#PLF2023

Avis budgétaire "fonction publique" : audition de Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Avis budgétaire "fonction publique" : audition de Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques

"Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

Le programme Fonction publique constitue l’un des cinq programmes de la mission Transformation et fonction publiques. Il porte les crédits de formation des fonctionnaires, d’action sociale interministérielle, et d’appui et d’innovation en matière de ressources humaines.

Dans un contexte de transformation de notre fonction publique, et notamment de notre haute fonction publique, j’ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mon rapport à un thème qui me tient particulièrement à cœur, celui de la déontologie des agents publics.

Mais avant d’aborder cette question, je souhaite commencer par l’examen des crédits du programme, et des enjeux d’actualité associés.

Pour l’année 2023, les montants proposés pour le programme 148 s’établissent à 286 millions d’euros en crédits de paiement. 

Ces montants traduisent une légère baisse par rapport au budget de l’année précédente, du fait de la suppression du fonds d’accompagnement interministériel des ressources humaines. Ils se maintiennent néanmoins à un niveau élevé lorsque l’on s’intéresse à l’évolution pluriannuelle.

Le programme retrace notamment les crédits de formation des fonctionnaires, qui représentent 40 % des dépenses environ, soit 107 millions d’euros en 2023. 

Cela recouvre notamment la subvention pour charge de service public versée à l’Institut national du service public, ou INSP, qui a remplacé l’ENA, et qui s’élève 39 millions d’euros.

Le remplacement de l’ENA par l’INSP constitue un élément central de la réforme de la haute fonction publique. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour faire remarquer, Monsieur le ministre, que cette réforme, opérée par voie d’ordonnance, n’a pas fait l’objet d’un véritable examen au Parlement.

Dans l’ensemble, la réforme en cours, qui tend à dynamiser et ouvrir les parcours de carrière, me paraît aller dans le bon sens, du moins dans ses grands objectifs. La création d’un corps unique des administrateurs de l’État et de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (la « DIESE »), ainsi que le renforcement des DRH ministérielles me semblent constituer des initiatives ambitieuses pour rendre plus riches et attractives les carrières des hauts fonctionnaires, à travers la gestion de viviers élargis.

Plusieurs points d’attention doivent néanmoins être relevés.

- Premièrement, la transformation de l’ENA en un INSP n’a pas été conduite sans heurts : j’en veux pour preuve la grève de la promotion Germaine-Tillion, en juin dernier. À mon sens, la création de l’INSP est une bonne chose, mais celle-ci n’est pas encore aboutie. La formule de tronc commun retenue me paraît peu ambitieuse, et des alternatives au classement de sortie doivent encore être trouvées. 

- Deuxièmement, je m’interroge sur les conséquences de la suppression du corps préfectoral et des corps diplomatiques.

S’il n’en constitue pas une garantie absolue, la constitution d’un corps favorise la professionnalisation et la compétence de ses membres, en posant le principe d’une carrière exercée dans les fonctions auxquelles le corps destine. Il offre par ailleurs aux agents la possibilité de se projeter, à long terme, dans de telles fonctions, et offre ainsi une protection face aux alternances politiques.

La mise en extinction des corps des préfets et des sous-préfets a été accompagnée de garanties, mais il me paraît essentiel de veiller au maintien d’un haut niveau de professionnalisation des préfets et des sous-préfets pour assurer le bon fonctionnement de notre État, et de tout faire pour que la loyauté ne dérive pas vers le loyalisme.

S’agissant de la mise en extinction des corps diplomatiques, j’ai été sensible aux arguments avancés par les représentants des associations de diplomates que j’ai auditionnés. La réforme, qui a été très mal vécue au Quai d’Orsay, affecte le déroulement des carrières des agents, et risque d’affecter la qualité et le rayonnement notre réseau diplomatique. Il me paraît important de compléter cette réforme et d’y apporter des garanties, et je formule dans mon rapport plusieurs propositions sur ce point.

Enfin, une évaluation de ces réformes devrait être réalisée rapidement, afin de pouvoir « corriger le tir » si elles s’avéraient imparfaites.

Le programme retrace notamment la subvention pour charge de service public versées aux Instituts régionaux d’administration, les IRA, pour 42 millions. 

Ces instituts assurent la formation des attachés d’administration de l’État, qui ont vocation à être chargés de fonctions d’encadrement.

La réforme de la scolarité intervenue en 2019 a permis des avancées, mais nécessite d’être corrigée : le stage préalable au choix d’affectation, qui a été supprimé, était utile et apprécié, les épreuves de classement sont parfois mal comprises par les élèves, et la gestion de deux promotions par an est délicate. Je propose de revenir sur ces aspects de la réforme. 

