Le garde des Sceaux auditionné sur le budget de la justice

Le garde des Sceaux auditionné sur le budget de la justice

Dans le cadre de l'examen actuel du projet de loi de finances 2021 à l'Assemblée nationale, le garde des Sceaux a été auditionné cette semaine en Commisison des lois sur les orientations choisies par le Gouvernement et le budget alloué à la Justice en 2021.

C'est à cette occasion que j'ai interrogé Monsieur le ministre sur la gestion des crédits, les acteurs consultés lors de l'élboration du budget, la justice civile, la transformation numérique du ministère et l'administration pénitentiaire. ⬇

 

1-Remarques  préalables

  • La France, mal classée au niveau européen

La France est au 23e rang sur les 47 pays du Conseil de l’Europe en matière de budget consacré à la justice par habitant.

Le rapport 2018 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEEJ), basé sur les données de 2016, constate que le budget public moyen alloué au système judiciaire (tribunaux, ministère public et aide juridictionnelles) est de 65,9 euros par habitant. C’est beaucoup moins que dans des pays équivalents comme l’Allemagne (121,9 euros) ou la Suisse (215 euros).

Cette fragilité en entraîne d’autres. La France est l’avant-dernier pays en termes de nombre de procureurs (2,9 pour 100 000 habitants) et après le Luxembourg, c’est en France qu’ils ont le plus grand nombre de fonctions à remplir et de dossiers à traiter (7,5 affaires reçues pour 100 habitants). La justice française se retrouve aussi en bas de classement dans de nombreuses autres catégories. L’aide juridictionnelle, comparée à celle de pays dont le PIB est équivalent, est relativement faible (5,06 euros par habitant) tout comme le nombre de tribunaux (1 pour 100 000 habitants). En revanche, avec le Luxembourg et l'Espagne, la France reste  le seul pays prévoyant encore la gratuité de l'action en justice.

  • Une exigence de précision sur le montant du budget

Vous avez annoncé une augmentation « historique » du budget justice de 8% par rapport à 2020. Cet effort budgétaire est à saluer mais il nous faut être rigoureux avec les chiffres.

Certes, l’augmentation est de 8% mais le niveau de budget 2020 avait été revu à la baisse, à 7,5 milliards d'euros, alors que celui-ci était prévu à 7,7 milliards d’euros dans la loi de programmation de la justice en 2019.

Avec un budget 2021 s’élevant à 8,1 milliards d’euros, le Gouvernement rattrape donc ainsi cette carence.

Sur ces quelques 8 milliards d’euros, nous portons la demande récurrente des Tribunaux judiciaires de disposer d’une dotation de quelques dizaines d’euros, à leur main, pour répondre dans l’urgence ou non à des équipements ou des actions locales (achat d’ordinateurs, SAUJE délocalisé etc )

 

2-Cette tendance à l’augmentation des crédits doit être accompagnée d’une gestion optimale  répondant aux objectifs que nous attendons tous du service public de la Justice.

Il ressort de l’enquête menée par la Cour des comptes, à la demande du président de la commission des finances en 2018, et sortie en janvier 2019, que la planification et la gestion des crédits du ministère de la Justice devaient être sérieusement ré-intérrogées.

Le bilan est contradictoire. En dépit d’une augmentation des moyens depuis 2013 (augmentation du budget du programme 166 de 12,4% entre 2013 et 2018), la performance des juridictions judiciaires s’est globalement dégradée.

 Plusieurs causes sont évoquées :

  • Les modalités de mesures de l’activité de la Justice et de la répartition des moyens ne sont pas satisfaisantes

-Les outils statistiques, études d’impact, indicateurs de performances se sont révèlent  insuffisamment fiables et incomplets.

-Le pilotage du budgétaire n’est pas fondé sur la connaissance de l’activité des juridictions et ne prend en compte leurs évolutions.

-Le processus de dialogue budgétaire est réalisé avec trop d’acteurs centraux et dans un calendrier qui n’est pas comptable avec celui imposé par les arbitrages interministériels.

  • Les travaux menés sur la charge de travail des magistrats sont insuffisamment exploités.

-Aucun outil n’a été mis en œuvre pour appréhender la charge de travail des magistrats et évaluer les moyens nécessaires au fonctionnement de la justice.

-Certains référentiels circulent dans les juridictions, mais ils ne sont pas validés par l’administration centrale.

La Cour préconise plusieurs solutions pour un meilleur dialogue de gestion :

  • l’élaboration d’un outil ou de plusieurs de pilotage intégré

Ceux-ci serviraient à mieux décrire et mesurer l’activité dans les juridictions et ainsi de mieux allouer les moyens nécessaires à leur fonctionnement. Ils s’accompagneraient de critères explicites d’allocation des moyens et d’outils d’analyse repensés.

