Le projet de loi relatif à la "confiance dans l’institution judiciaire" examiné dans l'hémicycle

Le projet de loi relatif à la "confiance dans l’institution judiciaire" examiné dans l'hémicycle

Les projets de loi ordinaire et organique pour la confiance dans l'institution judiciaire ont été examinés cette semaine en séance publique. Le texte principal prévoit notamment l'enregistrement et la diffusion des procès, l'encadrement de l'enquête préliminaire plus respectueuse des droits de la défense, le renforcement du secret des avocats, la généralisation des cours criminelles départementales, une réforme des réductions de peines, la création d'un contrat d'emploi pénitentiaire ou encore la consolidation de la déontologie des professions du droit.

Si certaines dispositions vont dans le bon sens, d'autres ne sont pas de nature à recréer le lien entre la justice et les citoyens. J’ai déposé plusieurs amendements, lesquels visent à apporter des garanties de protection quant à la diffusion des procès, supprimer l'extension des cours criminelles dont l'expérimentation n'a pas encore pris fin, ou encore supprimer la réforme des crédits de réduction de peines, laquelle n'emporte l'adhésion d'aucun professionnel. Avec mon collègue Fabien Matras, j'ai également déposé des amendements renforçant la déontologie des professions du droit et plus particulièrement celui portant création d'un collège de déontologie pour chaque ordre des officiers publics et ministériels, lequel a été adopté.

Dans le cadre d’une motion de rejet, j’ai exprimé les points les plus critiquables du texte.

Mon intervention lors de la motion de rejet (temps de parole de 15 minutes) :

 

« Monsieur le Président, Monsieur le garde des Sceaux, Monsieur le Rapporteur, Mes cher.e.s Collègues,

Une motion de rejet aux termes de l’article 91 du Règlement de l’Assemblée nationale, a pour objet de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou qu’il n’y a pas lieu d’en  délibérer. Désigné par tirage au sort pour défendre une telle motion, le groupe socialiste et apparentés, puise le sens de la présente intervention dans ces deux registres.

Deux critiques fondent le rejet :  la première concerne le titre III de la loi organique et donc aussi  l’article 1er du projet de loi, relatif à l’enregistrement et à la diffusion. La seconde, la réforme des peines. D’autres observations viennent renforcer notre critique.

1- Le titre III de la loi organique et l’article 1er du texte de loi relatif à l’enregistrement et les audiences fondent le motif de rejet tenant au caractère inconstitutionnel du texte, entaché selon nous d’incompétence négative.

Sur l’objectif poursuivi qui est de diffuser la culture de la justice et faire de la pédagogie tout en aidant à démontrer que les affaires ne sont pas toujours aussi simples et que les acteurs de la justice travaillent, nous ne pouvons qu’y être favorable. Cela va dans le sens de la transparence et de la visibilité. Raymond Depardon disait que l’enregistrement et la diffusion servent à « faciliter l'écoute [des] audiences qui sont parfois très techniques, répétitives ou confuses. [Le] but [est] que cela devienne compréhensible et intéressant pour le plus grand nombre. ».

Un de nos amendement va d’ailleurs plus loin dans le sens d’une plus grande transparence en permettant un accès immédiat et gratuit aux écritures  de l’ensemble d’une affaire jugée et devenue définitive (mémoires, expertises, conclusions des rapporteurs publics etc …) qu’elle relève de la juridiction judiciaire ou administrative.

Mais ce projet qui est de faire du droit commun ce qui est l’exception à ce jour, doit être précisé par le législateur. Ce n’est pas au pouvoir réglementaire de prévoir le cas échéant les garde-fous encadrant le service public de la justice dans sa communication, mais bien au législateur d’exercer l’ensemble de sa compétence sur le sujet.

En effet, une telle disposition peut aussi avoir des effets dangereux si l’enregistrement et la diffusion ne sont pas encadrés de manière claire et intelligible.

Prenons un exemple douloureux récent, relatif à la polémique déclenchée par la confirmation en cassation de l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. L’arrêt de la Chambre d’instruction a retenu la culpabilité de Kobili Traoré et la dimension antisémite de son crime. On peut imaginer ce que pourrait susciter la diffusion de certaines phrases tronquées du procès, sans préparation et apport pédagogique. L’intérêt public auquel fait référence le texte, pour fonder une communication, ne peut suffire à nous rassurer et le législateur doit en dire davantage à ce sujet.

