Intervention sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. Discussion générale, mardi 3 juin 2014.




Monsieur le Président, mes chers collègues,

Je tiens en premier lieu à saluer la méthode mise en œuvre par la Garde des Sceaux pour arriver à ce projet de loi : l’organisation d’une conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Cette méthode a permis une évaluation des dispositifs existants et l’élaboration d’un texte à l’abri du danger idéologique qui menace toujours en matière pénale, avec l’objectif premier de mieux prévenir la récidive et faire de la détention, un temps utile de reconstruction. 
  
Je salue aussi le travail mené par notre rapporteur, Dominique Raimbourg, lequel a ajouté au projet de loi initial certaines nécessités dont le caractère impératif ressortait de l’étude d’impact.

En encourageant les condamnations à l’emprisonnement, les politiques pénales ont conduit au phénomène de la surpopulation carcérale et à un taux de récidive qui nous contraint de réagir.

Comme le souligne l’étude d’impact de ce projet de loi, les délinquants majeurs sont condamnés à de la prison dans 94% des cas, 86% de ces condamnations comprenant un emprisonnement ferme. Et encore, ces chiffres ne concernent que les délits !

Les lois promulguées depuis plus de dix ans ont eu pour effet le prononcé de peines d’emprisonnement, contribuant à la surpopulation carcérale. Ce faisant, les centres pénitentiaires, censés être des lieux de  réinsertion, sont devenus des terreaux de criminalité comme le démontre les chiffres sur la récidive. Et pourtant, l’écrasante majorité des détenus a vocation à revenir vivre au sein de la société. Il est donc essentiel que la prison soit un lieu permettant la réinsertion.

Il y a une croyance populaire qui veut qu’un condamné à de la prison n’a jamais vocation à en sortir, qu’il l’a bien mérité. C’est faux ! La tragédie de Bruxelles constitue hélas la dernière illustration de cette chimère. En effet, l’homme arrêté à Marseille vendredi dernier, et que tout indique être l’auteur des crimes perpétrés à Bruxelles le samedi 24 mai, avait déjà été condamné à de multiples reprises pour avoir commis des vols aggravés. Il a été incarcéré au sein de divers centres pénitentiaires entre 2007 et 2012 pour ces délits. En décembre 2012, lorsqu’il sort de prison, la logique de notre système pénal aurait voulu qu’il cherche à se réinsérer, qu’après cinq ans de sa jeunesse perdue entre les murs d’une cellule, il cherche à rattraper le temps perdu. Alors qu’il n’était qu’un délinquant de droit commun, il s’est radicalisé au cours de sa détention. La prison peut être, pour certain, l’école du crime. Mais elle peut aussi être l’école de l’endoctrinement pour d’autres !   

Le projet de loi aujourd’hui discuté tire les leçons du constat d’échec de notre politique pénale s’agissant des délits et de la récidive en particulier. Ce texte ne concerne que les délits, et non les crimes, n’en déplaise aux quelques élus et autres associations qui ont intérêt à grossièrement entretenir la confusion sur ce point.

Ce projet de loi redonne de la cohérence aux codes pénal et de procédure pénale, et réaffirme ainsi le principe de l’individualisation des peines, et inscrit les droits dont est titulaire toute victime d’infraction. Cette loi abroge les peines planchers en ce qui concerne la récidive légale ; peines qui constituaient réellement un antonyme au principe d’individualisation des peines. Elle organise un système de prise en compte de la personnalité de la personne condamnée, tant au niveau de la définition de la peine que dans l’accompagnement de la sortie de prison des détenus, et ce pour coller le plus possible au principe cardinal de personnalisation de la peine.

Ce texte définit d’ailleurs de manière salutaire les finalités et les fonctions d’une peine de prison. Cette loi prévoit aussi la création d’une peine nouvelle, la contrainte pénale.

La contrainte pénale tire les leçons de nos échecs passés et modernise le dispositif pénal : elle ne s’applique qu’aux délits et doit s’adresser prioritairement aux délinquants qui, compte tenu des faits commis, peuvent le plus facilement être réinsérés au sein de la société. La contrainte pénale permet d’éviter la déconnexion avec la vie réelle provoquée par la prison. Ce maintien du lien entre le condamné et la société est garanti par un large éventail de prescriptions auxquelles il devra se soumettre. Ainsi, il pourra être contraint de réparer le préjudice qu’il a fait subir à la victime, de se soumettre à des soins, ou de suivre une formation… L’addiction à la drogue ou à l’alcool constituent-ils des délits utilement réparés par la prison ?  

Mais cette peine n’est pas un signe de laxisme envoyé aux délinquants ! Elle n’est pas, loin de là, un parcours de santé pour le condamné, mais une astreinte à de sévères obligations durant une longue période, et ce sous peine d’alourdissement des obligations, voire d’emprisonnement. C’est une punition utile !

Evidemment, l’emprisonnement reste au cœur de la politique pénale. Mais l’incarcération ne constitue pas toujours la meilleure solution! Comme le soulignait Beccaria, « l’un des plus grands freins opposés aux délits, c’est non pas la rigueur des peines, mais l’infaillibilité de celles-ci ». Gageons qu’avec, entre autre, la contrainte pénale, le système pénal tende vers l’infaillibilité des peines.

Je tiens à mettre au crédit de notre ministre de la Justice sa volonté de rassembler Justice, police et pénitentiaire, dans cette mission de service public de réponse à la transgression. Nous l’avons constaté hier dans la loi relative à la garde à vue,  et nous nous en réjouissons dans la présente loi.


Pour conclure, je souhaite, mes chers collègues, attirer votre attention sur un amendement déposé au titre de l’article 88, sans malignité, en cohérence avec ce dispositif législatif qui concerne les délits et la récidive. Je veux parler des tribunaux correctionnels pour mineurs créés par la loi du 10 août 2011, et ce conformément à un engagement de campagne du président de la République. Ce tribunal, véritable juridiction d’exception, compétent pour juger des faits commis par les mineurs entre 16 et 18 ans récidivistes, auteurs de délits punis d’une peine égale ou supérieure à trois ans. Cette institution est l’incarnation d’une volonté répressive et inefficace à l’égard des mineurs. Pierre Joxe, dans son ouvrage Pas de quartier?, dénonçait cesjuridictions qui contribuent à « démolir la justice des mineurs » ! La composition de la formation de jugement de cette juridiction, à savoir un juge des enfants qui la préside, et deux magistrats assesseurs issus des formations de jugement pénales classiques, alourdit considérablement la célérité de la justice. Une telle formation est, de l’aveu des praticiens, jamais réunie. Ni la perspective d’une proposition de loi Gauche Démocrate et Républicaine, ni la révision de l’ordonnance de 1945 ne nous paraisse fonder un rejet de cet amendement qui, très logiquement, trouve sa place dans un texte qui traite de récidive, et de délit.   

Par conséquent, je voterai ce texte qui constitue une loi moderne et courageuse, ainsi que cet amendement, soumis à la Représentation nationale.

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