Exemple : moderniser et étendre l’outil existant «OUTILGREF » (qui permet d’approcher la charge de travail des personnels de greffe) à tous les magistrats.

  • la mise en place d’une enquête nationale mesurant les temps de travail d’un échantillon représentatif de juridictions, de magistrats et de fonctionnaires
  • S’inspirer des méthodologies élaborées par les juridictions administratives et les systèmes judiciaires étrangers.

Par exemple, les magistrats administratifs français sont soumis à une « norme d’activité » (la norme « Braibant », calculée sur une base annuelle d’un nombre de dossiers rapportés.)

S’inspirer des « systèmes de pondération des affaires » développés à l’étranger : ils créent une typologie des affaires judiciaires permettant une allocation efficiente des moyens.

Partagez-vous l’analyse et les recommandations de la Cour des Comptes ?

 

3-Une élaboration du budget plus transversale

Le processus d’élaboration de la loi de finances et du budget de l’État relève exclusivement du Gouvernement, comme l’indique l’article 38 de la loi organique relative à la loi de finances (LOLF) qui dispose que « sous l’autorité du Premier ministre, le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances, qui sont délibérés en Conseil des ministres. ».

Les acteurs de la Justice, magistrats, avocats, greffiers, CSM, lesquels devront remplir leurs missions avec les moyens qui leurs sont alloués, sont-ils également consultés dans la cadre de l’élaboration budgétaire ? Peut-on penser une élaboration du budget plus transversale ?

 

4-La justice civile

Vous souhaitez œuvrer pour une justice de proximité, ce qui passe par un renforcement du volet justice civile, celle des citoyens, des invisibles dans le quotidien, celle qui est la vitrine du tribunal.

Il faut compter 10,5 mois en moyenne en justice civile pour qu’une décision de justice soit rendue.  La France est régulièrement condamnée pour non-respect du « délai raisonnable » par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Comment garantir que l’augmentation du budget et des emplois permettront de réduire les délais de jugement ? La loi ne devrait-elle pas encadrer même largement les délais de jugement  sauf à la juridiction de produire un  procès-verbal d’empêchement? 

 

5-La transformation numérique : talon d’Achille du ministère de la Justice

La crise sanitaire que nous connaissons et le confinement au printemps ont été de bons indicateurs de la capacité de différents secteurs à s’adapter à cette mutation numérique. Le ministère de la Justice est en retard sur le sujet, en particulier pour la justice civile. Les avocats ont apporté du dynamisme dans ce domaine, mais la justice doit vraiment faire des efforts à ce sujet et ce n’est pas aux magistrats de concevoir et maintenir en état les logiciels.

Merci de nous confirmer que la justice civile sera prioritairement l’objet de toutes les attentions numériques.

 

6-Sur l’administration pénitentiaire et la surpopulation carcérale

La France a été condamnée par la CEDH en janvier 2020 et le Conseil constitutionnel exige du Parlement d’ici mars 2021 une loi pour remédier aux conditions indignes des détenus en prison et leur droit au recours.

Le Plan immobilier pénitentiaire prévoit la création de 15 000 places de prison supplémentaires à l’horizon 2027. Mais pour 2021, l'effort essentiel porte sur la sécurisation des lieux de détention mais peu de mesures concrètes portent sur la construction de nouveaux bâtiments et l'amélioration concrète des conditions de détention des personnes en détention provisoire.

Pour ma part, je regrette le manque de lisibilité sur les choix actuellement faits ou à faire pour les implantations de nouveaux établissements.  Les critères fondant la décision publique devraient être posés au préalable.

Et sur les centres éducatifs fermés (CEF) en particulier et celui de Saône-et-loire que nous attendons toujours. Nous avions convenu avec Nicole Belloubet,  de revenir sur un choix d’implantation en Saône-et-Loire, jugé par tous les élus et tous les parlementaires  comme inadapté, en remplacement d’un CEF qui avait été fermé par la décision d’un élu local.  Depuis aucune nouvelle, alors  que la Justice, la PJJ, les familles, ont besoin d’une telle structure dans ce département, le plus peuplé de Bourgogne-Franche-Comté. Tous les élus sont au rendez-vous et nous avons proposé un site tout à fait acceptable et peu coûteux.

Pouvons-nous compter sur plus de lisibilité et de concertation sur le plan de l’immobilier ?

 

Je profite de cette audition pour vous dire combien il est utile aussi de faire fonctionner la machine judiciaire dans le respect mutuel des acteurs. Le temps des magistrats, des greffiers, des avocats est précieux. Une politique tendant à l’organisation optimale du temps des audiences, sauvegardant les avocats d’heures interminables dans la salle des pas perdus des tribunaux, à une modernisation des liens numériques et un placement des greffiers, au cœur de ce dispositif, doit être poursuivie.

 

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