LCP : Loi Macron : comment les députés font face aux Lobbies





LOI MACRON : COMMENT LES DÉPUTÉS FONT FACE AUX LOBBIES

Le 20 janvier 2015 à 17h26 ,



Entre dialogue et connivence, où fixer la frontière avec les représentants des avocats ou des notaires ? Six députés interrogés par LCP.fr revendiquent leur indépendance d’esprit et détaillent les incessantes sollicitations dont ils font l’objet.

Déjeuners offerts, propositions d’amendements déjà rédigés, courriers prêts à envoyer à son député : depuis plusieurs semaines, les représentants des avocats ou des notaires font feu de tout bois pour tenter d’influencer les parlementaires dans le cadre du projet de loi Macron, qui s’attaque à leur statut dans les dispositions sur les professions réglementées.

"Arguments en kit"

Si la situation n’est pas inhabituelle pour les députés, elle a été jugée suffisamment intrusive pour agacer Richard Ferrand, le rapporteur général du texte. En pleine séance de la commission spéciale, mercredi 14 janvier, le député PS du Finistère a critiqué "les plus oublieux d’entre nous", qui reprennent "les arguments sous forme de kit " provenant de"certaines professions". Ambiance…
La veille, c’est l’écologiste Jean-Louis Roumégas qui jouait la transparence : "A la différence d’autres députés, moi, je le précise quand je prends des amendements qui m’ont été soumis par des associations ou des lobbies"

Les notaires conseillés par Havas

Interrogée par LCP.fr, Cécile Untermaier (PS), rapporteure du projet de loi Macron,dénonce "les sommes énormes" dépensées par le Conseil supérieur du notariat (CSN) pour communiquer sur le texte. Le CSN a fait appel à l’agence Havas pour l’accompagner tout au long des débats. Un choix assumé par Pierre-Luc Vogel, le président du CSN, lui-même notaire à Saint-Malo : "Quand il y a une situation de crise, on se fait conseiller." L’homme, qui dit "faire un travail de conviction", rejette le terme de lobbying et sa "connotation très négative." "Cela voudrait dire qu’on souhaite préserver des avantages acquis, alors que nous travaillons pour que la réforme n’entraîne pas une catastrophe économique", plaide-t-il.
François Hollande a promis de clarifier le rôle des lobbies dans la sphère publique."Il faudra rendre plus claire la confection des lois et des règlements pour un meilleur encadrement des groupes de pression", a-t-il annoncé mardi, lors de ses vœux aux Assemblées.

6 députés répondent à LCP

LCP.fr a interrogé six députés - avocats de formation pour la plupart - sur leur vision du lobbying. Comment résistent-ils aux groupes de pression ? Comment dialoguent-ils ? Faut-il vraiment le faire ? Ils ont accepté de répondre, en faisant preuve d’une certaine transparence. Morceaux choisis. 


Cécile Untermaier, rapporteure PS du texte : "Quand on maîtrise les dossiers, les lobbies ont moins de prise"

"Pour lutter contre les groupes de pression, il faut déjà ne pas y céder soi-même. Il ne faut pas accepter les invitations à déjeuner, les sollicitations de toutes sortes. Il ne faut pas être en situation de ne plus se sentir libre. Sur le projet de loi Macron, j’ai dénoncé le lobbying, en particulier celui du conseil supérieur du notariat qui a dépensé des sommes énormes dans une communication qui critiquait toute évolution de sa profession.
Personnellement, je n’ai jamais utilisé des amendements tout prêts. Il faut cependantentendre les différents professionnels concernées, en se rendant sur le terrain. Il est normal qu’ils manifestent leurs craintes. On ne les ignore pas, mais ensuite, c’est aux députés de faire le meilleur texte possible. Ce que nous avons amendé dans le texte correspond aux préconisations de la mission parlementaire sur les professions réglementées, que j’ai présidée : quand on maîtrise techniquement les dossiers, les lobbies ont moins de prise.
Certains députés ont accepté des propositions de déjeuners de groupes de pression. Je ne dirai pas leurs noms car il y a des personnes que je respecte et parce qu’elles n’ont pas joué un rôle néfaste dans la commission. On reçoit énormément de demandes de ce type. Beaucoup doivent y répondre favorablement car, même si je n’ai jamais accepté ce type de dîner en deux ans et demi, le nombre d’invitations que je reçois ne baisse pas pour autant…"


Denys Robiliard, rapporteur PS du texte : "On peut parfois deviner quelle institution a rédigé tel ou tel amendement…"

