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Politique publique de la Justice : audition du ministre en commission des Lois

Politique publique de la Justice : audition du ministre en commission des Lois

La commission des Lois a auditionné cette semaine le ministre de la Justice, qui nous a présenté le budget du ministère pour 2023, ainsi que sa feuille de route pour les prochaines années, dans une actualité marquée par la remise des conclusions du comité indépendant des Etats généraux de la Justice cet été au président de la République et qui seront au cœur de travaux du ministère.

A cette occasion, j’ai interrogé le ministre sur la méthode mise en place pour apprécier l'efficacité des mesures à prendre ou déjà prises. Pour rappel, la Cour des comptes a produit un rapport par lequel elle dénonce l'absence de pilotage et d'approche systémique dans les réformes.

1/ Sur la nécessité d’une co-construction avec le Parlement

Les plus fragiles se sont éloignés de la justice. Ils règlent comme ils peuvent leurs litiges civils mais souvent renoncent à faire appel finalement à la justice, découragés par les implications financières et les longs délais en première instance comme en appel.

→ Vous avez fait valoir votre volonté de sortir la justice de l’ornière dans laquelle elle se situe. Comment envisagez-vous la co-construction avec le Parlement s’agissant d’une réforme sur le long terme ? Nous ne ferons rien en un an.

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Focus sur la justice civile

Les citoyens ne font plus confiance en l’institution. Deux mots pour la caractériser sont ressortis lors de la consultation citoyenne préalable au rapport des Etats généraux de la Justice (EGJ) : « lenteur » et « injustice ».

La justice civile, invisible dans les débats politiques essentiellement consacrés aux enjeux liés au traitement de la délinquance, subit en particulier un déclassement inquiétant. Or cette branche représente 60% de l’activité judiciaire. C’est la justice du quotidien, la justice de la famille, de la propriété, des contrats, du travail… Elle est bien davantage le lieu de rencontre de la cité et de l’institution judiciaire, des citoyens avec les personnels de justice, qui s’expriment régulièrement sur leur souffrance au travail.

Entre 2010 et 2018, les délais en première instance ont augmenté de 50,5%. Les conclusions des EGJ confirment ces longs délais : en matière civil les délais s’établissent en 2019 à 13,9 mois en première instance et 15,8 mois en appel, tandis que les conseils des prud’hommes statuent en plus de 16 mois.

Si le rapport montre une certaine stabilité de l’activité civile sur 15 ans en termes de flux, les stocks quant à eux ne cessent d’augmenter. D’après le rapport, cela s’explique par la diminution importante des effectifs de magistrats civils, désormais considérés comme « une variable d’ajustement ». A cela s’ajoute l’intensification de leur travail due à la complexification des procédures.

Les auteurs du rapport suggèrent de construire une véritable politique publique de la justice civile, pilotée par la direction des affaires civiles et du sceau, revaloriser le travail des magistrats civilistes par une réhabilitation de la collégialité et une priorité donnée à la première instance, de développer les modes alternatifs de règlement des différends et de responsabiliser les parties à travers un renforcement de la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante. 

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2/ Sur la nécessité d’une réforme systémique

Le rapport du comité indépendant des EGJ a rappelé qu’une réforme systémique de la justice s’impose, plutôt que de privilégier des « réformes rustines » consécutives, faisant perdre la lisibilité de cette politique publique et ne laissant pas le temps aux professionnels de s’adapter. (Retrouvez ma question écrite à ce sujet et l’article sur les conclusions des EGJ). Je ne suis pas sûre que les résultats des différentes réformes menées aient été très probants.

→ Comment allez-vous faire à travers vos réformes pour garantir l’efficacité des mesures que vous proposez ?

3/ Sur le pilotage de la justice

Le budget de la justice augmente depuis ces dernières années. L’investissement régulier est une bonne chose mais il nécessite une vision de long terme et un réel pilotage, ce qui n’est pas le cas actuellement.

→ Comment envisagez-vous de porter vos prochaines réformes dans le respect de cette exigence ?

Le garde des Sceaux s’est engagé à travailler en co-construction étroite avec le Parlement et à lui présenter tous les textes réglementaires pris par l’exécutif, ainsi qu’avec les acteurs de la Justice afin de porter des réformes ayant recueilli leur assentiment. Le projet de création des directions départementales de la police nationale, inquiétant la PJ comme les magistrats, ne semble pas aller dans ce sens…

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Lors de son audition, le ministre a présenté le budget justice pour 2023. Les principaux points :

  • 8% de hausse des crédits pour 2023, après une hausse identique en 2022 et 2021.
  • Création de 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027, dont 1500 postes de magistrats (200 dès 2023) et 1500 postes de greffiers, actuellement en sous-effectifs chronique. Sur l’année 2023 uniquement, recrutement de 2253 professionnels : 1220 pour les services judiciaires, 809 pour l’administration pénitentiaire et 92 pour la protection judiciaire de la jeunesse.
  • Revalorisation des juges judiciaires, soit une hausse de 16% par an de la masse salairale des magistrats.
  • Revalorisation de 12% des greffiers sur 3 ans en 2022, 2023 et 2024.
  • Investissement dans le programme de construction de 15 000 places de prison et poursuite de la modernisation et de l’extension de l’immobilier juridicitionnel.
  • Poursuite des investissements dans le plan de transformation numérique. 

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