Mon intervention à l'Assemblée nationale ce mardi 4 février


 
La contrefaçon a changé de visage, le droit doit s’adapter. Mais s’adapter aux nouvelles techniques de contrefaçon ne suffit plus, il faut dorénavant aussi créer les outils pour devancer voire anticiper l’activité des réseaux criminels, pour remonter et démanteler les filières.

La contrefaçon représente un fléau moderne donnant aux citoyens l’illusion d’accéder à des produits qu’ils ne pourraient s’offrir, à une consommation qui ne leur est pas destinée, sans évidemment s’apercevoir du coût économique majeur que cela fait supporter à l’économie légale. Combattre la contrefaçon ne consiste donc pas seulement en une volonté de faire respecter des normes techniques imposées par les États ou les organisations internationales. Derrière la contrefaçon se cachent des intérêts substantiels, tout un complexe d’acteurs, d’articulations économiques et financières, et des enjeux que l’on ne soupçonne pas. Dans le contexte de la globalisation économique, financière et communicationnelle, la lutte contre la contrefaçon symbolise le combat de plus en plus compliqué entre l’économie légale et l’économie illégale.
Rappelons enfin que les réseaux criminels internationaux se satisfont de cette activité de plus en plus rémunératrice et beaucoup moins risquée et punie que les stupéfiants ou les armes.

En 2012, la douane a saisi 4,6 millions d’articles. Le trafic de marchandises contrefaites touche maintenant de plus en plus de produits de grande consommation (les produits de luxe ne représentent que 6 à 8 %) et de médicaments : 1 médicament sur deux vendu sur Internet est contrefait ; les faux médicaments sous-dosés ou surdosés sont les plus dangereux car ils entraînent des antibiorésistances et constituent une menace réelle pour la santé et la sécurité de 2 milliards de personnes qui en consomment. 

Les vêtements, les accessoires personnels et les jeux et jouets forment le trio de tête en terme de nombre d'articles saisis en 2012, chacun représentant respectivement (25%), (17%) et (11%). L’Asie constitue la première zone de provenance (70%), loin devant l’Union européenne (13%). Le e-commerce reste le vecteur d’approvisionnement le plus important avec plus de  30% de saisies opérées dans le fret postal et express. D'autres chiffres sont tout aussi éloquents : selon l’OCDE la contrefaçon aurait pour conséquence directe la suppression de 200 000 emplois dans le monde, dont 100 000 en Europe et 30 000 en France, plus d’une entreprise sur deux aurait été confrontée au problème de la contrefaçon.

Lutter contre la contrefaçon, c'est défendre les droits de propriété et l'activité économique qui leurs est rattachée, l'enjeu est de taille ! :  40% de l'activité de l'UE est générée par des secteurs où les droits jouent un rôle prépondérant selon  une étude de septembre 2013 réalisée en partenariat par l'Office européen des brevets ; Lutter contre la contre-façon, c’est défendre les emplois, c’est encourager le travail des entreprises qui s’investissent, qui respectent leurs salariés, qui ont une exigence de qualité, et d’inventivité. C'est défendre le consommateur. C'est lutter contre le travail clandestin, l'esclavage des plus faibles et en particulier des enfants ;  La lutte contre la contrefaçon a pour vertu de défendre le savoir-faire, la créativité, mais aussi la sécurité.

 Une première étape a été franchie avec la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, que le texte ici discuté vient prolonger et simplifier. La proposition de loi déposée au Sénat par Richard Yung, modifiée le 13 novembre 2013 par la commission des lois du Sénat, sur le rapport de Michel Delabarre,  a été adoptée en séance le 20 novembre 2013.

Dans un premier temps, cette  proposition de loi renforce les instruments de lutte contre la contrefaçon, en apportant une meilleure cohérence législative et un renforcement des compétences des services douaniers. L’article 9 de la proposition de loi étend ainsi la possibilité pour les douanes de procéder à des opérations d’infiltration afin de rechercher tout délit de contrefaçon, quel que soit le droit de propriété intellectuelle concernée.

