Mission budgétaire "Justice": audition de N. Belloubet, garde des Sceaux

Mission budgétaire "Justice": audition de N. Belloubet, garde des Sceaux

 

Madame la garde des Sceaux,

Mes chers  et chères collègues,

Un SOS de détresse a été lancé en 2016, avec « Le problème de la justice c’est son budget » ou plus encore « Une justice en voie de clochardisation ». C’était une façon pour le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, de mettre le sujet sur la table.

Le budget 2020 pour le ministère de la Justice s'élève à 7,5 milliards d’euros, hors pensions, soit une hausse de 2,8% (+ 205 millions d’euros) par rapport à la loi de finances 2019. C’est la troisième année consécutive que ce budget connaît une majoration. C’est ainsi une moyenne de 3,7 % d’augmentation sur trois ans. Ce chiffre est à rapprocher de ceux que nous avons constaté par le passé, sous toutes les majorités, depuis JacquesToubon, (1,6 % mais aussi 6,4%) jusqu’à Christiane Taubira. De 2013 à 2017, l’augmentation a été de 8,5%. Elle se poursuit en 2018 et passe ainsi à 12,3% de plus qu’en 2013.

J’ai souhaité rappeler ces données et démontrer ainsi que la loi de programmation budgétaire adoptée pour 2019-2022, ne constitue pas un changement radical dans la politique menée depuis des années par les différents gouvernements. C’est une réponse mesurée à un problème qui continue hélas de se poser.

Ce budget 2020 inscrit les réformes actées dans le cadre la loi justice, une nouvelle politique des peines et de réinsertion avec la promotion des prononcés de peines alternatives à l’emprisonnement, une prise en charge améliorée des mineurs en termes de délais et d’accompagnement, transformation numérique, un plan prisons et la construction de centres éducatifs fermés. Le réseau de l’accès au droit serait développé avec la présence de conciliateurs (des bénévoles qu’il vous faudra trouver) dans les maisons France-services.

II- Mais, l’examen de ce budget et le débat qu’il implique ne peut se faire sans avoir une lecture attentive du rapport de la Cour des comptes, opportunément demandé par des commissaires aux finances et remis début 2019.

Ce rapport traite de l’organisation et de l’allocation des moyens de la justice. Il met en évidence les dysfonctionnements et constate surtout que l’administration du ministère n’est pas en mesure d’établir un budget solide en l’absence d’outils fiables lui permettant d’orienter les efforts. Il comporte trois points essentiels :

- Malgré une augmentation des crédits budgétaires, la situation se dégrade. Au demeurant,  selon les données du Conseil de l’Europe, les juridictions françaises bénéficient d’un effort budgétaire moindre malgré la hausse significative de ces dernières années, que les Etats européens les plus comparables.

- L’administration du ministère ne dispose pas de tous les outils de connaissance et de pilotage nécessaires.

Nous l’avons constaté ensemble s’agissant de la justice des mineurs et rappelé lors de la mission sur la justice des mineurs que j’ai présidée avec mon collègue Jean Terrier : en l’absence de tout élément élément statistique et qualitatif, nous n’avons pu déterminer l’utilité d’un passage en CEF pour la réinsertion d’un enfant. Et, pourtant, le budget 2020 comporte la programmation de 20 CEF.

- Les méthodologies adoptées par les juridictions administratives pourraient inspirer les juridictions judiciaires françaises.

Le magistrat administratif est soumis à une norme d’activité qui permet d’apprécier le temps de travail nécessaire et les effectifs.

En fait, nous légiférons sans vraiment connaître l’activité judiciaire.

La seule certitude partagée est que nous ne nous trompons pas en majorant globalement les crédits, au regard des standards européens. 

III- Sur le point précis de l’accès au droit et la mesure 101 du budget justice :

La politique en matière d’accès au droit et à la justice doit permettre à toute personne qui le souhaite d’avoir connaissance de ses droits et de les faire valoir, quelque soit sa situation sociale ou son domicile. Cette politique doit associer l’Etat, les collectivités locales, le milieu associatif et les professionnels du droit.

Ce programme s’élève à 530,5 millions en 2020 contre 466, 8 millions en 2019. Il ne s’agit pas d’une augmentation comme j’ai pu le lire dans la presse, mais du transfert des 83 millions d’euros qui étaient affectés au CNB pour financer l’aide juridique, sur le budget de l’Etat.

Le programme 101 devrait compter (466,8 + 83 millions) soit 549,8 et non 530 millions ; ce différentiel de 19 millions, c’est autant de moins pour l’aide à l’accès au droit et pour les familles dont les ressources sont modestes.

L’accès à la connaissance de ses droits : Les Conseils départementaux de l’accès au droit, (CDAD) et les Points d’accès au droit doivent être développés sur tous le territoire. Actuellement seuls 97 sur 164 tribunaux  disposent d’un point d’accès au droit.

Il en est de même de l’aide aux victimes d’infractions pénales.  

La majoration de 1,7 % du budget dédié aux victimes d’infractions pénales n’est pas en rapport avec les efforts attendus, par exemple, à la suite du Grenelle des violences faites aux femmes et de la proposition de loi afférente que nous avons votée à la quasi-unanimité la semaine dernière.

Dans ce contexte, je ne m’explique pas, Madame la ministre, les propos que vous tenez affirmant que l’accès au droit ne nécessite pas davantage de crédits et votre réticence à mettre en œuvre des dispositions de soutien à cette politique, prévues dans le cadre de la loi de 2015, alors que sur tous les bancs de l’Assemblée, nous avons convenu de l’opportunité de favoriser cette action.

Cécile Untermaier

Consulter le rapport de la Cour des Comptes

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