Surtout, les effectifs d’encadrement sont en tension, et je vous proposerai lors de la discussion des crédits un amendement pour les renforcer.

Le programme retrace également les dépenses d’action sociale interministérielle, qui représentent 50 % des dépenses, soit près de 150 millions d’euros en 2023. Cette année, les crédits sont globalement stables.

Je considère que l’action sociale constitue un levier important pour renforcer l’attractivité de la fonction publique, en améliorant les conditions de vie des agents.

En particulier, le dispositif de réservation de place en crèches permet aux agents de bénéficier prioritairement de places implantées dans des aires géographiques adaptées à leurs besoins. Le montant consacré est attendu à 25 millions d’euros en 2023, auxquels s’ajoutent 6 millions d’euros de crédits ouverts sur fonds de concours. Le parc est constitué d’environ 4 700 places en 2022, et l’année 2023 devrait ainsi voir la réservation d’environ 135 places. Je vous proposerai, par amendement, d’aller plus loin, et d’atteindre 5 000 places ouvertes, ce qui occasionnerait un surcoût de 1,2 millions d’euros.

Comme je l’évoquais en introduction, j’ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la question de la déontologie des agents publics, dans le contexte de la réforme de la haute fonction publique.

En effet, l’existence d’une fonction publique de carrière, recrutée essentiellement par concours, et guidée par les des principes déontologiques essentiels que sont la probité, l’impartialité et la responsabilité, a longtemps constitué en France une protection contre les risques de conflits entre l’intérêt public et les intérêts personnels. 

La réforme de la fonction publique, et notamment celle de la haute fonction publique, conduite depuis 2019, donne à ces questions une actualité nouvelle. L’ouverture du recrutement d’agents contractuels sur les postes de direction de la fonction publique, la suppression de nombreux corps de fonctionnaires et la dynamique de fonctionnalisation des emplois, ou encore la recherche de diversification des parcours des hauts fonctionnaires, dessinent un paysage inédit que la déontologie doit appréhender.

Je considère la déontologie, non pas comme une contrainte, mais au contraire comme une protection supplémentaire offerte aux agents. La déontologie sécurise les parcours ; elle contribue donc à les fluidifier ; elle amène à se poser des questions que l’on ne se serait pas posé autrement. 

Les travaux que j’ai conduits m’ont permis de constater une diffusion progressive de la culture déontologique, qui doit être poursuivie. La nomination des référents déontologues est aboutie dans les ministères ; la connaissance du dispositif doit être améliorée dans les collectivités ; en revanche, les désignations ne sont pas achevées dans la fonction publique hospitalière. Sur le fond, les administrations s’approprient progressivement le dispositif et ses exigences : la HATVP rend de moins en moins d’avis d’irrecevabilité, et le nombre d’avis subsidiaires diminue.

Des marges de progression demeurent toutefois, et je formule six propositions.

Les moyens consacrés à la déontologie doivent être renforcés. Il faut pour cela, prévoir des formations pour les référents déontologues qui en feraient la demande, et renforcer les effectifs de la HATVP afin de lui permettre de réaliser le suivi des réserves émises.

Le champ du contrôle déontologique pourrait de plus être étendu à d’autres agents qui sont particulièrement exposés au risque de prise illégale d’intérêts, comme l’UGAP ou la Solideo, mais également aux magistrats démissionnaires : la démission récente d’un magistrat du PNF parti pour un cabinet d’avocats d’affaires anglo-saxon, dont nous avons déjà parlé en commission des Lois sous la précédente législature, a révélé les failles du dispositif. 

Par ailleurs, les obligations de contrôle déontologique pèsent uniquement sur l’administration, à l’entrée comme à la sortie de l’agent public : l’association des structures privées concernées au dispositif de contrôle déontologique permettrait de mieux sécuriser les mobilités.

Enfin, et comme la révélé la commission d’enquête du Sénat, le recours aux cabinets de conseil par l’État soulève des questions fondamentales, qui intéressent directement la fonction publique : la tendance croissante à externaliser, en dehors de l’administration, la réflexion portant sur les politiques publiques, interroge la capacité de notre État à disposer des compétences nécessaires. Le recours aux cabinets de conseil doit être mieux encadré, rendu plus transparent : il me paraît important de prévoir dans la loi qu’ils soient soumis à des obligations déontologiques.

Monsieur le ministre, quel regard portez-vous sur ces propositions ?

Je vous remercie."

A lire aussi