Dans cette optique, un équilibre ou une juste proportion a été recherchée entre la nécessité d’améliorer l’efficacité de l’action douanière et le respect du droit de propriété des sociétés de fret et fret express ainsi que la protection des données personnelles détenues par ces entreprises. L’article 13 de la loi prévoit la création d’un nouveau fichier informatisé de données,  alimenté par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express et centralisé par la direction générale des douanes et des droits directs. Ce fichier facilitera  principalement la recherche des réseaux de filière.

A ce titre, la CNIL s’est saisie de cette proposition de loi et a émis des recommandations afin de respecter la protection des données personnelles détenues par les entreprises. Profitons ici de l’occasion qui nous est donnée pour souligner à regret l’absence de publicité de cet avis de la CNIL et l’impossibilité pour le Parlement d’en avoir connaissance. Par ailleurs, ajoutons même  qu’il est incompréhensible que la CNIL soit saisie pour les projets de loi et non pas pour les propositions de loi, alors que le Parlement aurait tout autant besoin de l’expertise de cette autorité administrative indépendante que le Gouvernement. De même qu'une étude d'impact serait bienvenue en préalable de toute proposition de loi.

Tout en respectant les contours de la jurisprudence de la CJUE, et notamment de l’arrêt Nokia, de décembre 2011, assez critiquable par ailleurs, la loi étend à l’administration douanière le droit de contrôler les marchandises en transbordement. Or, jusqu’à cette loi, ces contrôles étaient strictement interdits. Il s’agit là d’une avancée majeure pour la lutte contre la contrefaçon, la France n’étant plus contrainte de fermer les yeux sur des marchandises pour lesquelles il existait un doute évident de contrefaçon mais dont le contrôle était impossible sous prétexte qu’elles n’étaient pas directement destinées au marché français.

Les Douanes voient ainsi leurs compétences renforcées dans le strict respect des libertés publiques et d’une manière proportionnée aux besoins et à la nécessité de la lutter contre la contrefaçon.

Dans un second temps, la proposition de loi clarifie et simplifie le régime de la sanction. Elle s’inscrit dans le choc de simplification annoncée par le Président de la République et déjà évoqué dans plusieurs autres textes sur les entreprises et l’administration. Dans cette optique, plusieurs améliorations notables sont proposées :

Désormais, les trois éléments servant à l’analyse du préjudice subi, à savoir les conséquences économiques négatives, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, doivent  être pris en considération de manière distincte par le juge et de façon cumulative.  De plus, parmi les conséquences économiques négatives subies par la victime,  le juge devra prendre en compte la perte économique subie par cette dernière. De sorte que  la sanction devienne réellement dissuasive, et constitue un mécanisme de prévention.
 
La loi clarifie également les compétences juridictionnelles en matière de propriété intellectuelle, renforce le droit à l’information et l’efficacité de la saisie-contrefaçon, simplifie les délais de prescription de l’action civile en matière de propriété intellectuelle.
 
Enfin, la discussion a été très soutenue avec le Gouvernement en ce qui concerne la protection douanière aux obtentions végétales, qui derrière la technicité du propos, révèle des enjeux humains extrêmement complexes. Un accord a fini par être trouvé, constituant un compromis subtil entre le droit de propriété et le respect de l’exploitation agricole. Il a ainsi été convenu de ne pas sanctionner au titre de la lutte contre la contrefaçon, la production et l’utilisation par la un agriculteur, de ses propres semences de ferme, pour les seuls besoins de son exploitation, quel que soit le type de semence concernée, c’est-à-dire protégé ou non par un brevet.

 Si les techniques de contrefaçon se spécialisent et se complexifient, en revanche, seul un droit d'application simple et lisible doit servir de base à l’administration pour combattre efficacement ce fléau. La complexité du monde exige parfois de simplifier notre législation pour atteindre l’efficacité. 

Pour maintenir l’autorité de l’État et de la loi, assainir notre économie de tous les comportements négatifs qui la gangrène, et respecter le travail, le savoir-faire et l’inventivité des entrepreneurs et des salariés de notre pays, comme l'exigence des consommateurs, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette loi de lutte contre la contre-façon.


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