Il faut enrichir la réflexion de l’opinion, mais les questions de savoir « comment et quand », déterminantes pour atteindre l’objectif recherché,  ne sont pas appréhendées dans le texte.

Nous devons protéger le pouvoir du juge, c’est un pilier de notre démocratie.

Soyons prudents. Pensons à la Hongrie qui n’a pas hésité à attaquer la justice et ne nous mettons pas dans une situation permettant à certaines ou certains de suivre la même voie.

Voilà pourquoi, il nous semble que ce dispositif dont nous ne discutons pas la finalité et l’intérêt, est entaché d’incompétence négative. Il appartient en effet au législateur d’apporter un certain nombre de garanties de nature législative et de fixer les grandes règles de son fonctionnement. Il s’agit déjà d’abord de :   

Préciser qui décide de l’enregistrement et donc de la diffusion potentielle d’une audience. Nous proposons que ce rôle revienne aux chefs de cours, après consultation des chefs de juridiction et des autres acteurs de la justice.

Le Gouvernement ne cède que trop à la tentation de s’ingérer dans les affaires de la justice. Il le fait en renvoyant à un décret des points essentiels de la mesure. La transmission des actions et savoirs de la justice ne doit pas échapper à ces professionnels.

Préciser qui peut  diffuser et selon quel « cahier des charges », écrit par qui et comment ? Est-ce ouvert à une chaine d’information publique et/ou  une chaine d’information en continue ? Selon quelles modalités l’attribution sera faite et sous quelles conditions ?

Il s’agit aussi de mettre en place une garantie faisant qu’un tel dispositif d’enregistrement qui pourrait être appliqué à une audience dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction, ne nuise pas à la manifestation de la vérité.

En conclusion de ce premier point, qui concerne la disposition de l’article 1er qui la plus médiatisée du texte, nous disons que le législateur doit exercer toute sa compétence et qu’il ne le fait pas en votant ainsi un tel projet.

Sur le deuxième point qui concerne la réforme des réductions de peines :

D’abord un constat :

1/ L’ensemble des professionnels que nous avons rencontrés nous disent qu’il n’y a pas lieu de légiférer sur ce point, cela ne peut emporter un rejet de la loi, j’en conviens, mais nous allons nous efforcer de vous démontrer que cette opposition est convaincante :

Nous devons, en premier lieu, écarter l’idée funeste selon laquelle les détenus ne seraient pas soumis à la sanction du juge s’agissant du crédit de réduction de peine dont ils bénéficient tous lors de leur condamnation.

Il s’agit bien d’un crédit dont les juges de l’application des peines, nonobstant les éventuelles mesures disciplinaires, se servent comme d’un bâton, un bâton légitime certes, pour sanctionner les mauvais comportements. La preuve en est qu’entre 10 et 20% des détenus, ce qui représente 8% du volume global des crédits de réduction de peine, se voient retirer leur réduction de peine à raison d’une mauvaise conduite.

Nous devons préciser que le système actuel fonctionne plutôt bien, qu’il n’est entouré d’aucun laxisme, qu’il permet de valoriser les bonnes conduites et, avec le mécanisme de la réduction de peine supplémentaire, de favoriser l’insertion.

Et d’ailleurs, dans votre étude d’impact vous pensez obtenir les mêmes résultats en termes de volume de réduction de peine que ceux de l’actuelle réglementation.

De plus, cette réforme va à contre-courant de l’orientation constante (et intéressante) de l’actuel gouvernement, qui est de privilégier une société de la confiance. Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ferme la porte à la confiance que pouvaient avoir les professionnels de la pénitentiaire et les juges d’application des peines dans le comportement des détenus, détenus  dont plus des 80% ne posent pas de problème et s’engageraient volontiers dans une action d’insertion si elle leur était proposée.

Il s’agit d’une réforme qui flatte davantage l’opinion qu’elle ne règle les problèmes nombreux de la prison. 

