Le droit à l’eau potable en débat

Le droit à l’eau potable en débat
Intervention en Discussion générale lors de la deuxième séance publique sur la proposition de loi constitutionnelle
"visant à faire de l'accès à l'eau un droit inaliénable"

Madame la Ministre,

Monsieur le rapporteur,

Mes chers collègues,

 

Cette proposition de loi tend à inscrire dans notre Constitution le droit à l’eau potable, «  bien commun de l’humanité », indispensable à la vie et à la dignité.

Rappelons quelques éléments de contexte : la proclamation d’un droit à l’eau a été le fait de nombreuses déclarations intergouvernementales, et ce dès 1977 avec notamment la conférence de l’ONU à Mar del Plata.

En Afrique, l’eau tue plusieurs milliers de personnes par an. Cette question fondamentale du droit à l’eau revêt un caractère particulièrement grave justifiant que les Etats rassemblés inscrivent ce droit à l’eau dans le droit international.

Le droit à l’eau fait partie du droit international positif depuis 2002 avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Plusieurs pays reconnaissent ce droit à l’eau dans leur constitution, des pays africains comme le Sénégal et l’Afrique du sud, la Slovénie, ainsi que des pays d’Amérique du sud.

En France, avec la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, l’eau fait désormais partie du patrimoine commun de la Nation. La Charte constitutionnelle de 2005 à travers le droit à l’environnement reconnaît indirectement mais nécessairement un droit à l’eau.

Le pas décisif est franchi le 30 décembre 2006 avec la loi LEMA, sur l’eau et les milieux aquatiques, transposition de la Directive cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000, afin d’arriver aux objectifs qu’elle a posés. L’article L.210-1 du code de l’environnement dispose ainsi que « dans le cadre des lois et règlements… l’usage de l’eau appartient à tous, et chaque personne physique pour son alimentation et son hygiène a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiques acceptables ».

Le problème qui se pose à nous est le suivant : rien n’a été fait depuis en application, tant par des lois ou des règlements, pour tendre vers cet objectif d’un droit à l’eau partout sur le territoire, dans des conditions économiques acceptables par chacun.

La proposition de loi dispose dans son article unique d’une inscription de ce droit à l’eau potable dans la Constitution. C’est une proposition que nous accompagnons volontiers, mais encore faut-il que nous soyons assurés que ce ne soit pas déjà le cas.

Or, pour un très grand nombre d’entre nous, soutenus par des juristes de l’environnement et des constitutionalistes, le droit à l’eau potable est compris dans le droit à l’environnement tel qu’en dispose l’article 1 de la Charte de l’environnement.

La France Insoumise ne peut ainsi prétendre dans le cadre d’une telle proposition ajouter un alinéa à l’article 2 de la charte de l’environnement sans que soient interrogés alors l’ensemble des droits et devoirs en matière de climat et de biodiversité.

A notre sens, ce qu’il importe aujourd’hui, au-delà des proclamations désormais inscrites dans le droit international, les Directives européennes et le droit interne, et à notre avis dans notre Constitution, de prévoir les modalités pratiques d’un droit à l’eau potable effectif et sous quelles conditions. La loi LEMA, transposition d’une Directive européenne, nous le commande.

C’est une nouvelle loi sur l’eau qu’il nous faut proposer et traiter notamment des points suivants :

- Que se passe-t-il en cas de pénurie ? Et nous connaîtrons des cas de pénurie  (l’article unique de cette PPL parle avec raison d’une priorité à tout autre usage, ceci  impose un texte législatif organisant ces priorités de l’usage de l’eau).

- Il nous faut introduire une disposition selon laquelle chacun a l’obligation de contribuer au financement des coûts d’approvisionnement en eau et de l’assainissement

- Ajouter que lorsque les réseaux de distribution ne sont pas accessibles, les résidents doivent disposer d’une source  d’eau potable à un prix abordable.

- Prévoir enfin une disposition sur les tarifs, un  prix de l’eau fixé de façon à assurer le caractère durable du service en matière d’eau, de protéger la santé publique et l’environnement de façon à renforcer la cohésion sociale.

- Le prix de l’eau ne doit pas être un obstacle à la consommation et il est indispensable de prendre des mesures spéciales pour ceux qui sont dans la précarité.

- Veiller à la mise en place partout sur le sol national de bornes-fontaines gratuites et d’un service public tenant compte des facultés contributives de chacun.

C’était l’objet de la proposition de loi qui avait été déposée en 2013 par Jean Glavany, Jean-Paul Chanteguet, Marie-George Buffet… portée par plus de 30 associations, 5 partis politiques et rapportée par Michel Lesage. Ce texte qui organisait ce droit à l’eau potable n’a pas survécu à son examen au Parlement. Le lobby des eaux en bouteille et la vive opposition des sénateurs ont eu raison de cette proposition de loi, à priori consensuelle.

La présente proposition de loi rappelle l’urgence que nous avons à disposer de modalités pratiques pour un droit dont personne ne conteste le caractère fondamental, et dont je redis à mon sens le caractère constitutionnel. Ne perdons pas de temps en proclamation (LFI s’en est fait une spécialité) et agissons.  

Cécile Untermaier

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