Edito du jour à l'AJDA: nous ne devons pas délaisser les enjeux environnementaux!

"Les Bronzés font la loi

Philippe Yolka, Professeur de droit public, université Grenoble-Alpes

Noël au balcon, Assemblées au charbon ! Le manque de neige du début d'hiver n'a pas empêché nos représentants de phosphorer sur le tourisme en montagne. Le produit de ces cogitations figure dans le dernier fatras législatif en date (théoriquement) consacré à la simplification du droit. Cédant à la tradition américaine des Christmas trees - textes de fin d'année abritant des cadeaux sous leurs branches -, le Parlement vient de poser un gros paquet dans certains souliers (de ski) : la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 (art. 22. ; art. L. 362-3 al. 4 C. envir.) autorise, en effet, le transport motorisé en engins ad hoc - chenillettes, motoneiges - des clients de restaurants d'altitude.

Prouvant (s'il en était besoin) que l'écologie constitue une valeur de gauche, cette disposition procède d'un amendement formellement déposé le 10 juillet 2014 par Alain Fauré, député PS de l'Ariège. Elle signe le requiem d'une jurisprudence constante des deux ordres, qui prohibait pareille pratique en l'assimilant aux usages - illégaux - de tels engins à des fins de loisirs (par ex., CE 30 déc. 2003, n° 229713, Syndicat national des professionnels de la motoneige, Lebon ; AJDA 2004. 942 ; Crim. 4 avr. 2013, n° 12-81.759, AJDA 2013. 1288, note P. Yolka ; D. 2013. 1008 ; AJ pénal 2013. 611, obs. J.-P. Vial).

Voici donc le lobbying des marchands de tartiflette et du « petit vin blanc qu'on boit sous les poutrelles » (de téléphérique) couronné de succès, un phénomène jusqu'alors illicite - quoique fréquent, vu les tolérances locales et le montant dérisoire des amendes encourues - se trouvant légalisé. L'argument massue, devant lequel on est prié de s'incliner en temps de crise, est (bien sûr) le développement économique. Il ne convainc pourtant pas, car cette réforme risque juste de déplacer certains clients du centre des stations vers leur périphérie (voire de déplacer quelques amateurs de calme vers des villégiatures étrangères). Les inconvénients, en revanche, sautent aux yeux - ou plutôt, aux oreilles et aux narines -, de nouvelles perturbations nocturnes (en sus de la ronde des dameuses) allant s'ajouter aux pollutions diurnes (trafic automobile ; vacarme des « boîtes de jour » - « concept tendance » importé d'Ibiza -, qui déversent leurs décibels sur plusieurs domaines skiables des Alpes...).

Il faut évidemment espérer que les termes du futur décret d'application, censé préciser le dispositif, soient restrictifs. L'exposé des motifs de l'amendement Fauré prévoyait deux garde-fous, dans la perspective de son édiction : des horaires compris entre 17 h et 23 h et la production d'un rapport d'évaluation sur l'impact environnemental de cette mesure par les préfets concernés sous trois ans.

Mais de telles « garanties » ne sauraient abuser. On ne doute pas que les fonctionnaires de la police et de la gendarmerie, corps dont les effectifs sont rachitiques en stations de ski, sauront (déguisés en bonshommes de neige ou postés derrière chaque sapin) alpaguer les contrevenants et faire face à de probables difficultés (restaurateurs s'improvisant loueurs de motoneiges en fin de soirée, problèmes d'évacuation des fêtards tenant mal le génépi...). On ne doute pas non plus du sérieux de l'évaluation à venir, certains services préfectoraux ayant par le passé demandé aux forces de l'ordre d'éviter tout excès de zèle en matière de verbalisation.

Cette réforme contribue à allonger la liste des reculades écologiques de l'actuelle majorité (écotaxe, etc.), déjà longue en altitude (l'ours, le loup en ont fait les frais ; la plupart des bouquetins du Bargy, aussi). Il serait toutefois injuste d'incriminer notre ministre de l'environnement : absorbée par de gros dossiers (Sivens, Notre-Dame-des-Landes), elle a conservé en la matière un mutisme digne du silence que l'on aimerait apprécier en montagne".

Publié à l'Actualité juridique du droit administratif (AJDA) du 26 janvier 2015, p. 73.



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