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Restitution de biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 : mon intervention en séance publique

Restitution de biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 : mon intervention en séance publique
MYCHELE DANIAU / AFP

L’hémicycle a adopté à l'unanimité ce jeudi le projet de loi visant à restituer des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. 

Il s’agit de créer dans le code du patrimoine une dérogation au principe d’inaliénabilité des biens culturels du domaine public afin de faciliter la restitution des biens spoliés pendant la période nazie. A ce jour, le principe d’inaliénabilité du domaine public rend difficile la restitution de ces biens appartenant aux collections publiques. 

Mon intervention

Madame la Présidente, Madame la Ministre, 
Madame la Présidente de la commission, 
Madame la rapporteure, 
Mes chers collègues, 

C’est avec gravité et émotion, que notre assemblée vote aujourd’hui le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. 

La Seconde Guerre mondiale, entre l’occupation allemande et la collaboration, est l’une des pages les plus noires de l’histoire de notre pays. Reniant l’héritage de la Révolution française, la France, patrie des Lumières et des droits de l’Homme, a accompli l’irréparable en prêtant son concours à l’occupant nazi et en contribuant à la déportation de milliers de nos compatriotes. Juifs, Tsiganes, Résistants, réfractaires au STO, militants politiques, homosexuels, otages, Républicains espagnols, la France a déporté plus de 160 000 de nos concitoyens, dont 75 721 Juifs, partis pour les camps d’extermination. 

Les déportations, assassinats et crimes contre l’humanité dirigés contre les juifs sont le degré ultime de la monstruosité nazie. Mais le IIIème Reich et les régimes de collaboration européens ont également entrepris des spoliations et des confiscations des biens matériels des Juifs de France. 

Les historiens estiment qu’environ 100 000 œuvres et objets d’art ont été arrachés des mains de leurs propriétaires ou vendus sous la contrainte pour financer un exil vital. 

Dès la Libération, plusieurs œuvres ont été restituées, d’autres ont connu un parcours différent, intégrant les collections nationales et devenant ainsi des biens inaliénables. 

À travers la loi-cadre que vous nous soumettez Madame la ministre, l’objectif est d’aller plus vite et de marquer l’engagement de la France, au-delà de la voie judiciaire existante, dans le processus de restitution et réparation des biens culturels spoliés. Elle est nécessaire pour faire face efficacement à la très probable multiplication des restitutions dans les années à venir. 

L’accélération du rythme de ces restitutions constitue une marque de respect de la République française à l’endroit des familles de victimes avant que la mémoire de ces dernières ne s’estompe, compte tenu de l’éloignement croissant de l’époque des faits et de la disparition des derniers témoins. 

Si ce projet de loi permet de faciliter la perspective des restitutions, un immense travail est nécessaire pour que celles-ci puissent intervenir. La politique de recherche, de réparation et de mémoire des spoliations de biens culturels a connu une véritable accélération au cours de la dernière décennie. 

Se pose désormais la question des moyens que notre pays est prêt à consacrer à cet enjeu. En comparaison de plusieurs de nos voisins européens, au premier rang desquels l’Allemagne, l’engagement de la France en termes humains et financiers reste encore modeste. Un renforcement des moyens est indispensable pour que les ambitions affichées par votre texte puissent se matérialiser. 

A ce titre, je salue l'adoption de l'amendement de notre collègue Béatrice Descamps qui prévoit que, dans le cadre des transactions financières, les collectivités pourront solliciter l'aide de l'État. 

Nous regrettons toutefois que notre souhait de voir intégrer la présence des parlementaires dans la commission de suivi des restitutions n’ait pas été entendu. Certes, la présentation tous les deux ans d’un rapport au Parlement sur les restitutions permettra d’informer les parlementaires sur l’évolution de ces restitutions et de dresser un inventaire précis de nos collections. Toutefois, alors que cette loi cadre a pour effet d’écarter de la procédure de restitution le Parlement en substituant les lois d’espèce à une commission pérenne, elle aurait dû prévoir, en compensation, la présence d’un député et d’un sénateur au sein de cette commission de suivi des restitutions. 

Enfin, les établissements culturels semblent désireux de réunions périodiques les rassemblant sur le sujet, afin d’échanger entre eux autour de bonnes pratiques. La mutualisation du recrutement de chercheurs pourrait se révéler une piste intéressante pour permettre aux établissements d’avancer sur le travail d’identification des biens. 

Mes chers collègues, nous devons nous montrer à la hauteur de l’Histoire : c’est ce que nous ferons en votant ce projet de loi qui assure reconnaissance et justice pour les victimes de persécutions antisémites. 

Je vous remercie. 

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