2/ Ce constat ne serait pas grave si la réforme sur ce point ne risquait pas d’avoir des effets néfastes, d’ailleurs identifiés par le Conseil d’Etat :

Nous pensons tout d’abord au manque de prévisibilité des effets de la réforme. Le ministère de la Justice espère que les juges de l’application des peines continueront à octroyer grosso modo le même niveau global de réduction de peine. Cette simple supputation ne confirme-t-elle pas l’absence de portée utile de la mesure ? En fait, Il s’agit surtout d’un pari risqué comme le démontre d’ailleurs l’étude de Benjamin Monnery, maître de conférence en économie à l’université de Paris-Nanterre.

En toute hypothèse, la réforme va susciter un travail extrêmement compliqué pour les juges d’application des peines, sans plus-value pour la sécurité et la lutte contre la récidive.

Les spécialistes des prisons redoutent à juste titre un accroissement des disparités entre condamnés, au niveau national, le juge de l’application des peines étant  amené à statuer « à la carte » à la fois sur la bonne conduite et sur les efforts de réinsertion, en fonction des options proposées par un établissement donné. Les efforts de réinsertion ne pourront être évalués qu’à la lumière des offres offertes en milieu carcéral – de formation, d’emploi, d’accompagnement éducatif… – dont l’absence aujourd’hui est pointée par le milieu carcéral. Ce manque de perspectives va créer des tensions en prison, préjudiciables au personnel des prisons.

Par ailleurs, une augmentation de la population carcérale est à craindre. Rappelons que la France fait déjà partie avec la Turquie des cinq pays sur les 47 du Conseil de l’Europe à afficher la densité carcérale la plus élevée. Cette surpopulation a pour effet de compliquer la prise en charge des détenus et leur préparation à la sortie de détention. C’est dans cette voie de l’encellulement le plus souvent individuel, que se trouve la clef de la lutte contre la récidive et la réinsertion. Tous les surveillants nous le disent, comment parler réinsertion lorsque les détenus partagent une même cellule à quatre?

Enfin, la réforme prétend mettre un terme à ladite automaticité du crédit de réduction de peine et en revanche introduit une très réelle automaticité de la réduction de peine, sans avis du JAP cette fois, pour les détenus condamnés à une peine de prison inférieure ou égale à deux ans. Cela n’est pas cohérent. Cette libération sous contrainte automatique apparaît donc comme un outil de délestage et de correction partielle des effets redoutés de la réforme des réductions de peine.

En somme, la réforme revient sur une philosophie très forte qui était de faire confiance par principe au détenu en lui accordant une réduction de peine dès sa condamnation, participant ainsi à sa responsabilisation bien avant sa sortie de prison.  Avec ce texte, la méfiance quant à son comportement devient la règle et la confiance l’exception.

J’ajoute deux points qui fondent notre désaccord:

La généralisation des cours criminelles qui ne respecte pas la volonté du législateur de procéder à une phase expérimentale de trois ans. Mais la volonté du législateur mérite plus de respect de la part de l’exécutif. Certes, une loi peut défaire une autre loi. Mais s’agissant des expérimentations, nous avons la preuve que ce sont le plus souvent l’outil d’une volonté politique du gouvernement qui n’ose pas s’affirmer d’emblée et qui finalement crée un sentiment de duperie désagréable et néfaste.

Sur le fond : Nous préférons une réforme des cours d’assises préservant les jurés que la création de ces cours criminelles qui les fait disparaître.

En conclusion, le Gouvernement est ainsi éclairé sur les préoccupations de notre groupe. Cette motion de rejet met l’accent sur deux points essentiels du texte.  A ce stade, après l’examen en commission, nous n’avons aucune avancée sur ces questions majeures. C’est le sens de cette motion de rejet.

C’est pour nous l’occasion de dire aussi que la confiance dans l’institution judiciaire passe d’abord par la garantie de son indépendance. Cette question de l’indépendance du parquet, qui n’exclut en rien une politique pénale portée par le Gouvernement et le garde des Sceaux, vous ne voulez pas la traiter. A tout le moins, accueillez l’amendement souhaité par la Cour de cassation, sur le rapporteur public et l’affirmation de son indépendance. »

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Mon intervention lors de la discussion générale (temps de parole de 5 minutes) :

 

 

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