Le débat sur l’application "StopCovid"

Le débat sur l’application "StopCovid"

Monsieur le président,

Monsieur le ministre,

Mes cher.e.s collègues,

Cette application soulève beaucoup d’interrogations, d’inquiétudes voire d’opposition. En tant que législateur nous devons dire si les libertés individuelles doivent s’effacer devant l’intérêt général que présenterait une telle application. Ou pour le dire autrement si   Stop-Covid est nécessaire, adapté et proportionné au regard des risques de restriction de nos libertés fondamentales et j’ajouterai au regard du pacte social qui nous fait vivre ensemble (I). Il nous faut aussi nous interroger sur la complétude d’une consultation par le présent débat de la Représentation nationale (II) et ce qu’il nous commande finalement.

I) C’est à travers ces trois qualités de nécessaire, adaptée et proportionnée que s’analyse le caractère équilibré d’un dispositif. La CNIL a répondu en ajoutant des exigences au décret soumis à son examen. Cet avis nous éclaire sur le plan de l’analyse technologique, mais ne lie pas la décision politique et le débat de fond se situe ici.

Cette application est-elle : 

Nécessaire ? Je dirai peut-être utile mais certainement pas indispensable.

Le confinement est la mesure qui a réussi à endiguer la pandémie, dans l’attente de la montée en puissance des masques et des tests.  Le déconfinement à ce jour, se passe plutôt bien. On parlait de 300 000 morts, nous sommes à un taux de létalité de 1 à 2 %. Les gestes barrières sont bien acceptés et la responsabilité individuelle des citoyens par rapport à la crise est démontrée. Les épistémologistes seront toujours favorables à un dispositif qui à la marge peut aider à prévenir des infections. Mais, la décision politique ne peut se réduire à l’expression des experts et être dictée par le seul tempo sanitaire.

Adaptée ?  Au milieu urbain sans doute si l’on s’en tient aux transports en commun et autres secteurs d’affluence, mais certainement pas dans le milieu rural où elle se heurterait à l’identification quasi assurée des personnes positives au covid-19. Une adaptation donc limitée à un type de territoire mais aussi à un type de population éloignée du numérique.

Proportionnée ?

Cette application défend le droit à la santé et à la vie, ce sont des droits fondamentaux et la nation doit les garantir. C’est son objectif affiché.

Mais, Les risques de réidentification des pseudonymes, de cyberattaque sur des données très sensibles de santé, ont fait que des Etats tels l’Allemagne, la Suisse, et d’autres se sont détournés de l’application Bluetooth, dénonçant un manque de transparence.

Mais, les mesures barrières fonctionnent bien, elles sont l’expression d’un principe de précaution et l’attention des citoyens ne doit pas être détournée de cette exigence. C’est ce civisme là qu’il faut encourager par l’accessibilité et le prix très réduit des produits barrières.

Mais, enfin et surtout, n’est-elle pas le prélude à une vaste mise sous surveillance des citoyens et insidieuse, parce qu’introduite par le volontariat.  Au nom de la santé publique, le Covid ne vient-il pas installer la défiance et la désocialisation où l’autre est vu comme une menace et non comme un partenaire ? Comme le disait un historien israélien, en plus de savoir sur quelle touche le doigt appuie, on veut savoir désormais, à quelle température, il le fait… ou s’arrêtera-t-on ?

II) Ce débat montre combien la dimension éthique et politique des projets technologiques est majeure et combien elle est maltraitée ici, malgré la bonne volonté de chacun.

L’urgence commanderait donc cette première action de l’Etat consistant à faire parler des machines ensemble, sur les données sensibles de la santé. Savoir tout sans savoir qui ?

Les principes fondamentaux autour du numérique doivent être posés par le législateur si nous voulons être en capacité de protéger nos concitoyens de la dictature du numérique ? Ce qui nous taraude finalement dans l’examen de ce type de projets, sauf à faire une confiance aveugle dans les nouvelles technologies, c’est que nous ne savons rien du fonctionnement de ces applications, dont l’essentiel est d’ailleurs dans les décrets, du contenu des algorithmes sur lesquelles nous devrions auditionner des spécialistes, de l’effectivité des contrôles qui devraient en outre être renforcés, auprès des autorités indépendantes, de la société civile et du juge. Nous vérifions sagement que les droits édictés sont protégés mais nous savons tous l’écart qui existe entre cette formulation et son caractère effectif.

Je ne pense pas que la lumière naîtra de ce débat justifié finalement parce que l’Etat s’engage, mais insuffisant en tant que tel. Je ne souhaite pas que l’Etat s’engage dans cette voie sans avoir interrogé avec nous les fondamentaux qui lient le numérique à notre contrat social. Je crois que ce que nous commande ce projet c’est l’élaboration d’une charte du numérique avant que nous ne soyons pris par une autre situation d’urgence.

Je vous remercie.

Cécile Untermaier,

Le 27 mai 2020

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