisse enfin de ces questions. Alors que la loi doit être claire et lisible, il est insupportable que certaines dispositions du Code civil ne reflètent plus, à leur simple lecture, l’état du droit positif. Cette mise à jour du Code civil est d’autant plus nécessaire que ce corpus juridique constitue le socle des normes traçant les rapports quotidiens entre citoyens. Jadis, le Code civil était connu et reconnu pour la sécurité juridique qu’il apportait au citoyen qui pouvait facilement se référer aux règles rangées par catégories qu’il énonçait. Ce n’est aujourd’hui plus le cas. Pour que ce Code rayonne à nouveau à travers le monde, il nous faut, comme on peut le faire de temps à autre avec un tableau qui perd ses couleurs, le restaurer.

Pour procéder à cette restauration, nous ne partons pas du néant : la réforme du droit des contrats, des obligations et de la preuve est à ce point nécessaire que de nombreuses réflexions ont été menées depuis une dizaine d’années. Citons par exemple les rapports rédigés sous la direction des professeurs Catala, Terré qui ont donné naissance à des projets de réforme aboutis. Mais aucun n’a pu être transposé en droit positif, et ce tant à cause de l’ampleur de la tâche que de la nécessaire volonté politique qui doit accompagner un travail aussi titanesque. Après toutes ces années de débat sur le contenu d’une réforme du droit des contrats, des obligations et de la preuve, le fruit est enfin mûr pour être adopté. C’est tout à l’honneur de ce Gouvernement que de vouloir enfin faire aboutir ce projet, devenu au cours de la dernière décennie un véritable serpent de mer.

Cette nécessité de la réforme du droit civil des contrats, des obligations et de la preuve, nous la partageons sur tous les bancs de cette Assemblée, voire ceux du Sénat. Mais c’est sur la méthode que nous divergeons : devons-nous donner une habilitation au Gouvernement pour réformer par ordonnance un sujet aussi crucial pour la vie quotidienne de nos concitoyens ? Il est d’usage de dire que le recours aux ordonnances se justifie dans deux hypothèses : lorsqu’il est traité d’un sujet particulièrement technique, ou en cas d’urgence. Personne ne contestera la technicité d’une réforme du droit civil des contrats et des obligations. Mais cet argument serait, à mon sens, insuffisant, pour accorder une habilitation devant l’enjeu fondamental que représente une telle réforme pour nos concitoyens. Non, ce qui nous pousse à permettre au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnances en la matière, c’est l’urgence de l’intervention de cette réforme attendue depuis de nombreuses années. Si nous repoussions la demande d’habilitation du Gouvernement, cette réforme du Code civil ne serait pas adoptée durant cette Législature. Nous pourrions l’adopter durant la prochaine Législature, mais ce serait encore repousser de quelques années cette réforme absolument essentielle.

Ainsi, à la question que j’énonçais plus haut et qui était de savoir s’il fallait ou non habiliter le Gouvernement à réformer le droit civil des contrats, des obligations et de la preuve, je répondrais que, s’il fallait écouter son cœur, nous répondrions par la négative ; mais parce que nous allons privilégier la raison, nous nous devons de donner au Gouvernement cette habilitation.

En troisième lieu, je tiens à souligner que ce texte doit permettre à la « démocratie numérique » de progresser encore, avec par exemple l’habilitation donnée au Gouvernement de réformer le code de la route pour permettre à l’automobiliste d’obtenir, sous format électronique, son solde de points, ou les décisions portant retrait de points dont il a fait l’objet. Le numérique confirme ainsi constituer un formidable vecteur de simplification pour nos concitoyens dans leur vie de tous les jours.

En quatrième lieu, ce texte procède à un véritable toilettage du Tribunal des Conflits. Cette modernisation doit être saluée dès lors qu’elle dote, d’une part, ce juge de la compétence d’un véritable président, tout en tranchant le lien hiérarchique qui existait jusqu’alors avec le Garde des Sceaux ; d’autre part, parce qu’elle lève toute ambivalence sur le rôle exercé par celui qu’il conviendra désormais d’appeler le rapporteur public en reléguant dans le passé son ancienne dénomination ambigüe de commissaire du gouvernement. C’est à la suite d’un amendement porté par le Groupe socialiste que ce changement de nom a été opéré, et je m’en félicite dès lors qu’il aligne aussi cette appellation sur celle qui a cours devant les juridictions administratives de droit commun. Ce sont deux affirmations de l’indépendance de cette juridiction que ce texte consacre.

En cinquième lieu, je tiens à souligner à quel point l’instauration d’un tribunal foncier en Polynésie française est un formidable levier de simplification dans un territoire qui ne comprend pas de cadastre et où les litiges relatifs à des limites de propriété sont faisons. Un tel tribunal permettra aux polynésiens de voir leur droit de propriété définitivement établi, pour le plus grand bénéfice de leur sécurité juridique.

Alors que déjà plusieurs lois sur la simplification ont été adoptées sous cette Législature, dernièrement celle relative à la simplification des relations entre l’administration et les citoyens, il importe aussi de faciliter l’accès au droit : l’habilitation à codifier le droit du contrat, des obligations et de la preuve, dans le champ contraint des évolutions jurisprudentielles et des rapports universitaires répond à cette nécessité. Je tiens à préciser toutefois que la simplification ne peut être une fin en soi. Des situations complexes exigent des réponses adaptées, et pour reprendre la belle expression du Professeur Delmas-Marty, de ne pas tomber dans la « démagogie de la simplicité », mais plutôt faire la « pédagogie de la complexité ».

C’est parce que cette loi remplit ces objectifs que je la voterai.

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