"Il y a eu un lobbying intense, systématique, parfois trop bien fait, qui a pu énerver, durant les travaux en commission du projet de loi Macron. Il a été le fait principalement des notaires, des huissiers et des avocats, même s’il y a des différences entre les thèses du barreau de Paris et celles des barreaux de province. Le lobbying, il faut être honnête, il existe sur 9 projets sur 10, ce n’est pas propre à ce projet-là. Si on connaît bien un dossier, on peut même deviner quelle institution a rédigé tel ou tel amendement débattu. Mais si celui-ci va dans le bon sens, qu’il correspond à la volonté politique, alors il n’y aucun souci. D’ailleurs, sur la loi Macron, je n’ai vu aucun député se transformer en porte-parole d’une profession.
J’ai conscience qu’en tant qu’avocat, j’ai des préjugés, des opinions partagées par mes confrères. Il y a un risque de corporatisme. Cela m’oblige à m’interroger avec honnêteté. Je connais bien les conditions économiques dans lesquelles exercent les avocats, les questions de principes… Je m’oblige à regarder ces problèmes du point de vue des justiciables. Le point de vue qui compte, c’est celui du public. Il faut dépasser sa situation professionnelle pour prendre en compte l’intérêt général." 


Étienne Blanc (UMP) : "Le problème, c’est que cela se fait sous le manteau…"

"Je me suis extrait des contingences professionnelles. Je ne suis pas le représentant d’un lobby. Les lobbies des professions réglementées font leur job et c’est normal. Tout comme le lobby de la famille, de l’électricité, du commerce et de la distribution, des policiers, de la haute fonction publique, et j’en passe ! Le problème français, c’est que ces actions ne sont pas institutionnalisées. Cela se fait sous le manteau… Aux États-Unis, ils sont connus et identifiés, cela se fait dans la transparence. Hélas en France, c’est occulte.
Vous n’empêcherez jamais personne de faire du lobbying, à un avocat d’écrire à son député, etc. Si cela se faisait dans un cadre plus transparent, cela ne me gênerait pas d’être identifié comme le porte-parole des avocats. Mais j’aurais tout de même du mal à le faire car on est soumis à une contrainte. Mon métier d’avocat n’a jamais eu d’influence sur mon métier de parlementaire. Il a eu de l’influence sur mes choix." 

Yann Galut (PS) : “Il y a un lobbying acceptable

"Le conseil national des Barreaux (CNB) nous a invité à déjeuner à la Maison de l’Amérique latine. Ils nous ont remis des documents et des études d’impact. C’était une réunion de travail. Nous recevons plein de sollicitations comme celles-là. Cela permet une meilleure compréhension de la situation. Cela ne me pose pas de problème dès lors que c’est une structure officielle et que je suis “pour” leurs positions.
On a aussi reçu des courriers, des propositions de déjeuners de la part du Barreau de Paris. On reçoit aussi des amendements. Ils les écrivent et on les analyse. Cela m’est déjà arrivé d’en déposer : ceux d’Attac ou de 60 millions de consommateurs. Il y a un lobbying acceptable car on n’a pas les moyens d’écrire certains amendements. Mais cela marche dans les deux sens : le groupe PS aussi a invité à déjeuner le CNB. C’est plus délicat avec les entreprises car on peut être plus influencé. Pour ne pas me faire avoir, j’accepte quand je connais bien le sujet et que je suis d’accord avec leur position. Les laboratoires pharmaceutiques, j’ai toujours refusé." 

Pierre Morel-A-L’Huissier (UMP) : “Je reste libre de ne pas satisfaire leurs demandes…

"J’ai été avocat jusqu’en 2014 et je garde encore un lien avec tous les organes de représentation des avocats, qui m’ont contacté pour le projet Macron. En tant que membre de la commission des lois, je suis souvent convié par le barreau de Paris.
Il ne faut pas parler de lobbies : les professions réglementées sont occupées par des personnes qui ont un niveau de diplôme et d’expérience importants. Il s’agit donc en réalité d’organes de représentation de ces professions. J’ai un contact avec tous ces organismes : ils m’envoient des notes, des analyses, mementos, des corpus… Par mail, par téléphone. Mais je reste libre de mon vote et libre de ne pas satisfaire leurs demandes. 

Dominique Raimbourg (PS) : "Moi aussi je les influence"

Si votre question est de savoir si je suis influencé par le lobby des avocats, il faut tout d’abord savoir qu’en réalité il y a trois lobbies des avocats (le Conseil national des Barreaux, le Barreau de Paris et la conférence des Bâtonniers, NDLR). Et moi aussi, je les influence. Les rapports peuvent même être conflictuels. Je leur dis parfois “ les gars vous déraillez ”. J’ai notamment rencontré les notaires, les huissiers, je vais rencontrer les mandataires judiciaires, les juges du tribunal de commerce, mais je ne suis pas prisonnier de leur avis. J’ai à plusieurs reprises refusé de participer à des voyages (organisés par des groupes de pression, ndlr). J’ai aussi reçu des amendements tout prêts, des argumentaires. Je ne les ai pas utilisés.
[BONUS]
La lettre de Pierre-Luc Vogel, président du Conseil supérieur du Notariat, adressée aux députés pour leur proposer des amendements prêts à l’emploi :


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